Marie-Anne Wycke
Introduction du frelon asiatique en France
Vespa velutina, un frelon invasif provenant du sud-est de l’Asie, est répandu du Népal et du nord de l’Inde jusqu’à l’est de la Chine, dans la péninsule indochinoise et l’Indonésie. Dans les années 2000, il a été signalé en Corée où son expansion est probablement limitée par la compétition exercée par les six autres espèces de frelons présentes localement.
Il est arrivé en France avant 2005, année de la découverte des premiers individus dans le Lot-et-Garonne. L’hypothèse actuelle de cette arrivée impliquerait l’importation de poteries chinoises en provenance de Yixing, ville de la province du Jiangsu. Il est vraisemblable que ce frelon ait été introduit accidentellement dans les cartons de poteries chinoises qu’un producteur importait régulièrement. En effet, puisque le transport de marchandise par bateau ne dure qu’un mois, le transport de fondatrices à l’intérieur des cartons aurait pu se faire sans compromettre leur survie, dans le cas où elles auraient été expédiées au cours de l’hiver.
Depuis sa découverte en France, l’expansion du frelon asiatique a été cartographiée grâce aux signalements enregistrés dans la base de données de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN). Moins de deux ans après sa découverte, en 2006, il était déjà présent dans 13 départements du sud-ouest de la France. Actuellement, la zone envahie couvre environ 70% du territoire français et la progression du front invasif est de quelque 100km par an.
Biologie
Le frelon à pattes jaunes (Vespa velutina nigrithorax) est un insecte social originaire de la région de Shangaï en Asie. Sa « face » est orange et ses pattes sont jaunes aux extrémités. Son thorax est entièrement brun)-noir ; les segments abdominaux sont brunes et sont bordés d’une fine bande jaune. Le quatrième segment de l’abdomen est entièrement jaune orangé. Il mesure entre 17 et 30 mm (toutes castes confondues). Il est plus petit que le frelon européen Vespa crabro, qui, lui, possède une « face », un corps fauve, jaune et noir et un abdomen rayé jaune et noir et mesure jusqu’à 40 mm (voir photo ci-contre et illustration ci-dessous).
Le frelon asiatique vit en colonie dans des nids de « papier mâché » dont la construction débute au printemps. Tout au long de la saison, d’avril à décembre, les ouvrières prélèvent des fragments de bois qu’elles malaxent en y ajoutant de la salive. Elles déposent ensuite ce mélange sous la forme de languettes sur le nid en construction. Chaque nid est constitué d’une enveloppe externe et de galettes horizontales parallèles, reliées entre elles par des piliers. Chaque galette porte sur sa face inférieure les alvéoles, où les larves sont en développement, ouvertes vers le bas.
Les sites de nidification se retrouvent dans divers endroits, comme des buissons, des cabanes ou des bâtiments ouverts, des creux de façades, mais également dans des arbres à toutes les hauteurs, et même jusqu’à plus de 20 m de hauteur.
En France, la durée de vie d’une colonie est en général comprise entre 6 et 8 mois. Une colonie est fondée par une seule reine. Celle-ci a été fécondée à l’automne précédent et a passé l’hiver en phase diapause protégée du froid par exemple sous un toit ou dans des souches de bois morts. Au printemps, cette femelle, future reine de la colonie (on parle de « fondatrice ») ébauche un début de nid, pond quelques oeufs et nourrit les premières larves qui deviendront les premières ouvrières de la colonie. Celle-ci se développe rapidement avec l’établissement d’une division des tâches entre la reine, qui s’occupe exclusivement de la ponte, et les ouvrières, qui s’occupent de toutes les autres tâches (prédation, construction du nid, défense du nid et entretien des larves).
La colonie est principalement constituée de femelles à cette période. En été, avec l’augmentation des températures et l’enrichissement des ressources à disposition, son activité s’accroit et la taille du nid augmente. Vers la fin de la saison, au début de l’automne, la reine pond des oeufs destinés à devenir des individus reproducteurs. Les femelles reproductrices, appelées gynes, s’accouplent avec plusieurs mâles, que l’on reconnait à leur absence de dard, puis se dispersent ensuite dans l’environnement. Elles se mettront en phase de diapause en attendant le printemps. Un déclin rapide de la colonie commence avec la mort de la reine vers le mois de novembre. Seule une partie des gynes passera l’hiver (voir cycle biologique ci-dessus)
Régime alimentaire
V. velutina, comme d’autres Vespinae, est un prédateur et/ou charognard opportuniste qui se nourrit d’une grande variété d’insectes et d’araignées, ainsi que de viande provenant de carcasses de vertébrés.
Les ouvrières collectent des glucides sur des plantes (nectar de fleurs, fruits ou sève des arbres) pour s’alimenter ou pour nourrir les premiers stades larvaires au sein de la colonie. De même, elles peuvent stimuler des larves dans le nid, qui en retour produisent une gouttelette riche en nutriments que les ouvrières vont lécher. Elles collectent aussi des boulettes de chair qui seront consommées par les larves en développement. L’analyse de ces boulettes montre que le spectre de proies capturées par V. velutina est diversifiée. Il comprend une grande diversité d’insectes, avec une nette préférence pour les hyménoptères sociaux (abeilles domestiques : 37%, guêpes communes : 18%) et des diptères (mouches) (34%) essentiellement floricoles (Syrphidae) et nécrophages (Calliphoridae, Muscade) (voir infographie ci-dessous).
Par ailleurs, le spectre de proies du frelon varie en fonction de l’environnement du nid : urbanisé, agricole ou forestier. En milieu urbanisé où la diversité des proies disponibles est plus faible, la prédation du frelon sur les abeilles domestiques apparait plus fortes : elles représentent plus de 70% des proies.
Impact de l’introduction de Vespa velutina nigrithorax
Le frelon à pattes jaunes s’est rapidement fait connaître de par ses nids de taille imposante atteignant jusqu’à 1 m de haut et 70 cm de large, ainsi que par sa prédisposition à chasser de nombreux insectes et notamment les abeilles devant les ruches. A cause de son activité de prédation et de la taille de ses nids, au moins trois fois plus populeux que ceux du frelon d’Europe Vespa crabro, V. velutina exerce une pression beaucoup plus importante que le frelon européen.
Il pose un grave problème au niveau écologique. En effet, étant donné qu’il s’attaque à des proies variées, il pourrait diminuer le niveau de ces populations d’insectes et présenter un impact sur de nombreuses chaines alimentaires.
En France, il a acquis rapidement le statut de prédateur majeur des abeilles dans le milieu apicole. L’impact du frelon sur les populations d’abeilles représente un coût pour l’apiculture, probablement en termes de réduction de production de miel et de perte de colonies, et pourrait avoir aussi des conséquences sur les services de pollinisation que les abeilles assurent, sans parler de son impact sur les pollinisateurs.
Le frelon représente aussi une menace indirecte pour la biodiversité en raison de l’impact négatif des campagnes incontrôlées de piégeage non sélectif et du mode de destruction des nids. Les pièges, à appâts alimentaires tuent en effet de nombreux insectes non-cibles, notamment les guêpes communes, le frelon d’Europe, des mouches ou de nombreux papillons, tandis que les nids traités à l’insecticide et laissés en place menacent l’entomofaune et l’avifaune à proximité.
Il représente également un risque potentiel pour l’homme. En effet, le frelon a un comportement agressif dans un rayon d’une dizaine de mètres autour de son nid. De plus, il niche n’importe où contrairement à Vespa crabro (tant au sommet des arbres que sous les toits ou dans les buissons). Bien qu’aucune augmentation significative de cas de piqûres d’hyménoptères n’ait été recensée dans les départements infestés, l’extension de sa distribution à travers la France et les pays voisins pourrait constituer un problème sanitaire.
Lutte contre le frelon asiatique
Plusieurs méthodes de lutte peuvent être envisagées :
La destruction des colonies semblent être la méthode la plus efficace. Cependant, la détection suffisamment précoce des nids de Vespa velutina est extrêmement complexe. En effet, de nombreux nids, situés à la frondaison des arbres, ne sont détectés qu’à l’automne après la chute des feuilles. Le piégeage est donc largement préconisé.
Les pièges classiquement mi en place actuellement ont en commun l’utilisation d’appâts alimentaires, sucrés ou protéinés. Ils sont généralement constitués d’un mélange de bière, de vin blanc, de sirop de fruits rouges, de sucres et/ou de miel. Le problème, c’est que ce genre d’appâts sucrés n’est pas spécifique et attire toutes sortes d’insectes différents. En effet, dans ces pièges, où les insectes se noient dans l’appât, on trouve principalement des mouches, des papillons, des guêpes, des abeilles, des frelons européens et quelques frelons asiatiques. Ces pièges sont relativement peu efficaces. Cette solution n’est pas adaptée sur le long terme pour combattre l’invasion de Vespa velutina et n’est pas sans conséquence sur la biodiversité. Il est donc primordial de trouver une alternative aux appâts alimentaires. Un des problèmes principaux des campagnes de piégeage est qu’il existe actuellement aucun piège totalement sélectif.
L’étude des composés volatils pourrait apporter une solution à cette question. En effet, des volatils émis par différentes sources (des proies, des congénères, des plantes, etc.) pourraient attirer le frelon et donc être utilisés pour concevoir un appât efficace.
L’étude de l’écologie chimique des insectes est menée dans le but de comprendre leurs systèmes de communications chimiques et de développer des méthodes et des techniques pour lutter contre des espèces « nuisibles ». Une telle utilisation de substances chimiques (phéromones et/ou autres) a mis en évidence des éléments prometteurs pour détecter, surveiller et gérer les insectes. L’établissement d’un partenariat chercheur – entreprise est dans ce cadre primordial pour l’étude et la commercialisation d’un produit de lutte.
Dans le cadre d’un projet financé par la région Centre Val de Loire (projet » FRELON 2« , 2015-2018), et en collaboration avec l’entreprise Véto-pharma, notre équipe (Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte – IRBI, Université de Tours – CNRS) analyse et identifie les composés chimiques volatils émis par les frelons par des techniques de chromatographie (GC-FID et GC-MS/MS). Ces composés sont ensuite testés pour analyser leurs effets sur les insectes (attractivités ou répulsivité) grâce à des tests comportementaux dans des dispositifs adaptés (tube en Y et tunnel de vol). Dans le tube en Y, il est possible de mettre en évidence une attraction ou une répulsion de l’insecte face à un grand nombre de produits. Dans le tunnel de vol, il est possible d’observer la séquence comportementale des frelons face aux molécules testées et ainsi d’analyser la fonction de chaque molécule dans le système de communication de l’espèce (phéromone d’agrégation, phéromone d’alarme, phéromone sexuelle, etc.).
Cette étude devrait permettre de mettre au point un piège efficace contre le frelon asiatique, grâce à l’utilisation d’un appât attractif à base de différents volatils (lire la note de l’OPIE et de FNE sur les pratiques néfastes du piégeage précoce – bas de page). Ces expériences sont menées au laboratoire et sur le terrain en conditions réelle de piégeage. Le dispositif en cours de développement pourra être utilisé pour protéger divers endroits, comme les ruchers et des sites fréquentés par le public, mais aussi, et surtout pour lutter de manière large contre cette espèce invasive.
Marie-Anne Wycke est doctorante à l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (IRBI) à l’Université de Tours et travaille sur le frelon asiatique depuis novembre 2015. Suite à une double Licence (Biologie et Psychologie) et un Master Recherche en Ethologie – Paris 13 Villetaneuse – Marie-Anne a travaillé un an à l’INRA puis une autre année à l’Université Pierre & Marie Curie sur des thématiques entomologiques (abeilles et papillons nocturnes).
Passion-Entomologie souhaite vivement remercier Marie-Anne, Eric Darrouzet (MC- IRBI) et Jérémy Gévar (IE – IRBI), qui ont accepté d’écrire cet article à la fois synthétique et pertinent, avec passion et professionnalisme.
Pour en savoir davantage :
- http://frelonasiatique.univ-tours.fr/projet
- http://frelonasiatique.mnhn.fr
- Groupe Facebook : Vespa velutina nigrithorax
Source :
– Arca M. et al. (2015) : Reconstructing the invasion and the demographic history of the yellow-legged hornet, Vespa velutina, in Europe. Bio. Invasions 17:2357-2371 (lien)
– Rome Q. ; Sourdeau C. ; Muller F. & Villemant C. (2013) : Le piégeage du frelon asiatique Vespa velutina nigrithorax. Intérêts et dangers (lien)
– Darrouzet E. (2013) : Les insectes bâtisseurs : Les insectes bâtisseurs : Nids de termites, de guêpes et de frelons. Editions Connaissances & Savoirs – p110
– Beggs J.R. et al. (2011) : Ecological effects and management of invasive alien Vespidae. Biocontrol 56(4), 505-526 (lien)
Ouvrages sur cette thématique
– LES INSECTES BATISSEURS : Nids de termites, de guêpes et de frelons (Eric Darrouzet – Editions Connaissances et Savoirs – 110 pages – 17 mai 2013)
Bonjour
pouvez-vous nous faire une note d’actualisation des connaissances de la composition chimique des pheromones de frelon asiatique en 2018, en vue de faire des essais ?
bien cordialement
Bonjour,
le mieux est de contacter directement l’unité en question, ces recherches s’inscrivent dans le développement d’un piège à des fins de commercialisation, ces données sont en grande partie confidentielles.
Bien cordialement,
Benoît GILLES