Les guêpes Agaonides et les figuiers : une histoire de mutualisme

Les guêpes Agaonides et les figuiers : une histoire de mutualisme

Les insectes et les végétaux entretiennent des relations d’interdépendance depuis l’apparition des plantes à fleurs au Crétacé (145-65 millions d’années) (lire cet article). Cette co-évolution entre plantes à fleurs et les insectes est à l’origine de la diversité des interactions inter-spécifiques, des espèces et des cycles biologiques.

Parmi ces relations, certaines sont favorables aux deux protagonistes (la plante et l’insecte) : ce type d’interactions à bénéfices réciproques constitue  mutualisme. L’insecte se développe, s’alimente, effectue son cycle reproductif en totalité ou en partie via l’organisme végétal, et en contrepartie, la plante est pollinisée et fécondée. L’insecte joue alors le rôle de transporteur des grains de pollen d’une fleurs à l’autre, contribuant ainsi au maintien de la diversité génétique de l’espèce végétale.

Parfois, deux espèces peuvent avoir évolué de manière à ne pouvoir vivre l’une sans l’autre: elles deviennent totalement dépendante. Un exemple de mutualisme parmi les plus remarquables est probablement celui des guêpes de la famille des Agaonidae (Chalcidiens-Hyménoptères) et des figuiers. C’est cette association étonnante que vous découvrirez dans ces lignes.

 La figue :
Coupe transversale d'une figue (Source : Wikipedia)
Coupe transversale d’une figue (Source : Wikipedia)

Contrairement à ce que l’on peut croire, la figue n’est pas un fruit!! Il s’agit en fait d’un réceptacle floral refermé sur lui-même, enfermant les fleurs femelles et les fleurs mâles. La figue forme ainsi une urne (Syconium), dont l’ouverture située au sommet (ostiole) est fermée par des bractées (des sortes de feuilles à la base du pédoncule florale). La moitié environ des espèces sont dites monoïques (une figue porte des fleurs mâles et femelles), les autres étant dioïques (les fleurs mâles et femelles sont portées par des arbres différents).

Dans le monde, plus de 800 espèces de figuiers, regroupées en 20 genres, sont recensées, dont la grande majorité se rencontre dans les forêts tropicales : le genre Ficus regroupe le plus grand nombre d’espèce.

La figue, impropre chimiquement à un grand nombre de phytophages (animaux se nourrissent de matière végétale) jusqu’à sa maturation, offre également un environnement intérieur protecteur pour tout insecte ayant la possibilité de s’y installer. C’est ainsi, qu’au cours de l’évolution, de nombreuses espèces d’insectes (Diptères, Coléoptères, Hyménoptères) ont réussi à en tirer avantage à l’aide d’innovations et d’adaptations morphologiques. Mais les guêpes Agaonides vont plus loin : ne faisant pas qu’exploiter la plante, elles ont établi une relation de mutualisme total, d’inter-dépendance, et jouent le rôle de pollinisateurs du figuier. La pollinisation de chaque espèce de figuier dépend d’une ou de plusieurs espèces de guêpes Agaonides (une moyenne de 4 espèces).

Les guêpes Agaonides :
Femelle de guêpe Agaonide (Source : Wikipedia)
Femelle de guêpe Agaonide (Source : Wikipedia)

Les guêpes Agaonides sont des insectes d’à peine 1 à 2mm, phytophages pollinisateurs. Leur morphologie leur permet de pénétrer dans la figue par l’ostiole pour se reproduire, pondre et permettre ainsi un développement protégé de leurs larves. Les femelles de certaines espèces ont des ailes détachables, une tête aplatie, des antennes en forme de crochet, un tégument lisse et de fortes griffes au bout des tarses. Les mâles en différent totalement (dimorphisme sexuel) : ils sont aptères et dépourvus d’yeux. Les femelles Agaonides, jouant un rôle dans le transport de pollen (pollinisateurs actifs ou passifs), possèdent des organes spécialisés et des invaginations de l’abdomen ou mésothoraciques (segment du milieu du thorax).

Mâle Agaonide de l'espèce Pleistodontes imperialis (Source : Wikipedia)
Mâle Agaonide de l’espèce Pleistodontes imperialis (Source : Wikipedia)

Cette inter-relation avec les figuiers, qui remonte à 87 millions d’années, a engendré une co-évolution où le mutualisme s’est fortement spécialisé au point que chaque espèce d’Agaonide ne dépend que d’une, voire deux espèces de figuier. A ce jour, seulement 356 espèces d’Agaonides ont été décrites. Il y aurait donc plus de 1 000 espèces potentielles dont 600 restent à découvrir. Elles sont actuellement classées en 3 sous-familles : Agaoninae, Kradibiinae et Sycophaginae, mais, loin d’être figée, la classification de ces guêpes évolue régulièrement avec l’acquisition de nouvelles données taxonomique et génétiques.

La connaissance des relations de mutualisme entre toutes ces espèces reste encore limitée. La petite taille des guêpes, la diversité des espèces, la répartition mondiale et l’observation en zone tropicale constituent autant de freins et de difficultés à conduire les études. Avec l’apparition des outils moléculaires et génétiques, l’étude de l’ADN permet néanmoins de commencer à mieux comprendre l’histoire évolutive (Phylogénie, lire cet article) de cette association ainsi que les mécanismes génétiques et écologiques à l’origine de ce processus adaptatif.

La biologie des guêpes et leur relation de mutualisme avec les figuiers :

L’histoire commence avec l’émergence d’une femelle Agaonide qui sort de la figue avec pour seul objectif de trouver une figue de la bonne espèce, au bon stade de maturation, pour y pondre. Elle n’a pour cela devant elle que quelques heures, au mieux deux ou trois jours, pour atteindre son but. Il lui faut parfois parcourir de longues distances (plusieurs kilomètres) dans les dédales des forêts tropicales, d’où un fort taux de mortalité. Une fois le Syconium adapté découvert par chimiotactisme, la femelle pénètre à l’intérieur de la figue par son ostiole, dont l’accès est fermé par des bractées, à l’aide de ses mandibules, de sa tête aplatie et de ses tibias antérieurs. Certaines espèces peuvent alors se séparer de leurs ailes pour une meilleure pénétration. La sélection naturelle a favorisé ce système, au cours de l’évolution, pour ne permettre qu’à une seule espèce spécifique de pouvoir pénétrer et de polliniser ces fleurs.

Une fois dans la cavité de la figue, la femelle Agaonide peut pondre dans les ovaires des fleurs à l’aide de son ovipositeur (organe long et fin en forme de tube présent au bout de l’abdomen : voir photo ci-dessus). Avant et durant cette phase, elle dépose sur les fleurs femelles les grains de pollen qu’elle a depuis sa figue d’émergence transporté sur des « peignes » de ses pattes, pour féconder les fleurs. La pollinisation peut être soit passive soit active (« étho-dynamique ») selon les espèces (une pollinisation active consiste à un comportement particulier de déversement de pollen sur les pistils des fleurs femelles). La production des fleurs et du pollen a un coût énergétique pour le figuier. Les espèces de figuier, qui profitent de la pollinisation active des guêpes, ont répondu à cet avantage adaptatif en produisant moins de pollen et d’anthères (sacs à pollen).

Cycle biologique d'une guêpe Agaonide
Cycle biologique d’une guêpe Agaonide

Il a pu être démontré que la femelle participe activement à la fécondation des fleurs du figuier car en fécondant l’ovaire, celui-ci, en se développant, apporte la quantité nutritive nécessaire à la croissance de la larve. Ce comportement à première vue « altruiste » se trouve en fin de compte « égoïste » à l’avantage de la guêpe.

Les larves se développent dans une structure végétale appelée galle durant 3 à 4 semaines. Les mâles adultes émergent avant les femelles avec lesquelles ils s’accouplent avant même leur sortie puis ils meurent rapidement. Un mâle peu ainsi féconder plusieurs femelles. Les femelles, une fois sortie de leur galle et fécondées, quittent la figue pour débuter un nouveau cycle reproductif (voir illustration ci-contre).

Adaptations du figuier à la présence des guêpes Agaonides
Illustration d'une coupe transversale d'une figue monoïque
Schéma d’une coupe transversale d’une figue (Source : Cook & Rasplus, 2003)

Le figuier, par la présence des guêpes, même s’il en tire avantage par la pollinisation, ne peut se permettre de perdre l’ensemble de ces ovaires. La sélection naturelle a donc mis au point un stratagème…

Comme décrit précédemment, les femelles guêpes pondent dans les ovaires à l’aide d’un ovipositeur d’une certaine taille. Le figuier a donc positionné ces ovaires à différentes hauteurs pour que certains d’entre eux demeurent hors de portée de la guêpe. Ainsi, le figuier offre certains de ses ovaires à ses pollinisateurs tout en se garantissant un avenir (formation de graines) (voir schéma ci-contre).

Le cycle biologique présenté ci-dessus est adapté aux espèces monoïques (chaque figue contient des fleurs mâles et femelles). Or, chez les figuiers, 50% des espèces sont dioïques, c’est à dire que certaines figues contiennent des fleurs femelles et mâles, et d’autres seulement des fleurs femelles. C’est ainsi que les choses se compliquent encore plus!!

Schéma d'un cycle d'une espèce de figue dioïque
Schéma d’un cycle d’une espèce de figue dioïque (Source : Cook & Rasplus, 2003)

Chez les figues ayant les deux types de fleurs, les ovaires sont positionnés de façon à rester accessibles aux femelles Agaonides. Les ovaires ne sont donc pas destinées à la formation de graines : c’est pourquoi les figues sont dites « mâles ». Chez les figues, constituées uniquement de fleurs femelles, les ovaires sont quant à eux inaccessibles aux guêpes femelles et voués à devenir des graines (« figues femelles »). Les figues mâles et femelles sont identiques chimiquement, de forme et de couleur, de sorte qu’une femelle Agaonide peut pénétrer dans l’un ou l’autre type de figues. Si elle atteint une fleur mâle, l’avantage est à la guêpe qui peut engendrer une descendance qui pourra à son tour polliniser et fertiliser des ovaires d’une autre figue de type femelle. Mais si elle pénètre dans une fleur femelle, alors l’avantage est au figuier où ses ovaires seront fertilisé par la guêpe et qui donneront des graines (voir schéma ci-contre).

Ces cycles biologiques sont d’une incroyable complexité. La diversité de ces relations de mutualisme est liée au nombre d’espèces, à la saisonnalité de maturation des figues, à la synchronisation de la phénologie (rythme d’apparition d’événements biologiques), de la durée du cycle, etc.

Cette interaction plante/insecte représente un puissant modèle pour l’étude des mécanismes écologiques et évolutifs portant sur la spéciation des espèces, la biologie de l’adaptation, de l’écologie comportementale et des communautés. Les outils actuels d’analyse moléculaire et génétique devraient permettre de démêler toute l’histoire évolutive et la phylogénie de ces espèces.

La compréhension de tous ces paramètres apporte un nouveau regard sur la façon dont les écosystème et les êtres vivants interagissent. Il est indispensable d’appréhender l’importance du rôle que joue chaque espèce, quelle que soit son échelle. Nous en avons la preuve ici, où une guêpe minuscule permet le renouvellement d’une partie des arbres de la forêt avec toutes les conséquences sur les réseaux trophiques (chaine alimentaire) qui en découlent. Les figuiers sont source de nourriture pour une gamme d’animaux frugivores comme les chauve-souris, les primates, les oiseaux… qui eux même interagissent avec d’autres espèces : par l’intermédiaire des guêpes Agaonides, ils constituent des espèces dites « clé de voûte » car leur présence est indispensable à l’équilibre des milieux tropicaux.

Pour en savoir plus, je vous conseille un très bon site : http://www.figweb.org/Figs_and_fig_wasps/

  • Publications scientifiques

Cook J. & Rasplus J.Y (2003) : Mutualists with attitude : coevolving fig wasps and figs. TRENDS in Ecology and Evolution, vol. 18, 241-248 (lien)

Herre E.A. ; Jander K.C. & Machado C.A. (2008) : Evolutionary ecology of figs and this associates : Recent progress and outstanding puzzles. Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst. 39 : 439-458 (lien)

Recommandation d’ouvrages sur cette thématique :

Interactions insectes-plantes (Nicolas Sauvion, Paul-André Calatayud & Denis Thiery – Edition : Quae Editions – 750 pages – 5 septembre 2013)

– Evolution of Plant-Pollinator Relationships (Sebastien Patiny – Edition : Cambridge University Press – 31 janvier 2012)

– Insect-Plant Biology (Louis M. Schoonhoven, Joop J.A. van Loon & Marcel Dicke – Edition : OUP Oxford – 440 pages – 2ème édition : 1 décembre 2005)


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