Par Benoît GILLES
Bernard Forgeau, après 30 ans à parcourir le massif du Makay, est devenu le spécialiste de la biodiversité, des dialectes et des cultures de cette région unique. Il a été le coordinateur de nombreux documentaires ethnographiques et naturalistes, dont celui de Nicolas Hulot pour l’émission « Ushuaïa Nature ». Son engagement l’a amené à être l’architecte de la création de l’aire protégée Makay. Dans son ouvrage Maka Aina Be, « Le grand repos », Bernard nous offre un voyage aux entrailles du massif du Makay à la découverte d’une nature fascinante et unique, mais aussi riche d’histoires humaines. Bernard nous livre également son cheminement avec sincérité et conviction, et nous interroge sur les pratiques futures qui doivent maintenir les communautés au coeur des nécessaires décisions impliquant la gestion de leur environnement. Merci à toi Bernard de m’avoir fait découvrir ce lieu et d’avoir su partager ta passion et ton amour pour le Makay et de ces habitants ! A bientôt pour de nouvelles aventures… (Missions Makay) |
Peux-tu nous présenter ton ouvrage ?
L’envie d’écrire Maka aina be m’est venue d’une volonté de partager mon émerveillement et ma passion, d’abord pour Madagascar puis pour la région du fleuve de la Mangoky et du massif du Makay situé dans le sud-ouest de la Grande Ile. Dans ce livre, je remonte à la fin des années 80 quand je suis arrivé dans ce pays qui m’a immédiatement envouté. A travers mon vécu et mes anecdotes, 200 pages de mots et de photos, je commence par emmener le lecteur sur ma pirogue au fil de l’eau de la Mangoky puis dans les canyons du labyrinthe du Makay.
Je partage mon apprentissage de la culture des populations locales, la place très importante de la spiritualité. Je témoigne de mon engagement à vouloir protéger ces communautés et leur environnement, du lien indissociable de l’homme et de la nature, son environnement. Et je me remets en cause avec mes regrets et mes colères pour poser la question : Fallait-il créer une aire protégée dans le Makay ?
Qu’est ce que le Makay ? Peux-tu nous le décrire ? Qu’est-ce qui le rend si unique ?
Le Makay est avant tout le bout du bout… de Madagascar. Certainement la zone la plus enclavée du pays, un no man’s land de 4 000 km2 avec seulement quelques villages sur sa périphérie, qui vivent autour des cours d’eau qui prennent leurs sources au cœur du massif. Parce que le Makay est le château d’eau de toute une région !
Le Makay est un patrimoine culturel notamment par ses grottes à peintures rupestres mais également par les traditions funéraires qui prennent place dans le massif, les pouvoirs magiques et sacrés du culte et des traditions des riverains.
Le Makay est de fait une zone de quasi exclusion de l’homme et donc un immense réservoir de biodiversité, naturellement conservé dans un labyrinthe de canyons étroits, parfois fermés, offrant à la nature des poches humides de forêts tropicales et des biotopes secs, xérophytes, sur les hauteurs.
Mais attention le Makay pourrait, hélas, devenir le terrain de jeu de touristes et trekkeurs mal orientés… un sujet que j’argumente dans Maka aina be.
Après toutes ces années à Madagascar et à explorer le Makay, pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre maintenant ?
L’expérience m’a appris qu’on écrivait toujours pour une personne à défaut d’écrire à une personne.
Mon témoignage est celui du temps passé à apprendre ce pays, la sagesse et le savoir de son peuple, une envie de partager pour, je l’espère, éviter les erreurs du passé colonial, les dérives d’appropriations des explorateurs modernes, en mal d’aventures… Je ne pouvais pas rester simplement contemplatif. Dans Maka aina be, j’explique pourquoi je refuse de participer à la création d’une aire protégée qui criminaliserait le mode de vie des riverains, leurs liaisons cultuelles et sociales avec leurs zébus etc…
Qu’est ce qui a suscité une telle fascination, une telle passion pour ce territoire du bout du monde ?
Que ce soit sur les rives du fleuve de la Mangoky ou dans le cœur du Makay, c’est en premier lieu la beauté exceptionnelle et la richesse de la nature qui m’ont attiré… avant que je ne découvre son peuple. Puis j’ai appris les dialectes locaux et les sages des villages m’ont ouvert les portes de la culture traditionnelle et celles de leur quotidien ; je suis entré dans les secrets d’un peuple fascinant et passionnant.
Les expéditions, les découvertes, les rencontres ne manquent pas j’imagine, quelles sont tes plus belles histoires que tu aies vécues ?
Une énorme question dont la réponse s’appelle Maka aina be, car j’y réponds à cette question dans mon livre.
Il y a bien entendu la nostalgie de mes premières tentatives d’incursion dans le massif, c’était il y a trente ans. Les premières fois où on s’est faufilé au fond des canyons, où nous avons pénétré sous terre par des boyaux énigmatiques creusés par l’eau et quand nous sommes ressortis dans des poches de forêt totalement fermées et vierges du passage de l’homme avec cette étrange sensation d’aller vers l’inconnu, puis celle d’arriver dans un autre monde. Il y a aussi ces arrivées sur le haut des sommets, ces belvédères qui permettent d’embrasser l’image de ce cervelet géant, constitué à l’infini de mamelons aux formes chimériques …puis les bivouacs sur les hauteurs, la tête dans les étoiles.
Bien entendu, je n’oublierai jamais le tournage d’Ushuaïa Nature avec Nicolas Hulot et la première fois ou nous avons parlé ensemble de créer une aire protégée. Ce fut aussi l’occasion de mes premiers survols en hélicoptère et en montgolfière.
Mais aussi ma première rencontre avec les fossas, le puma de Madagascar ; la découverte de nouvelles grottes ornées ou de débris de poteries qui confirmait le passage de l’homme dans des temps incertains…
Mais sans doute, plus que tout, parce qu’il faut faire un choix pour répondre à ta question, je choisirai ce jour où je suis arrivé dans un village après deux mois d’absence ; une femme est venue me saluer et m’a dit « tu as beaucoup manqué aux enfants ». La richesse de ces instants m’a lié pour toujours à ces communautés.
Comme tout endroit sur terre, le Makay subit des pressions anthropiques diverses (feux de brousse, tourisme, réchauffement climatique…), quelles sont les principales et plus importantes menaces qui pèsent aujourd’hui sur le Makay ? Quels changements majeurs as-tu constaté ces dernières années ?
Les pressions anthropiques sur le massif du Makay sont les conséquences directes des situations précaires que connaissent les riverains. Les communautés locales sont parfaitement conscientes du rôle majeur de l’équilibre de la biodiversité, leurs règles de vie sont établies avec des tabous qui régissent l’équilibre social et naturel. Les villages se sont établis sur le pourtour du massif, sur les bassins versant, le long des rivières qui prennent leurs sources au cœur du Makay.
Ils savent parfaitement que le feu et les coupes à blanc entrainent la destruction des berges et provoquent par conséquence l’ensablement des rizières. Mais les situations de famine, même temporaire, dues essentiellement aux mauvaises récoltes, les obligent parfois à se déplacer vers les canyons pour y ramasser des ignames et braconner pour survivre. Ils s’installent provisoirement sur des territoires qu’ils finissent par bruler pour les défricher.
Les feux d’écobuage pratiqués sur les plateaux du pourtour, sur les terres de pâturage, ont pour objectifs principaux d’empêcher la prolifération des buissons épineux et de créer un lit de cendre pour favoriser la repousse de l’herbe verte. Mais ces feux sont incontrôlés et peuvent couvrir des milliers d’hectares en quelques jours …et le feu ne connait pas les frontières de l’aire protégée.
Quel est ton ressenti sur le futur en termes de préservation de l’environnement, au sujet des populations vivant à proximité ? Es-tu positif pour l’avenir ?
Il ne faut pas faire l’autruche !
Avoir engagé le processus de création d’une aire protégée implique d’aller au bout de cette notion de protection et conservation. Nous subissons des tentatives de monopolisation et d’appropriation venant d’un acteur français. Cette association ignore les recommandations des autorités nationales, les traditions et la culture des riverains sous couvert d’une surmédiatisation mensongère avec l’objectif à demi-avoué de s’approprier un terrain de jeu pour trekkeurs. Un remake du nouveau néocolonialisme vert !
Les véritables gestionnaires de ce patrimoine culturel et naturel sont les communautés locales.
Les entités extérieures qui souhaitent militer ou s’investir pour la protection et la conservation, se doivent de rester à leur place, en simple appuie aux schémas traditionnels existants. Il y a une place pour chacun, il suffit simplement de ne pas prendre celle de l’autre !
Depuis toutes ces années à vivre auprès des populations du Makay, peux-tu nous expliquer quelle est leur vision du monde, leurs besoins et leurs aspirations ? Il est vrai qu’il est difficile pour un occidental d’appréhender une approche différente…
Le massif du Makay est un lieu spirituel que les riverains ne pénètrent jamais en son cœur, tout du moins ils s’arrêtent à l’entrée des canyons. Ils déposent leurs morts dans des cavernes situées sur les premiers contreforts.
Les riverains sont parfaitement conscients qu’ils dépendent entièrement de l’eau qui coule dans les rivières, celle qu’ils boivent et qui irrigue les rizières. Leur mode de vie est parfaitement respectueux de leur environnement, mais la pénibilité de la vie, les difficultés sociétales ou climatiques les obligent à un mode de vie entrainant des pressions anthropiques qui peuvent compromettre cet équilibre.
Dans mon livre, je consacre plusieurs chapitres à expliquer cette relation entre ce massif et ses habitants, celle qui relie en permanence l’homme avec le pouvoir magique, c’est un élément primordial de l’équilibre des communautés, mais également de celui de l’environnement.
Quelles sont les actions à mener, ou à ne pas entreprendre, pour préserver cette région unique au monde ?
La première et la plus importante est, avant d’envisager toute action, d’écouter, d’apprendre et de comprendre les communautés locales pour ensuite peut être apporter une aide ; surtout sans revendiquer de compensation, de droits ou de privilèges. Les propriétaires et les véritables gestionnaires du Makay sont les riverains, ils doivent être respectés.
Le tourisme peut être une source de revenus pour les villages mais il doit être pratiqué par des professionnels ayant une éthique responsable de ces milieux très enclavés.
J’ai hélas été impliqué dans des séjours touristiques de plus de cent participants, sous couvert de pseudo missions dites scientifiques et sous prétexte d’éco-volontariat. Je n’ai pu que constater le désastre écologique et social que provoquent ces arrivées massives de participants.
Pour finir, quels sont tes futurs projets à Madagascar et dans le Makay ?
Je coordonne actuellement une équipe de chercheurs des institutions internationales (IRD, CNRS…), des scientifiques nationaux malgaches et le Réseau des Observatoires Ruraux (ROR) à l’étude d’un dispositif de connaissance, suivi et évaluation socio-économique et environnemental (DCSE-SEE) pour le Makay.
Il s’agit de créer un outil de compréhension de la zone Makay, autant dans ses paramètres socio-économiques et culturels que naturels. Cela se traduit par des missions de terrain permettant la collecte des informations nécessaire à l’étude et l’inventaire de la région afin de créer un outil de bonne gestion à destination de tous les acteurs : traditionnels, politiques, administratifs, économiques, scientifiques etc… Il s’agit d’un projet sur le long terme qui doit permettre d’évaluer l’évolution des différents secteurs en relation ou pas avec la nouvelle aire protégée du Makay.
Passion-Entomologie a participé à deux missions scientifiques amenées par Bernard Forgeau (2016 et 2017)
Merci à toi Bernard de m’avoir fait découvrir ce lieu et d’avoir su partager ta passion et ton amour pour le Makay et de ces habitants !