Thyreophora cynophila : le retour improbable de la mouche à tête orange !

Thyreophora cynophila : le retour improbable de la mouche à tête orange !

Par Benoît GILLES
Défi naturaliste d’Halloween 

Défi naturaliste pour Halloween : D’octobre à mars, venu le froid de l’hiver, dans les orbites d’un vieux cadavre, saurez-vous trouver la « mouche à tête de citrouille », Thyreophora cynophila ?

L’extinction d’espèces est un signal funeste. Pour autant, il arrive que des espèces considérées éteintes « ressuscitent ». C’est le cas de la mouche à tête orange, Thyreophora cynophila.

T. cynophila est une spécialiste de vieilles carcasses de gros mammifères sauvages ou domestiques. Elle ne vole qu’à la saison froide avec des adultes qui se réfugient dans les orbites, la bouches, les naseaux, les oreilles des cacavres frais. Ses larves sont réputées se nourrir de la moelle des os.

Disparu pendant plus d’un siècle et demi des registres entomologiques avant d’être redécouverte en Espagne (lien) puis en France (lien). Les observations produites l’an dernier grâce à Faune France et d’autres réseaux d’observateurs confirment qu’elle est encore présente dans les Pyrénées.

Son aire de répartition est-elle réduite à ce massif ou est-elle présente aussi dans le Massif central, les Alpes, les Vosges, le Jura, la Corse, voire ailleurs ? Votre attention de naturaliste, randonneur, éleveur, chasseur, forestier peut répondre à cette question. Cet hiver, si vous trouvez une carcasse, examinez la et photographiez les mouches pour parvenir votre observation à laurent.pelozuelo@univ-tlse3.fr

Elle peut aisément être identifiée par un néophyte – il faut « juste » une appétence pour les sorties hivernales, le courage de se pencher sur un cadavre, la fortune de sa rencontre et un smartphone ou appareil photo.
Les données peuvent être envoyées avec cliché à l’appui ou être saisies sur Faune France.
 
N’hésitez pas à consulter et diffuser les documents laissés sur ce we transfer dans vos réseaux (auprès des collègues de labo, des naturalistes, gestionnaires d’espaces naturels, éleveurs, randonneurs, mushers, chasseurs, forestiers…), au niveau national et au-delà. De vieilles données existent en Autriche, Allemagne, Algérie, l’espèce pourrait être également présente ailleurs en Europe.
 
En vous souhaitant de belles évasions hivernales sur les traces de T. cynophila.
 

Voila plus de 160 ans que la tête orange d’un spécimen de la mouche Thyreophora cynophila n’avait pas été observée ! Cette espèce de la famille des Piophilidae (photos ci-dessous), décrite en 1798 par le botaniste et entomologiste G.W.F. Panzer (1755-1829), avait été observée pour la dernière fois près de Paris en 1840. Sa présence avait été constatée auparavant en Allemagne, en Autriche et en France.

Son absence durant toutes ces décennies lui a valu son inscription dans la liste des animaux européens considérés éteints, faisant de cette mouche l’unique représentant de l’ordre des Diptères tenu comme disparu et le seul cas constaté d’éradication par l’homme.

Sa réapparition constitue donc un événement exceptionnel. C’est durant une campagne d’études et de piégeages d’insectes sarcosaprophages, menée par l’entomologiste espagnol D. Martin-Vega dans la région de Madrid, qu’un jour de janvier 2007, lors de relevés de pièges, 6 individus de T. cynophila sont apparus aux yeux des chercheurs parmi des centaines de spécimens d’autres espèces de mouches.

Ces nouveaux spécimens viennent s’ajouter aux 16 autres connus à ce jour et présents dans les collections d’Europe, ces 8 mâles, 7 femelles et un sexe non déterminé, étant répartis dans sept Museum d’Histoire Naturelle européens : 4 à Paris, 4 à Vienne, 2 à Halle (Saale), 2 à Stockholm, 2 à Berlin, 1 à Copenhagen et 1 à Londres.

Spécimen de Tyreophora cynophila – février 2007 : A) Spécimen de profil – B) Spécimen de dessus (Source : Martin-Vega et al., 2010)

 

Biologie et écologie de Thyreophora cynophila

En plus de son apparence singulière (voir photos ci-dessus), le cycle de vie et la biologie de T. cynophila sont également étonnants à plus d’un titre. Les mouches adultes sont attirées par les carcasses de gros mammifères au stade de putréfaction (avec une préférence pour les ongulés comme les chevaux et les ânes), où les larves se développent dans les os de grande taille. Contrairement à la très grande majorité des autres espèces de mouches, le cycle phénologique (cycle lié aux conditions climatiques) de T. cynophila se déroule en hiver. Les individus, nocturnes, sont actifs entre les mois de janvier et de mars. Plusieurs sources, comme l’entomologiste et le diptériste français Justin Pierre Marie Macquart (1776-1855) en 1835, rapportent que la tête possèderait une capacité de bioluminescence. Le faible nombre d’observations fait que la biologie, le cycle de développement et l’écologie de cette espèce demeurent toutefois en très grande partie inconnus.

 

Source photos : Juan Carlos Santiago – Biodiversidadvirtual.org

Cause d’une disparition et mesures de protection

La disparition de ces mouches proviendrait de la somme de multiples événements. D’après Menier (2003), l’extinction possible de T. cynophila résulterait de la disparition des grands prédateurs, comme le loups, en Europe de l’Ouest, capables de briser et d’écraser les os de grande taille dans lesquelles les larves se développent, rendant inaccessible la principale source de nourriture de T. cynophila. Pour Linder (1949), la phénologie particulière de l’espèce la rendrait invisible aux yeux des entomologistes qui limitent leurs observations et leurs collectes durant l’hiver, et notamment sur les carcasses.

S’ajoute à cela, l’augmentation des activités humaines entrainant pollution, fragmentation des milieux, introduction d’espèces invasives et changement climatique qui bouleversent les populations d’insectes, voire leur disparition, bien que cela reste difficile à constater. Par exemple, Dunn (2005) estime que près de 44 000 espèces d’insectes auraient disparu au cours des 600 dernières années, alors que seulement 40 extinctions sont avérées !

La découverte de plusieurs spécimens de Thyreophora cynophila pose la question de la viabilité de la population et des mesures à prendre pour sa conservation et son maintien. Il s’agirait de préserver un environnement offrant une quantité de cadavres suffisante, chose difficile depuis la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine en Europe.

Comme l’a indiqué le diptériste russe Sergey Paramonov (1894-1967) en 1954, il est probable que l’espèce ne soit pas si exceptionnelle que cela dans la nature, mais seulement que leur collecte soit rare. Qui irait, en effet, collecter des mouches, la nuit, en plein hiver sur de gros cadavres ?

Vidéo

Source

Martin-Vega D. ; Baz A. & Michelsen V. (2010) : Back from the dead : Thyreophora cynophila (Panzer, 1798) (Diptera : Piophilidae) « Globally extinct » fugitive in Spain. Systematic Entomology, 35:607-613 (lien)

D’autres espèces de mouches surprenantes
Diopsidae
Diopsidae, espèce non déterminée, Singapore (Source : Nicky Bay – Flickr)
Celyphidae
Paracelyphus hyacinthus (Source : Anthony KeiC Wong-Flickr)
 
Recommandations d’ouvrages sur cette thématique

2 thoughts on “Thyreophora cynophila : le retour improbable de la mouche à tête orange !

    1. Une bonne question que je crois ne trouvera pas de réponse… Avoir une tête orange doit certainement apporter un avantage sélectif, savoir lequel est compliqué, des études doivent pour cela être réalisée.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Contribuer au magazine

Vous pouvez à l'aide d'un don, quel qu'il soit, soutenir le développement du Magazine et contribuer à la sensibilisation du plus grand nombre à la préservation des insectes.

Propulsé par HelloAsso