Par Benoît GILLES
Les océans sont en général des barrières infranchissables en termes de migration animale. Cela est d’autant plus vrai pour les insectes car seules quelques espèces sont adaptées à la vie océanique comme les punaises du genre Halobates (Gerridae – Hemiptera). Cependant, certaines espèces possèdent des aires de distribution transocéaniques suggérant la possibilité pour ces insectes de se déplacer sur de longues distances, soit par le vent, soit transporter par des animaux (oiseaux, chauves-souris, plus récemment par les activités humaines), soit par les courants marins.
Bien qu’il y ait peu de preuves directes, des études moléculaires et phylogénétiques récentes ont démontré que le transport d’insectes à travers les océans sur des radeaux végétaux était possible. Des chercheurs japonais proposent une nouvelle alternative reposant sur la capacité de certains insectes à se disperser en flottant directement à la surface des océans sur de longues périodes.
L’équipe mené par Kei Matsubayashi s’est donc intéressée à déterminer les taux de survie de neuf espèces de coléoptères côtiers appartenant à différentes familles (Carabidae, Curculionidae, Scarabaeidae, Tenebrionidae, Elateridae et Anthicidae) après des séjours plus ou moins prolongés dans de l’eau de mer. Les spécimens, après avoir été collectés au nord de Kyushu (Mer du Japon) ont été placé individuellement dans une bouteille remplie avec 300 ml d’eau de mer également prélevée sur place.
Toutes les 24h, chaque bouteille était secouée et la survie des individus contrôlée. Ainsi, une courbe du taux de survie pour chaque espèce a pu être établie.
Sur neuf espèces, deux présentaient des taux de survie de 50% après 10 jours d’immersion, 6 espèces ont dépassé une semaine et deux autres ont dépassé le mois : Anthicus pilosus et Aegialia nitida.
En appliquant une vitesse moyenne du courant de Tsushima de 2-3 km/h, la moitié des individus des espèces au taux de survie le plus important (Scarites aterrimus, A. pilosus et A. nitida) pourraient se disperser de 480 à 720 km uniquement en flottant.
Avec un taux de survie de plus de 25 jours, une dispersion comprise entre 1 400 et 2 000 km est envisageable !
Dans la nature, bien que les taux de survie soient moindres en raison de la prédation par les poissons et d’autres aléas environnementaux et climatiques, ces observations confirment que la répartition de ces espèces dans l’Archipel japonais, la péninsule coréenne et la Chine peut résulter d’une diffusion passive par flottaison.
Il s’avère que des espèces de collemboles ont également montré de forte tolérance à l’eau de mer en survivant plus d’une semaine à l’immersion.
Conclusion
Les auteurs pensent que ce phénomène de dispersion pourrait être plus fréquent que celui impliquant des radeaux de végétaux, notamment pour les petites espèces côtières.
Cette hypothèse doit être confirmée par des études mettant en évidence une corrélation entre degré de tolérance à l’eau de mer et divergence génétique entre des populations éloignées. Il serait également intéressant de collecter des spécimens vivants flottants à la surface des océans pour évaluer la fréquence du phénomène et inventorier les espèces en bénéficiant.
Bibliographie
- Ueno H. et al. (2020) : Unexpectedly long survivorship on seawater of multiple coastal beetles indicates the possibility of « floating dispersal » for transoceanic migration (lien)