Interview de David GIRON (IRBI-Université de Tours)

Interview de David GIRON (IRBI-Université de Tours)

Interview de David GIRON
Directeur de l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte – IRBI
Université de Tours
David GIRON - Chargé de recherche CNRS
David GIRON – Chargé de recherche CNRS

David Giron est un chercheur travaillant sur les insectes à l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (IRBI) à l’Université de Tours.

Ayant suivi le Master Recherche (2006-2008) de l’IRBI, David GIRON fut l’un de mes professeurs durant cette période.

Ses travaux et ses cours étant passionnants, j’ai souhaité vous faire découvrir son univers et un métier trop peu connu du grand public.

Je remercie David GIRON pour cette interview passionnante, et d’avoir pris un peu de son temps, très chargé, pour répondre à ces questions. 

  • Dans quel laboratoire travailles-tu ?

L’institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (IRBI). C’est une unité mixte de recherche (UMR) rattachée à l’Université François-Rabelais de Tours (37) et au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Nous sommes basés sur le site de la faculté de Sciences et Techniques.

  • Quelles sont les thématiques de recherche développées par les laboratoires de l’IRBI ?

Nous abordons de nombreuses thématiques liées aux insectes. De façon globale il s’agit de comprendre les interactions entre les insectes et leur environnement qu’il s’agisse  d’interactions biotiques (avec les autres organismes vivants) ou d’interactions avec l’environnement abiotique. Nous cherchons à comprendre les mécanismes qui régissent ces interactions et leurs conséquences en terme d’adaptation, par exemple face aux changements climatiques et autres perturbations anthropiques.

Nos thématiques abordent des questions telles que la dynamique des populations d’insectes invasifs et les mécanismes responsables de leur succès reproducteur, ou la nature et l’origine des associations entre guêpes parasites et des virus qui peuvent leur servir pour infecter leurs hôtes, ou encore l’aérodynamique du vol (lire cet article) et de la marche (lire cet article) des insectes et leurs conséquences pour échapper à des prédateurs ou enfin des questions comme les stratégies de sélection de partenaires sexuels sur la base de signaux acoustiques et les mécanismes de thermorégulation (lire cet article) utilisés par les insectes hématophages (qui se nourrissent de sang).

  • Sur quelles thématiques travailles-tu personnellement ?

Je travaille sur les interactions entre les insectes et les plantes. J’essaie de comprendre les mécanismes moléculaires utilisés par les insectes pour s’alimenter sur des plantes et comment ces insectes arrivent à déjouer les mécanismes de défense immunitaire mis en place par la plante. J’utilise des outils de biologie moléculaire, de biochimie mais aussi des observations comportementales et de la physiologie aussi bien en laboratoire que sur le terrain. Les insectes que j’étudie sont des maîtres de la manipulation et ils prennent littéralement le contrôle de la plante pour se nourrir et se protéger des prédateurs. Mais ils ne font pas cela tout seul : ils sont aidés par des bactéries symbiotiques qui vivent au sein même des cellules de l’insecte et qui contribuent à produire des molécules qui les aident à prendre le contrôle de la plante.

  • Quels sont le parcours et le cheminement qui t’ont permis de travailler sur cette thématique ?

En réalité, j’ai commencé à travailler sur l’alimentation des insectes dès mon stage de Master 1, et j’ai ensuite continué en Master 2 puis en thèse. Quand on s’intéresse à l’écologie nutritionnelle des insectes, on est rapidement amené à s’intéresser aux plantes car une grande partie des insectes sont phytophages. C’est donc naturellement que je suis arrivé à étudier les plantes et les interactions plantes-insectes. Les travaux sur les bactéries et leur rôle dans l’alimentation de l’insecte sont arrivés plus tard, ici encore un peu au hasard de nos découvertes.

  • Qu’est-ce qui te passionne dans ton travail et pourquoi avoir choisi cette discipline et les insectes ?

Ce qui me passionne c’est qu’il n’y a pas deux journées identiques. On n’arrête pas de se poser des questions et d’imaginer des expériences pour y répondre. C’est stimulant et enrichissant. Chaque jour j’apprends de nouvelles choses. Ce n’est bien sûr pas toujours  facile et la compétition internationale peut être rude mais c’est une vraie chance de faire un métier stimulant et épanouissant. En plus, c’est très diversifié, il y a la partie expérimentale mais aussi la recherche bibliographique, la rédaction d’articles, les conférences aux quatre coins de la planète, le terrain, le laboratoire…

Cette discipline me permet d’allier deux éléments qui me semblent importants : de la recherche fondamentale qui contribue à faire avancer la connaissance et à former les étudiants (les chercheurs de demain), et une mise en oeuvre pratique pour répondre à de grands enjeux sociaux comme la diminution de l’utilisation des pesticides, l’amélioration de la production agricole par exemple.

  • Etudier les insectes est-il une passion, un rêve d’enfant, ou plutôt le résultat d’un processus et de rencontres au cours de ton parcours ?

Très franchement, c’est vraiment par hasard que je travaille sur les insectes. Il s’avère que le laboratoire où j’ai effectué mes premiers stages étaient spécialisés sur les insectes. Ils auraient travaillé sur les poissons, je travaillerais très certainement sur les poissons aujourd’hui. J’apprécie le côté esthétique des insectes, leur monde et leurs prouesses me fascinent, mais cela reste avant tout un sujet d’étude pour moi. Ce qui compte, ce sont les questions auxquelles je peux répondre. Je ne me considère ni comme un naturaliste, ni comme un entomologiste, mais il est vrai qu’avec le temps on tombe sous le charme de ces petites bêtes…

  • Qu’as tu suivi comme formation, quel est ton cursus ?

J’ai fait un cursus universitaire classique. Après un bac scientifique (maths et physique), je suis allé à la fac où j’ai fait ce qui serait aujourd’hui une Licence (3 ans), puis un Master (2 ans). A l’issu de ce Master j’ai obtenu une bourse de thèse où j’ai continué dans un laboratoire de mon Université. Après 3 ans de thèse, je suis parti quelques mois au Pays de Galle pour me perfectionner sur la physiologie végétale (en vue de la préparation du projet scientifique sur lequel je travaille actuellement), puis je suis parti 2 ans en post-doctorat aux USA à coté d’Atlanta. J’ai ensuite postulé au concours CNRS et j’ai décroché un poste chargé de recherche à la deuxième tentative. Depuis cette année, après un concours national, je suis directeur de recherche, toujours au CNRS.

  • Quels conseils donnerais-tu à des jeunes étudiants souhaitant s’orienter dans la recherche entomologique? Quelle filière et quelle formation ?

Je pense que de façon générale il faut aborder l’Université avec un projet professionnel. Il peut bien sûr évoluer mais il faut absolument avoir un objectif sans quoi on risque de voir les années défiler et louper son orientation. Au départ je voulais être professeur des écoles et faire des études courtes. Comme ça fonctionnait bien, je me suis dit pourquoi pas professeur de Biologie en collège et lycée, puis en découvrant les aspects recherche, je me suis orienté vers la carrière d’enseignants-chercheur. Finalement, après 10 ans de formation, j’ai réussi à devenir chercheur, assez loin du projet initial et de ma volonté de faire des études courtes!

Le plus important c’est de se former pour acquérir des outils qui seront valorisables dans différents domaines. Il y a une différence entre la formation professionnelle et les envies personnelles je pense. On voit trop d’étudiants qui restent centrés sur un modèle d’étude, souvent les éléphants et les baleines!! Ce qui compte, c’est de maitriser des outils et des concepts. Ensuite, chacun(e) pourra chercher à valoriser ses compétences auprès d’un groupe taxonomique précis, même si ce n’est que secondairement. Si l’on souhaite s’orienter vers des thématiques qui nécessitent une vraie compétence naturaliste/entomologique, comme cela peut être le cas pour des systématiciens, il faut essayer de se former le plus tôt possible sur un groupe d’organismes particuliers. Les stages de recherche seront l’occasion de donner une touche plus entomologique à sa recherche.

Il faut ensuite s’orienter vers les Universités et les Masters où l’acquisition de ces connaissances et de ces compétences sont reconnues et surtout ne pas hésiter à discuter avec plusieurs enseignants-chercheurs et chercheurs qui connaissent bien le contexte national et international, les labos reconnus, les formations et les encadrements efficaces et solides. Ca permet aussi de mieux percevoir les filières où il y a un potentiel d’emploi.

  • L’entomologie a de multiples domaines d’application : agro-écologie, médecine, biomimétisme, génétique, systématique, etc. Pour toi, quelles sont celles qui vont se développer au cours des 10-20 prochaines années ?

Les politiques nationales et européennes nous poussent toujours plus vers une vision utilitaire de la science alors, même si l’on peut le regretter (la vocation première de la recherche n’est pas nécessairement de fournir des produits finis directement valorisantes par une entreprise), tout ce qui est en lien avec des problématiques sociétales est clairement en expansion. Un sujet en vogue est l’utilisation des insectes à des fins alimentaires, que ce soit pour les humains ou pour les animaux. Il me semble que ce soit un sujet porteur même s’il n’y a pas encore de formation associée.

Bien sûr, la dégradation de notre environnement n’est pas prête de ralentir malheureusement, donc des problématiques d’ordre environnemental au sens large (protection de la biodiversité, gestion des services écosystémiques, invasions biologiques…) seront amenées à se développer je pense.

Enfin, tout ce qui est lié de près ou de loin aux problèmes sanitaires me semble avoir encore de belles années en perspectives, en raison notamment des modifications de répartition des espèces et des populations d’insectes sous l’influence du changement climatique par exemple. La vectorisation de maladie par les insectes, que ce soit au niveau végétal ou animal, a des incidences économiques et sociales monumentales.

  • Peux-tu raconter une anecdote sur ton travail de scientifique? Par exemple, sur une découverte inattendue

Il y a quelques années nous avons découvert que des petites chenilles étaient capables d’empêcher les feuilles de vieillir en quelque sorte afin de prolonger leurs capacités d’alimentation. A l’issue d’une conférence grand public que j’avais réalisé à Paris, j’ai été littéralement assailli par un groupe de personnes d’un certain âge qui voulaient connaître le « secret » de cet antivieillissement et la possibilité d’incorporer des extraits de chenilles dans des crèmes anti-âges… Depuis, cette conférence s’intitule « Quand les insectes apprennent aux plantes le secret de la jeunesse éternelle », je fais salle comble à chaque fois!!

Quant à la crème de jouvence, c’est encore de la fiction, mais on y travaille…

Publications majeures de David GIRON :
  • Giron D., et al. (2013) : Cytokininsas key  regulators in plant-microbe-insect interactions : connecting plant growth and defence. Functional Ecology, 27:599-609
  • Kaiser W., Huguet E., Casas J., Commin C. & Giron D. (2010) : Plant green-island phenotype induced by leaf-miners is mediated by symbionts. Proceedings of the Royal Society, London B277:2311-2319
  • Casas J., Pincebourde S., Mandon N., Vannier F., Pujol R. & Giron D. (2005) : Lifetime multidimensional nutrient dynamics in a simultaneous capital and income breeding parasitoid insect. Ecology, 86:545-554
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One thought on “Interview de David GIRON (IRBI-Université de Tours)

  1. Bonjour,

    Merci pour ce site et les informations données.
    Je voudrai rentrer en contact avec vous pour un projet sur l’entomofaune de la Guyane française.
    Je souhaiterai dans la mesure du possible avoir les courriels de Ms David GIRON et Patrice BOUCHARD également.

    En vous remerciant d’avance.

    PRÉVOTEAU Jean-Marie

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