Par Nicolas MOULIN
Les mantes, groupe fascinant d’insectes qui sont connus de tous pour leur voracité (certains diront leur cannibalisme), sont visibles quasiment partout dans le monde. Seuls les pôles et les milieux d’altitude très élevée n’accueillent pas d’espèces. Ailleurs, elles se rencontrent des déserts africains aux zones humides et relativement vierges des différents grands blocs forestiers de la planète, en passant par les régions tempérées, les montagnes…
Les mantes sont les plus diversifiées en Afrique (plus de 900 espèces décrites), puis en Asie (plus de 550 espèces), en Amérique (plus de 420 espèces), en Océanie (plus de 165 espèces), enfin en Europe (avec environ 25 espèces). En France métropolitaine, il est possible d’en observer 8 espèces, dont la plus connue est Mantis religiosa (Mantidae), visible du sud au nord de l’Hexagone (photo ci-contre).
Ressemblante, mais beaucoup plus méridionale, Iris oratoria (famille des Tarachodidae) est remarquable avec ses patterns de couleurs sur les ailes postérieures. Complètement différente, Empusa pennata (Empusidae), aussi appelé le « diablotin », constitue souvent une figure emblématique dans les ouvrages et revues de nature avec son cône céphalique, ses longues pattes et ses multiples extensions foliacées situées un peu partout sur son corps.
Les autres mantes que l’on rencontre en France, de taille plus réduite, sont souvent géophiles ou apprécient la strate herbacée rase. Il y a les Ameles (Mantidae) (Ameles spallanziana et A. decolor) qui se distinguent par leur morphologie plus ou moins trapue et la forme des yeux. Geomantis larvoides (Mantidae), aptère, petite, a un tubercule derrière les yeux. Pseudoyersinia brevipennis (Mantidae) n’a pas été revue dans le Var depuis 1860, alors qu’elle est présente sur le pourtour méditerranéen. Enfin, Perlamantis alliberti, une toute petite mante brune au pronotum presque carré, appartient à la famille des Amorphoscelidae.
Mantes de France
L’ordre des Mantodea appartient au Super-ordre des Dictyoptera, au même titre que les blattes (ordre des Blattodea) (lire cet article). Actuellement, les mantes comptent près de 2500 espèces valides, parmi 16 familles (sans compter les familles des mantes fossiles) : Mantodea.speciesfile.org. Il y a encore 90 ans nous en étions qu’à 1800 espèces environ. Le nombre d’espèce décrites depuis un siècle est dû au travail de « fourmis » de plusieurs entomologistes reconnus mondialement : Beier, Giglio-Tos, Rehn, Kaltenbach, Roy, … Et plus récemment, Svenson, Stiewe, Rivera, … et toujours Roy ! Depuis 1927, date de la dernière grande « faune » sur les mantes, ce ne sont que descriptions d’espèces éparses et révisions de genre qui sont produites. Est-ce qu’un jour, un ou plusieurs entomologistes se chargeront de l’actualiser ? Pourquoi faudrait-il actualiser ?
Depuis 90 ans donc, les publications sur la taxonomie des mantes sont éparses : les descriptions sont isolées dans des articles scientifiques ici ou là ; des révisions de genre, de sous-famille sont publiées, ici en français, là-bas en anglais… Le séquençage ADN (cf. encadré ci-dessous) a fait son apparition. Les études génomiques réorganisent le phylum des Mantodea, avec la création récente, par exemple, de la famille des Galinthiadidae. Si nous souhaitons travailler sur une espèce découverte ou sur un genre, il faut alors collecter toute cette bibliographie pour rassembler les informations recherchées. C’est fastidieux. C’est pour cela, et à l’image d’ouvrages existant sur d’autres ordres d’insectes, qu’il serait nécessaire qu’une clé des mantes soit mise à jour. La taxonomie est continuellement en évolution mais cela permettrait du moins de rassembler les connaissances… Au moins une fois par siècle !
Codes-barres ADN L’identification des espèces sur les critères morphologiques commence à connaître ses limites. En effet, elle demande un niveau d’expertise important. Les clés de détermination sont éparses et parfois obsolètes. Il existe des espèces critiques, des espèces aux morphologies indifférenciables… C’est pour cela que, depuis 2003, grâce à Paul Hebert et ses collaborateurs, la distinction entre des espèces peut se faire par le biais des codes-barres ADN. Le support utilisé est l’ADN du gène mitochondrial Cytochrome Oxydase-I (COI) car ses amorces sont universelles, robustes et la vitesse d’évolution permet une bonne discrimination entre les espèces. Concernant les mantes, actuellement, mon entreprise gère plusieurs projets dont les spécimens séquencés proviennent des écoles de terrain ECOTROP en Afrique et de ma collection de références. Pour cette dernière, 551 spécimens ont été séquences, représentant 143 espèces. |
Des progrès taxonomiques
Toujours est-il que ce groupe d’insectes est en perpétuelle évolution de nos jours. De nouvelles espèces sont régulièrement décrites, souvent à la suite de la découverte d’un seul individu comme, par exemple, Ovalimantis maculata (Acanthopidae) découverte en Guyane française en septembre 2014 à la Montagne des chevaux par la Société Entomologique Antilles-Guyane (SEAG), puis décrite en 2015 par Roger Roy du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) dont la description a permis de créer un nouveau genre sud-américain de mantes : Ovalimantis. Ce genre monospécifique n’est donc connu que d’un seul mâle !
Actuellement, grâce à de nouvelles techniques de génomiques, l’identification morphologique classique des mantes est couplée avec le séquençage ADN (barcoding DNA). A cela s’ajoute des études et des thèses sur les traits de vie (morphométrie : taille des ailes, armatures des pattes ravisseuses…). Ces travaux menés par de jeunes entomologistes (principalement américains, allemands et anglais) permettent de dynamiser l’étude taxinomique des mantes.
Par exemple : la thèse de Franck Wieland (Hambourg) a donné une publication sur le système phylogénétique des mantes basé sur leur caractère morphologique, les travaux de taxonomie et le poste d’éditeur sur les Mantodea dans Zootaxa de Julio Rivera (Toronto), les travaux de taxonomie de Martin Stiewe (Londres) et enfin, la coordination du site de références : mantodearesearch.com et les différents travaux de génomiques et taxonomie de Gavin Svenson (Cleveland) (Bibliographie en bas de l’article).
De redoutables prédateurs
Revenons à leurs moeurs délicates… Les mantes sont des prédateurs s’alimentant d’insectes. Selon leur morphologie globale ou leur stade de développement, elles se nourrissent soit de petits insectes (collemboles), d’insectes volants (mouches, papillons), ou plus massifs (criquets, blattes). Tout au long de leur développement, les mantes vivent isolées les unes des autres car les rencontres sont souvent fatales pour la plupart des espèces.
Chez certaines, aux armatures des pattes ravisseuses frêles, le cannibalisme ne se rencontre pas. Une fois à l’état adulte, la reproduction est l’objectif principal. Cependant, comme chez la plupart des araignées, la voracité et/ou le dimorphisme sexuel n’est pas pour faciliter les affaires des mâles. Ils risquent à tout moment (avant, pendant, après) de se faire dévorer vivant. Les mâles peuvent être considérés comme des proies et pourraient apporter un supplément nutritionnel aux femelles. A part chez des espèces « primitives » (aux nombres importants de caractères morphologiques uniques et à l’origine de caractères plus évolués, illustrant une plésiomorphie : caractère ancestral) comme celles du genre Metallyticus, où les couples s’apparient tête/bêche à l’image des punaises, les mâles grimpent sur le dos des femelles pour s’accoupler. Ils introduisent un stock de leur semence dans un organe récepteur interne de l’abdomen des femelles, qui pourront alors produire plusieurs oothèques après un seul accouplement. L’accouplement peut démarrer peut démarrer de quelques minutes à plusieurs heures après le positionnement du mâle sur le dos de la femelle. Ensuite, les durées d’accouplement varient selon les espèces : chez Iris oratoria, cela peut durer entre 45 et 110 minutes ; la durée la plus longue enregistrée est de 40 heures !
Les oeufs pondus en une seule fois dans les oothèques (membrane rigide constituée de protéines entourant et protégeant les pontes de certaines espèces d’insectes) éclosent selon des laps de temps propres à chaque espèce, et variables selon les conditions météorologiques. Par exemple, chez Mantis religiosa, en milieu tempéré, les oothèques passent l’hiver dans la végétation avant que les jeunes ne sortent au milieu du printemps. A l’inverse, en milieu équatorial, les générations se succèdent en continu, selon la durée de développement des embryons dans les oothèques qui peut durer parfois plusieurs mois. Il existe des exceptions (au moins pour les espèces dont nous connaissons la biologie) : Empusa pennata, en France métropolitaine, passe l’hiver sous forme de jeunes plus ou moins actifs selon les températures (photo ci-contre). Les adultes apparaissent au début de l’été, pondent, et les jeunes, nés fin août, réaliseront 2 à 4 mues avant de se stabiliser pour passer l’hiver. Globalement, ce sont quelques jeunes à plusieurs centaines qui effectueront leur première mue en émergeant de l’oothèque, sécheront puis se disperseront dans la nature. Etant hétérométaboles, les mantes, au fur et à mesure des mues (entre 5 et 10 selon les espèces et le sexe), vont grandir. Les organes du vol (s’ils existent) et les organes reproducteurs se développeront pour être fonctionnels après la mue imaginale (dernière mue aboutissant au stade adulte).
L’écologie des mantes est très variable. Si on en revient aux traits d’histoire de vie, leurs habitats sont tout aussi diversifiés que leur morphologie. Comme les phasmes, le mimétisme est le maître mot chez de nombreuses espèces : certaines, fines et élancées, vivent dans les strates herbacées ; d’autres, très plates ou proche de la forme et de la coloration du lichen (photo en début de paragraphe), vivent sur les troncs et branches d’arbres ; certaines, massives, vertes, se distinguent difficilement dans les strates arbustives et arborées ; d’autres ressemblent à des feuilles mortes et se déplacent souvent dans les milieux de branches mortes ou au sol ; enfin, les mantes dites « fleurs » miment la coloration, jusqu’à la forme, des inflorescences de toutes sortes (cf. encadré ci-contre sur la mante orchidée, Hymenopus coronatus).
La mante orchidée : Hymenopus coronatus Hymenopus coronatus, de la famille des Hymenopodidae (Svenson et al., 2015), se rencontre dans la péninsule indo-malaisienne. Cette mante, hors norme, mime avec perfection les inflorescences d’orchidées. La coloration générale blanche, complétée de brun, beige, vert et même rose la confond efficacement avec les fleurs. De plus, des yeux en pointes et des expansions foliacées très développées sur les pattes ajoutent à son camouflage. Le mimétisme se poursuit avec un déplacement saccadé les faisant passer pour des fleurs frémissant au vent. Le dimorphisme sexuel est aussi à noter : les mâles sont près de 4 à 5 fois moins massifs que les femelles. Ces dernières sont donc généralement sédentaires à leur support alors que les mâles, petits et agiles, volent pour les trouver. A la naissance, les jeunes n’arborent pas les couleurs végétales des stades supérieurs : ils ressemblent à des fourmis, à l’image des jeunes d’Extatosoma tiaratum (phasme à tiare), ils ont la tête noire et le corps rouge intense. |
La diversité morphologique des mantes n’a d’égal que celle des phasmes. Ces deux groupes d’insectes peuvent être champions en taille et en qualité du camouflage. La plus petite espèce connue dans le monde est Mantoida tenuis (Mantoididae), mesurant seulement un centimètre ! Tandis que la plus grande espèce est probablement Ischnomantis gigas (Mantidae), ayant près de 17 centimètre, et évoluant dans les hautes herbes des savanes de l’Afrique de l’ouest. Les espèces les plus massives (en considérant les femelles, car très souvent plus grosses que les mâles) se rencontrent en Amérique du Sud avec le genre Macromantis (Mantidae) et en Afrique avec le genre Plistospilota (Mantidae).
Morphologie des mantes
De manière synthétique, les mantes ont une tête généralement plus large que longue, dans une position orthognathe (perpendiculaire à l’axe du corps). Le vertex et le front peuvent être simples ou ornés de tubercules, pointes, expansions diverses. Les yeux composés sont développés. Ils sont complétés par des yeux simples, ocelles, situés entre les antennes. Ces dernières sont bien développées chez toutes les espèces mais peuvent varier de forme, de l’antenne filiforme aux antennes pectinées (à l’image des papillons de nuit). Les pièces buccales sont de types broyeur.
Le thorax est de forme diversifiée ; c’est ce qui oriente la silhouette générale de la mante : trapue, longiligne, large, avec des expansions foliacées, des tubercules, des pointes… Il porte les trois paires de pattes et les deux paires d’ailes (quand elles sont développées).
Les pattes antérieures (dites ravisseuses) sont plus ou moins développées et armées d’épines. C’est un point morphologique très distinctif pour différencier les espèces. Le nombre d’épines et leur disposition sont important. Les pattes médianes et postérieures sont quant à elles généralement plus simples, sauf lorsqu’elles sont ornées d’expansions ou lobes comme chez les Toxoderidae, Acanthopidae, Hymenopodidae…
L’abdomen de forme variable est globalement allongé avec dix tergites (dorsaux), neuf sternites (ventraux) chez les mâles et sept chez les femelles. Le dixième (et dernier) tergite constitue la plaque supra-anale, qui est de forme variable également selon les espèces. L’abdomen est terminé par une paire de cerques segmentés. Là aussi, les formes varient, et en particulier celle du dernier segment : il peut être aplati, cylindrique, foliacé. Chez les mâles, le dernier (neuvième) sternite (plaque sous-génitale) porte les styles, très souvent simples de conformation. Dans la concavité de cette plaque se situe les genitalia (organes reproducteurs). Ils sont toujours de forme asymétrique est divisé en trois parties : un hypophallus ventral, surmonté d’un épiphallus gauche et d’un épiphallus droit. Les genitalia des mâles constituent un critère majeur pour l’identification spécifique des mantes… C’est l’histoire de la clé et de la serrure…
Présentation de l’auteur : Nicolas Moulin
Entomologiste freelance, j’interviens depuis plus de dix ans pour des inventaires dans le cadre d’évaluations environnementales, pour des suivis de populations d’insectes, pour des suivis d’espèces protégées. J’effectue également des animations pédagogiques, des formations à l’entomologie, à ,la création d’entreprise. Mes contrats me font voyager dans tout l’Hexagone (dans la limite de mon domaine biogéographique de plaine car je ne suis pas spécialisé dans les espèces d’altitude ou du Bassin méditerranéen) mais aussi dans les DOM-TOM. Ponctuellement, je quitte la France pour l’Afrique principalement, afin d’encadrer des étudiants dans le cadre d’écoles de terrain sous les tropiques (ECOTROP).
Mon travail sur les mantes est non lucratif, mais m’apporte une satisfaction personnelle d’amélioration des connaissances sur la taxonomie et l’écologie de ces insectes fascinants. Je rédige des articles de vulgarisation, de systématique, de biogéographie ou écologie, et je participe à l’enrichissement des banques de séquences d’ADN les concernants.
Retrouvez l’interview de l’auteur : ici.
Habitus des différentes espèces françaises de mantes
Photos d’espèces de mantes
Recommandations de liens internet sur les mantes
– Mantodea.speciesfile.org : Site de recensement de toutes les espèces de mantes avec des données sur la phylogénie, les références bibliographiques, la répartition…
– Mantodearesearch.com : Site de recensement des personnes travaillant sur les mantes, actualités…
– http://v4.boldsystems.org : Barcode of Life Data Systems (BOLD)
– Rainforests.smugmug.com : Site de Paul Bertner – Photographe
Bibliographie
– Hebert P.D.N. et al., (2003) : Biological identifications through DNA barcodes. Proceedings of the Royal Society Biological Sciences, 720:313-321 (lien)
– Hebert P.D.N. ; Ratnasingham S. & deWaard J.R. (2003) : Barcoding animal Life : cytochrome c oxydase subunit 1 divergences among closely related species. Proceedings of the Royal Society Biological Sciences, 270:596-599 (lien)
– Rivera J. & Svenson G.J. (2016) : The neotropical « polymorphic earless praying mantises » – Part I : molecular phylogeny and revised higher-level systematics (Insecta: Mantodea, Acanthopoida). Systematic Entomology, 41:607-649 (lien)
– Svenson G.J. et al., (2015) : Of flowers and twigs: phylogenetic revision of the plant-mimicking praying mantises (Mantodea: Empusidae and Hymenopodidae) with a new suprageneric classification. Systematic Entomology (lien)
– Wieland F. (2013) : The phylogenetic system of Mantodea (Insecta: Dictyoptera). Species, phylogeny & Evolution, 3,1:3-222 (lien)
Recommandation d’ouvrages sur cette thématique
–Keeping the Praying Mantis: Mantodean Captive Biology, Reproduction, and Husbandry (Orin Mcmonigle – Editions Coachwhip Publications – 202 pages – 19 février 2013)