Par Benoît GILLES
Comment devient-on restauratrice de collections d’insectes ?
Connaissez-vous cet enfant toujours le nez dehors, qui adore mélanger du sable avec des cailloux et quelques feuilles odorantes et laisser reposer le tout – sans surtout que personne ne touche – pour voir ce que cela donne dans une semaine ?
Cet enfant qui en grandissant passe des heures dans le jardin à observer les sauterelles, leur anatomie et leur biologie ? Et bien c’était moi ! Rapidement accrochée par la diversité des insectes, ils m’ont vite fascinée. Il y a toujours à apprendre avec les insectes, c’est sans fin. Mieux : pour les insatiables un peu fainéants comme moi, il n’est pas compliqué d’apprendre, il suffit d’aller dans le jardin ! C’était comme une immense bibliothèque de petits et grands trésors, de liberté, de beauté et de découvertes.
Horrifiée par la pollution dans les années 1990, je voulais avant toute chose que mon métier serve à protéger l’environnement, c’est tout naturellement que je me suis dirigée vers la biologie de l’environnement à l’université. Mais arrivée en L3, le monde de la recherche en Université ou en laboratoire où je réalise un stage à l’INRAE de Versailles sur la biochimie des insectes « envahisseurs » ne me convient pas. Trop structuré, je n’y trouve pas l’envie de m’investir plus avant.
Alors je prends un an pour réfléchir. Je travaille au Muséum de Nantes en tant que surveillante de salle. J’y découvre la bibliothèque, les expositions, mais surtout les réserves. Elles contenaient des trésors semblables à ceux du jardin de mon enfance : pleins de petits objets divers et variés avec chacun sa propre histoire naturelle, mais aussi humaine. Comment cet objet était-il arrivé là et pourquoi ? En parlait-on dans un ouvrage ancien de la bibliothèque ? Dans un compte rendu associatif du XIXe ? Avait-il connu le premier Muséum ? Avait-il connu les bombardements ?
J’ai aussi eu l’occasion d’être veilleur de nuit au Muséum. Les meilleurs moments de ma vie : enfermée sans n’avoir aucun objectif que de surveiller et… lire les livres de la bibliothèque ou regarder les collections en vitrine.
Un nouvel univers s’ouvrait à moi.
4 ans plus tard j’ai en poche deux Masters : un en Muséologie des sciences auprès du MNHN et un en histoire des sciences auprès de l’Université de Nantes.
Pourquoi en muséologie ?
La muséologie fait pour moi le lien entre culture et science, ce que je recherchais à cette époque. C’est ce qui m’avait manqué à l’INRAE ou à l’Université : la culture patrimoniale. Je croise alors entomologie et culture muséale scientifique et tombe naturellement sur… les collections d’insectes (figure 2). Ce monde merveilleux qui recoupe mes chasses enfantines dans le jardin avec plein de petits insectes à observer, et l’histoire de ces boites d’insectes et des armoires ouvertes au Museum de Nantes.
Seule intéressée dans la classe par les réserves muséales, je développe mes stages sur ce sujet et part en Suisse à plusieurs reprises (figure 3). Neuchâtel, accueille une école sur la conservation des collections. À Bern, le centre de recherche sur la conservation des collections. Enfin, je suis logée dans une maison en même temps qu’un célèbre professeur de muséologie, avec qui nous avons eu de bonnes discussions sur la notion de collection, de collectionneur, et tout ce que cela suppose en matière de recherche scientifique.
Pourquoi aussi un diplôme en histoire des sciences me demanderez-vous ?
Tout simplement parce que devoir étudier et analyser une collection, pas seulement ce qu’elle contient, mais aussi comment elle a été construite, demande un certain recul, une certaine analyse technique et une rigueur scientifique qui appartient aux historiens : l’analyse des sources primaires et secondaires, la mise en relation des éléments, la compréhension globale d’un collectionneur, d’une collection et sa contextualisation. Cette année d’étude m’a aussi confortée sur un point : grâce à mes professeurs en histoire des sciences que j’admire énormément, j’ai compris que la culture scientifique fait partie intégrante de la culture plus classique, des beaux-arts par exemple. Oui, l’étude des outils entomologiques utilisés depuis le XIXe est un sujet de recherche.
À la suite de mes études, j’ai travaillé auprès de différentes institutions, mais sur le long terme, ce type de contrat m’épuise, je me sens enfermée, comme prisonnière. Un peu têtue et bien décidée à faire ce que j’ai envie de faire, je monte mon entreprise, Actias en 2016.
L’objectif est de venir en soutien aux structures muséales, en mettant à leur service mon approche de l’entomologie : scientifique, historique et humaine.
Pendant 3 ans, cela m’a apporté 50% de mes revenus en travaillant à l’échelle régionale. Et j’ai eu un petit garçon, j’ai donc mis un peu Actias de côté pour m’occuper de ma famille. Aujourd’hui, je suis bien décidée à en faire mon métier à temps plein.
En quoi consiste ton métier ?
1) Ranger pour comprendre
Ma mission préférée, de loin, c’est quand on m’appelle pour me dire « Aline, c’est le bazar, je ne comprends rien, je ne sais pas quoi faire de toutes ces boites ! ». Dans ce cas, mon objectif est simple : identifier, nommer, ranger, nettoyer, classer. Les collections scientifiques (entre autres) sont dans les musées pour faire des expositions… mais aussi parce que ce sont des témoignages d’un travail, d’études, de recherches. Bizarrement, cette partie n’est jamais expliquée, revenons sur ces deux objectifs.
On peut utiliser une collection muséale d’insectes pour faire une exposition permanente ou temporaire. Les insectes sont toujours présents dans quasiment toutes les expositions, quel que soit le thème : le plus fort, le plus coloré, présent dans tel tableau, symbole de ceci ou de cela. L’entomologie souffre de méconnaissance. Il est donc indispensable aujourd’hui de vulgariser la science des insectes pour en parler au plus grand nombre. Mais c’est aussi un monde merveilleux plein de surprenantes informations que les différents publics adorent écouter.
En ce qui concerne la mise à disposition des données scientifiques, c’est un sujet plus qu’important, et méconnu. Une réserve muséale comporte des boites d’insectes étiquetées (figure 4). Elles possèdent des informations sur les lieux de collecte, date de capture, et sur le récolteur. Au moins. Pour comprendre pourquoi c’est important, un petit exemple : si je capture une panthère des neiges au Népal au XIXe siècle, c’est très intéressant, mais pas surprenant. Si c’est au Népal en 2022, c’est encore plus intéressant, car la bête devient rare. Mais si je capture cette panthère des neiges à Paris dans le métro un 14 juillet 2021, c’est très bizarre, et demande une étude de cas. Voyez comme les informations de lieux et date sont importantes.
Après avoir rangé, et classé les collections, il faudra les valoriser et les mettre à disposition de la recherche : universités, CPIE, associations naturalistes, MNHN. Ceci afin de continuer à mieux comprendre notre environnement, et mieux le protéger.
2) Restaurer pour conserver
Chaque objet demande des conditions de conservations particulières (figure 5). Vous ne rangez pas le beurre et votre orchidée tropicale au même endroit, n’est-ce pas ? C’est pareil pour les collections d’insectes, elles ont leurs exigences en matière de conservation. Si cela vous intéresse, vous pouvez aller voir sur mon site les meilleures conditions de conservation. Mais parfois, elles subissent des dommages : infestation d’insectes ravageurs de type Dermestidae qui dévorent littéralement les insectes séchés, chute de boite, bris de glace (figure 6). Pour tous ces problèmes, il y a une solution. Touchant ici au domaine de la restauration, c’est une casquette que j’ai été chercher au contact des entomologistes eux-mêmes.
Savez-vous où on apprend à recoller les ailes d’un papillon ? Nulle part.
Savez-vous comment on traite les moisissures sur un insecte du XIXe ? Personne ne le sait. Ou bien ils ne sont pas nombreux, et ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas d’école pour cela.
Mes amis entomologistes ont fait perdurer un savoir presque perdu, confidentiel, qu’ils ont appris des anciens et ils ont travaillé bénévolement pendant plus de 30 ans. Parfois bien plus. Ce sont eux qui me l’ont transmis.
Aujourd’hui, j’associe mes connaissances en muséologie, mes formations au sein de taxidermistes agréés Musées de France, mes formations à l’étranger et ce savoir à la fois ancien et « maison » pour réparer les dommages des collections. Et j’en apprends tous les jours sur les matériaux, les outils, auprès de mes collègues restauratrices des beaux-arts et des naturalistes (figure 7).
3) Vulgariser pour sauver
Nous avons tous un impact sur les insectes, et nous avons tous un super pouvoir : celui de les mettre dehors plutôt que de les écraser. Mieux : mettre dans un bocal, observer, aller chercher un livre pour comprendre… avant de les mettre dehors.
Il n’y a pas d’âge pour s’intéresser à la nature et aux insectes.
J’ai réalisé des animations en nature ou en musée, rémunérées ou bénévoles en association, dans les écoles ou les universités. Aux petits de 3 ans, aux ados de 15, aux parents de 40 et aux plus âgés de 70 ans. Je le faisais par plaisir, bénévolement souvent.
Aujourd’hui, j’ai décidé de l’ajouter à mes compétences d’Actias, car cela remplit la mission de départ : protéger l’environnement. Si je sensibilise un enfant de 5 ans aux insectes, peut être agira-t-il sur toute sa famille pour ne pas tuer la punaise entrée par inadvertance dans la maison ? Ou décider plus tard de ne pas mettre d’insecticide dans son jardin ? Souvent mal considérée, l’animation scientifique a un énorme rôle à jouer dans la sauvegarde de notre milieu de vie. Ce ne sont pas uniquement les chercheurs et les musées qui feront la différence. Ce que l’on ne connaît pas peut faire peur, et on ne peut pas protéger quelque chose que l’on ne connaît pas.
4) Mieux connaître les entomologistes
Espèce rare s’il en est, l’entomologiste n’a pas une passion ou un métier très connu en France. Oui, c’est différent ailleurs ! Au Canada, en Suisse c’est un métier comme un autre.
Du moins, on ne vous regarde pas avec de grands yeux en se demandant si vous vous nourrissez secrètement d’insectes dans un vieux musée poussiéreux ou si vous avez des insectes dans votre lit. Non, l’entomologiste étudie les insectes. Dans un bureau ou dehors. Comme tout le monde.
Cette petite introduction pour aborder un sujet beaucoup plus sérieux : qui sont les entomologistes amateurs en France en 2022 ? Quels sont les Ordres les plus étudiés ? Quel matériel utilisent-ils ? Quelles techniques de récolte utilisent-ils ? Quelle est la quantité et la qualité des collections privées en France aujourd’hui ? Surprise : on en sait bien peu. Nous avons lancé avec Recolnat un premier méta inventaire des collections entomologiques en Pays de la Loire. Vous pouvez consulter le travail ici (lien).
Ce méta inventaire piloté par le MNHN a permis de sauver trois collections, dont deux sont entrées dans des musées. Une est encore en péril. Ces collections sont connues des entomologistes, des musées, mais une fois le collectionneur disparu, qui s’occupe de la collection ? Elle peut être vendue, mais c’est alors porte ouverte aux dislocateurs ou à la mode du cabinet de curiosité. Autant dire que la collection et ses données scientifiques sont perdues. Elle peut être donnée à un ami ou collègue. Mais c’est plutôt rare.
Alors elles finissent à la poubelle. Tant de travail, de temps passé, de recherches réduites à néant.
Autant vous dire que cela me révolte. J’entreprends donc de plus en plus de sauvetages de collections. Bien entendu, chaque collection possède ses atouts et ses faiblesses. Il faut connaître les acteurs du milieu, le réseau entomologique et avoir des collègues formidables pour sauver ces collections. Mais ça en vaut la peine.
Pour suivre Aline :
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Bravo, continue tu es sur bonne route, tu vas y arriver, mais je serais parti au pays des mes chères manges crottes des coccI ect……
Un vieux Bonhomme et ami
Alain