Un grand nombre d’espèces animales ont développé la capacité à estimer et à déterminer la distance des objets et la profondeur de champ en combinant et en analysant l’information visuelle provenant de l’image perçue par chacun de leurs yeux sous un angle différent : c’est la vision stéréoscopique (aussi appelée 3D). Cette faculté leur procure un avantage certain dans la perception de leur environnement, à la fois pour le déplacement et la capture des proies.
Pour obtenir une image 3D précise, les yeux doivent être positionnés sur un même plan à l’avant de la tête : une organisation que l’on retrouve chez les espèces prédatrices comme les félins ou les rapaces nocturnes, ou également chez les primates.
Autant le fonctionnement de la vision stéréoscopique chez les vertébrés est aujourd’hui bien décrit et compris, autant celui des invertébrés, comme les insectes, demeure lacunaire en raison de la difficulté à mener des expérimentations à leur échelle.
Les deux lignées divergeant phylogénétiquement depuis des centaines de millions d’années, il est probable que le fonctionnement du système visuel des insectes soit fondamentalement différent de celui des vertébrés. Il est donc intéressant de découvrir les différentes solutions mises en place par la sélection naturelle chez ces espèces en réponse à une même contrainte adaptative, compte tenu de la relative simplicité du système nerveux des insectes.
Pour répondre à ces interrogations, une équipe de scientifique anglais et français, menée par Vivek Nityananda de l’Institut de Neuroscience de Newcastle, a entrepris en 2015 des expérimentations consistant à créer un cinéma 3D pour mantes-religieuses !
Après avoir fixé des lunettes 3D sur les yeux composés des insectes (lire cet article) avec de la cire d’abeille (voir photo ci-contre), les scientifiques ont fait défiler des images, où seules celles en 3D étaient visibles par les insectes et ont observé leur comportement (attaque ou non).
Leurs résultats ont montré dans un premier temps que les mantes-religieuses ne déclenchaient un comportement d’attaque que lors du passage d’objets 3D mobiles (voir photo ci-contre et vidéo en bas d’article). Ce résultat confirme qu’elles utilisent bien une vision stéréoscopique pour capturer leur proie.
Puis, en modifiant les conditions et les paramètres expérimentaux, les scientifiques ont mis en évidence, contre toute attente, que les informations de couleur ne seraient pas utilisées par ces insectes. Ainsi, contrairement à d’autres insectes, les mantes-religieuses possèderaient une vision monochromatique (sensible à une seule longueur d’onde, ou à une bande étroite du spectre lumineux) et seraient aveugles aux différences spectrales (longueur d’onde) provenant des images des deux yeux. Leur vision stéréoscopique ne reposerait donc que sur la détection des mouvements de la proie.
L’acquisition de ces informations sur la vision stéréoscopique des insectes vont être utiles pour décrire de nouveaux mécanismes biologiques, qui traduits en algorithmes, permettront de mettre au point et d’adapter des systèmes de perception de la profondeur de champ plus simples, appliqués en robotique.
Source :
– Nityananda V. ; Tarawneh G. ; Rosner R. ; Nicolas J. ; Crichton S. & Read J. (2015) : Insect stereopsis demonstrated using a 3D insect cinema – Scientific reports 6:18718 (lien)