Les structures anatomiques ayant pour rôle l’injection de venin sont apparues chez plusieurs ordres d’arthropodes de manière indépendante. On les retrouve ainsi chez les Chélicérates (scorpions et araignées), les Myriapodes (mille-pattes), ou encore chez les insectes comme les Hyménoptères (guêpes, fourmis et abeilles) et les larves de fourmilions (Névroptères).
Ces organes sont utilisés dans un but soit de prédation, soit de défense.
Le venin, synthétisé dans une glande spécialisée, est envoyé sous pression et injecté dans les tissus hypodermiques, soit par les mandibules lors d’une morsure, soit par piqûre à l’aide d’une structure en forme de seringue ou de dard.
Une entomologiste de l’université de New York, Amy Berkov, et ses collègues, ont décrit en 2008 pour la première fois l’existence d’organes à venin chez un Coléoptère : Onychocerus albitarsis, une espèce de la famille des Cerambycidae. Ces organes se trouvent à l’extrémité des antennes et leur venin provoque des inflammations cutanées et sous-cutanées chez les humains.
A l’aide d’observations au microscope électronique à balayage, les scientifiques on pu décrire et étudier ces organes. Il s’avère que le système de distribution du venin est quasi-similaire à celui des organes à venin situés à l’extrémité de la queue des scorpions de la famille des Buthidae.
Cette découverte étonnante met en évidence un cas de convergence évolutif.
1) Des coléoptères toxiques
Les Coléoptères constituent l’un des ordres animaux les plus diversifiés, au point qu’une espèce sur quatre est un Coléoptère.
De nombreuses familles, comme les Carabidae (carabes), les Meloidae (cantharides), les Tenebrionidae (ténébrions), les Coccinellidae (coccinelles) ou encore les Lampyridae (lucioles) et les Staphylinidae (staphylins), sécrètent des composés chimiques (acides, esters, quinones, amides, stéroïdes, aldéhydes, alcaloïdes ou encore terpénoïdes, et irridoïdes) ayant une fonction défensive : irritations ou saveur-amère par exemple.
Ces composés peuvent être d’origine endosymbiotique (synthèse réalisée par des organismes unicellulaires vivant en symbiose dans l’organisme hôte) ou bien synthétisés et stockés dans des glandes exocrines (sécrétion à l’extérieur de l’organisme) se trouvant le plus souvent dans le thorax et l’abdomen. L’exemple le plus frappant est celui des coléoptères bombardiers (Carabidae de la tribu des Brachinini) où l’émission de deux composés chimiques provoque une explosion (lire cet article).
Chez ces insectes, les composés chimiques ne sont pas considérés comme des venins car il y a absence de structures anatomiques pour les injecter.
2) Il se prend pour un scorpion
La première description de piqûre par un coléoptère a été faite par Smith en 1884 avec l’espèce Onychocerus albitarsis (famille des Cerambycidae) : « lorsque j’ai saisi l’insecte entre mes doigts pour le placer dans le récipient de collecte, il m’a infligé à ma grande surprise une piqûre par des mouvements rapides de ses antennes d’avant en arrière…« .
La famille des Cerambycidae comprend 35 000 espèces. Elles sont toutes phytophages et ont pour particularité première de longues antennes intervenant dans la détection des plantes hôtes, des partenaires sexuels : ces insectes sont pour cette raison appelés « capricornes » ou « longicornes ». Certaines de ces espèces possèdent des excroissances cuticulaires défensives, ce à quoi pensé Smith lors de sa mésaventure.
Or, suite à un signalement d’une piqûre de cette espèce chez un homme, suivie d’une inflammation semblable à celle induite par une piqûre d’abeille , Amy Berkov a entrepris de décrire les structures antennaires de Onychocerus arbitarsis observées au microscope électronique à balayage et de confirmer la présence d’organes sécréteurs (voir figure 1 et 3).
En 2008, son équipe a mis en évidence une structure à l’extrémité des antennes capable de percer la peau humaine et la présence de composés chimiques pouvant être injectés par l’intermédiaire de canaux et de pores. Le plus étonnant est que cet organe est quasi-similaire à celui présent chez le scorpion de l’espèce Leiurus quinquestriatus (famille des Buthidae) : c’est donc un phénomène de convergence évolutive.
3) Une convergence anatomique singulière
Ces organes à venin (voir figure 2 et 3), similaires à ceux présents à l’extrémité de la queue des scorpions, sont en forme de crochet où la cuticule de l’extrémité est renforcée par sa concentration en zinc et où la partie bulbeuse renferme le venin.
De plus, l’apex du crochet présente un pore donnant sur un canal excréteur permettant ainsi une injection profonde du venin. Il semblerait que O. albitarsis puisse effectuer plusieurs piqûres successives car suite à une injection l’insecte continue ses mouvements antennaires défensifs. Ces comportements sont probablement dirigés vers les prédateurs de grande taille que sont les singes, les lézards et les oiseaux.
La convergence évolutive ne concerne que l’anatomie de l’organe. En effet, la composition du venin des deux espèces est différente : celui du scorpion est mortel pour l’homme alors que celui du coléoptère n’engendre que de légères inflammations.
Les scientifiques ont souhaité analyser la composition chimique du venin de O. albitarsis, or, celle-ci n’a pu être réalisée en raison de la rareté du nombre d’individus disponibles. Seul, par exemple, un spécimen est présent au Muséum d’Histoire Naturelle Américain de New York (AMNHN), collecté durant une année de piégeage au sud du Pérou.
Autre fait étonnant, les pores et les canaux de sécrétion sont absents chez les autres espèces du genre comme O. crassus. Chez d’autres, le bulbe est également absent. La particularité unique de O. albitarsis soulève des hypothèses quant à son histoire évolutive qui devront être testées par des analyses phylogénétiques.
L’une d’elles propose le détournement de fonction de pores et de canaux destinés à l’origine à la diffusion ou à la réception de phéromones sexuelles. Une autre hypothèse suggère que les larves se développent dans des végétaux à la sève toxique, bien que la plante hôte demeure inconnue, et lorsque les adultes émergent, ils recueillent une faible quantité de cette sève, la conservent dans leur dard pour l’injecter ensuite lors d’une piqûre.
J’ai donc contacté Amy Berkov pour en savoir davantage :
Une affaire à suivre donc ! |
Je remercie Amy Berkov d’avoir acceptée de répondre à mes questions et pour l’envoi de photos de O. albitarsis et d’elle durant une expédition au Panama.
Une autre espèce surprenante de Cerambycidae à découvrir en suivant ce lien : Hypocephalus armatus
Source :
– Berkov A., Rodriguez N. & Centeno P. (2008) : Convergent evolution in the antennae of cerambycid beetle, Onychocerus albitarsis, and the sting of a scorpion. Naturwissenschaften (lien)
Encore une lecture passionnante!
Les insectes nous réservent encore bien des découvertes à faire!
tres interéssant cette découverte du coléoptére qui peut « piquer » avec l’extrémité de ses antennes. Nature complexe et innovante.