Par Pierre-Olivier Maquart & Florian Réveillon
Les amblypyges constituent un ordre mystérieux des Arachnides. Très peu étudié, le groupe recense près de 200 espèces distribuées dans les régions tropicales. Quelques espèces se trouvent toutefois en Europe et dans le Bassin Méditerranéen (Turquie, Israël, Algérie, Maroc). Discrètes, elles se rencontrent dans les cavités rocheuses, sur ou sous des écorces d’arbres, voir dans des Bromeliacées (comme l’espèce guyanaise Charinus bromeliaea). Très farouches, rapides comme l’éclair, elles ne manquent pas une occasion de passer d’animal lent et réfléchi, pour foncer se réfugier au plus profond d’une cavité lorsqu’ils se sentent menacés. Nocturnes, leur rencontre est relativement peu fréquente in natura.
Les plus anciens fossiles d’amblypyges datent du Carbonifères (-400 à -300Ma). Elles sont de lointaines cousines des scorpions, des araignées, des solifuges et des uropyges. L’ordre des amblypyges (classe des Arachnides), comporte 20 genres pour environs 150 espèces. Il se divise en deux sous-ordres : 1) les Paléoamblypyges, avec notamment la famille des Paracharontidae (constitué d’une seule espèce : Paracharon caecus) et plusieurs espèces fossiles (Carbonifères) ; 2) Les Euamblypyges constituées de quatre familles : Carinidae, Charontidae, Phrynidae et Phrynichidae.
Leur morphologie est atypique. Leur corps est aplati et divisé en deux parties :
- le prosoma : arrondi vers l’avant- souvent en forme de rein (« réniforme ») porte les appendices : une paire de chélicères, une de pédipalpes modifiés en pattes raptoriales, et 4 paires de pattes. La première paire forme de longs fouets, servant à balayer l’environnement et ayant un rôle sensitif
- l’opisthosome – l’abdomen – constitué de 12 segments
Malgré cette apparence tout droit sortie d’un film de Mad Max, ou d’Harry Potter (où une Damon fait son apparition dans « La coupe de Feu », lors de la démonstration des sortilèges interdits) les amblypyges sont inoffensives.
Leur démarche, un peu de travers à la manière des crabes, est généralement lente, parfois saccadée mais rapide en cas d’alerte. Les pattes locomotrices (trois paires) sont pourvues de griffes – parfois de pulvilii (système d’adhésion des arthropodes situés aux extrémités des pattes reposant sur la force physique de Van der Waals et sur la sécrétion d’une glu adhésive) – pour adhérer aux parois les plus rugueuses. À l’arrêt, ils ne cessent de sonder les alentours à l’aide leurs pattes antenniformes. Ils toilettent en permanence leurs pédipalpes et leurs pattes antenniformes pour les garder propres, en les faisant passer entre leurs chélicères. À l’affût, l’animal se met en position d’attaque, pédipalpes écartés. Ceux-ci, souvent couverts de piques et semblables à des petits paniers servent à ravir les proies. Dans bien des groupes, la taille est corrélée au sexe, la femelle étant plus courte et plus trapue. Lorsqu’une proie – toujours plus petite – passe à sa portée, L’amblypyge se jette sur elle et la saisit avec ses pédipalpes, avant de la dilacérer avec ses chélicères.
Le saviez-vous ? L’espèce d’amblypyge la plus grande est Acanthophrynus coronatus, vivant au Mexique et au sud des Etats-Unis, certains individus peuvent atteindre 45mm de long et 60cm d’envergure (pattes antenniformes) ! De plus, l’espèce possède un organe stridulatoire sur la partie intérieure de chacune des chélicères qui, frottés entre eux, émettent un son strident servant d’avertissement sonore (photo ci-dessous). |
Si les amblypyges sont territoriales (le cannibalisme est fréquent lorsqu’elles sont en surnombre), certaines espèces comme Damon diadema d’Afrique de l’Est peuvent être élevées en petite communautés.
Malgré de nombreuses prospections entomologiques, aucune amblypyge n’était décrite de l’Ile de La Réunion. L’archipel des Mascareignes, dans l’Océan Indien est considéré comme un hotspot de la biodiversité. Apparue il y a 2.3 millions d’années, l’île de la Réunion est la plus « jeune » des îles. Façonnée par l’activité volcanique, l’île est coupée en trois larges calderas (les Cirques) prolongées en gorges profondes finissant dans l’océan. Ces barrières géologiques séparent différents climats dans l’île. Avec un vent dominant d’Est en Ouest, la partie orientale reçoit jusqu’à 9 mètres d’eau par an, contrairement à la partie occidentale, qui, elle, ne reçoit qu’entre 500 et 1500 mm. Quelques 19 climats différents sont répertoriés sur l’ile, chacun hébergeant une biodiversité riche et souvent endémique. Celle-ci –grâce au sens des vents- partage beaucoup de similitudes avec la faune orientale.
Si aucune espèce d’amblypyge n’était connue des Mascareignes, trois l’étaient de Madagascar, et deux des Seychelles.
En 2013 l’Insectarium de La Réunion nous rapporta la présence de deux spécimens de Charon sp. dans leur collection, capturés dans la ville de St André. Notre surprise fut immense, étant donné que ce genre est exclusivement présent dans la région Indo-Pacifique ! Le genre Charon ne comprend que 6 espèces et se caractérise par des espèces de grande taille. Après investigations, trois autres spécimens, capturés en 1979 à Saint Denis – le chef-lieu de l’île – furent trouvés dans les collections du Museum de La Réunion.
Malgré nos multiples voyages et nos recherches dans les localités typiques ainsi que dans des habitats pouvant les abriter (tunnels de lave, forêts primaires etc.), nos chasses demeurèrent infructueuses. L’espèce en question, différente morphologiquement de ses cousines était nouvelle et porte désormais le nom de Charon dantei. Le nom d’espèce est dédié au poète italien du 13eme siècle, Dante Alighieri, célèbre pour son poême Inferno, dans lequel il apparaît en compagnie du philosophe grec Virgile traversant le Styx, sur un bateau conduit par Charon… donnant lui-même son nom au genre.
Toujours issue des collections de l’Insectarium de La Réunion, une seconde espèce – d’un genre différent – nous fut rapportée des Avirons. L’espèce n’était pas nouvelle, et raccordait parfaitement à la description de Damon brachalis, connue d’Afrique Australe (Zambie, Zimbabwe, Malawi et Mozambique). Sa présence sur l’île résultait probablement d’une introduction accidentelle. De fait de faible résistance de ces animaux, peu de cas d’introductions accidentelles sont recensées. La seule connue auparavant concernait une petite espèce américaine arrivée en Allemagne en 2016 avec une cargaison de fruits.
Tandis que la plupart des espèces endémiques de la Réunion sont restreintes aux « hauts » de l’île – abritant les fragments de forêt primaire encore préservés -, toutes les amblypyges observées, y compris l’espèce nouvelle, ont été capturées dans des zones anthropisées. Celles-ci sont pourtant considérées comme « polluées » par les espèces introduites et généralement, ne contiennent que peu ou pas d’espèces endémiques. Cette observation pourrait signifier qu’il est probable que Charon dantei ne soit pas une espèce endémique de l’île mais que, comme Damon brachialis, elle ait été introduite. Bien que son origine reste inconnue, l’espèce semble se plaire puisque que 7 spécimens ont été trouvés depuis 1979.
Etant l’un des plus gros arthropodes de l’île, avec une taille de près de 35 mm, et une envergure de plus de 25 centimètres, il est étonnant de voir que ces amblypyges restèrent inconnues aussi longtemps. Cette découverte illustre à quel point la faune de l’île demeure mal connue.
Bibliographie
- Maquart P.O. ; Réveillon F. & Cazanove G. (2018) : Description of a new species of whip spider (Chelicerata : Amblypygi) from Reunion Island : Charon dantei sp. nov. and first record of Damon brachialis. Revista Iberica de Aracnologia – 33:7530 (lien)
Bonjour,
J’ai croisé le spécimen suivant dans une grotte en Papouasie Nouvelle Guinée (Rabaul) en octobre dernier. Est-ce bien une amblypyge?
https://imgshare.io/image/03J6l
Cdt
Oui !
Bonjour,
Effectivement ! Belle découverte ! A tout hasard, l’avez vous collecté ? il est impossible de déterminer l’espèce sur photo malheureusement…
Merci !
Bonjour,
J’habite à Ravine Creuse, quartier de la ville de St André (Réunion) depuis 25 ans et en janvier 2020, en désencombrant notre garage, mon mari et moi avons trouvé un spécimen de belle taille d’amblypyge puis un plus petit quelques jours après dans une autre partie du garage.
Ne connaissant pas cette espèce, impressionnante, nous les avons tuées.
Nous avons pris des photos du premier spécimen que je peux vous envoyer si cela vous intéresse.
Cordialement,
Sophie LANAVE.
Bonjour,
Merci de votre message. Pourriez vous m’envoyer les photos, cette observation est très intéressante 🙂
Merci encore,
Cordialement,
POM