Interview de Pierre-Olivier Maquart
Entomologiste spécialiste des Cerambycidae africains et des Amblypyges
En thèse à l’Université de Stirling – Ecosse
Pierre-Olivier Maquart est un naturaliste comme on n’en fait plus, ou plus beaucoup du moins. Chercheur en laboratoire tout autant que baroudeur de terrain, ce véritable mordu du coléo s’est, tout jeune encore, donné les moyens de réaliser son rêve : vivre grandeur nature une entomologie « d’action ». C’est ainsi qu’il a traqué les coléoptères en Europe bien sûr mais aussi en Afrique du sud, en Afrique centrale, en Amérique du sud – et prochainement en Asie du sud-est -, ramenant de nombreux spécimens d’exception et réalisant des observations originales donnant lieu à publications. En véritable « honnête homme » du XXIème siècle, « PO » est aussi un photographe émérite (nous aurons l’occasion de présenter certains de ses clichés prochainement), sachant mettre l’insecte vivant en scène comme il sait photographier avec une infinie précision les longicornes de sa collection personnelle, et un auteur prometteur, soucieux de mettre sa plume – enfin… son clavier – au service de revues scientifiques ou de vulgarisation. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de retrouver prochainement son nom dans ce blog, lorsque nous évoquerons plus en détail certaines de ses découvertes et les anecdotes qui s’y attachent. En attendant, c’est avec une grande spontanéité qu’il a accepté de répondre aux questions de Passion-Entomologie.
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Comment vous est venu votre intérêt pour l’entomologie ? Quels sont les domaines qui vous attachent ?
Pour être honnête, je ne me rappelle pas ne jamais avoir aimé les insectes… mais je pense que l’évènement le plus marquant fut, alors que j’avais 5 ans, la découverte dans la vitrine d’une pharmacie en Dordogne d’une boite qui contenait des coléoptères. Depuis ce moment, ça a été comme une évidence. J’ai eu la chance de ne jamais avoir à me poser la question de ce que je ferais en grandissant, tant la réponse était évidente : entomologiste ! (au grand dam des conseillers d’orientation au collège pour qui ce métier n’existe pas). Ma mère raconte souvent les moments où je rentrais de l’école avec des araignées mortes pleins les poches. Depuis j’ai continué dans cette voie (l’entomologie je veux dire, pas la chasse aux araignées) et me suis peu à peu spécialisé dans la taxonomie et la biogéographie des Cerambycidae africains et l’étude des Amblypyges. Je pense que je suis fasciné par le peu de connaissance qui entoure ce groupe qui représente pourtant 97% du monde animal. C’est quasiment une terra incognita biologique.
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Quel cursus avez-vous suivi ?
J’ai commencé par une Licence de Biologie animale. J’ai eu ma chance de faire mon sixième semestre de Licence en Afrique du sud, à l’Université de Rhodes, où j’ai pu suivre des cours d’entomologie pure et dure ainsi que de Zoologie Africaine. C’était un vrai régal !
Ensuite, je suis parti à l’Université de Rennes 1 pour faire ma première année de Master d’Ecologie Fonctionnelle Comportementale et Evolutive. J’ai fait mon stage à la station biologique de Paimpont sur la nutrition de la mouche aptère de Kerguelen après un jeûne prolongé (entre 3 et 6 mois !).
Je suis ensuite parti à l’Université de Poitiers pour ma deuxième année de Master. J’ai fait mon stage de master en Afrique du sud, au Muséum du Cap, sur la taxonomie et la phylogénie d’un groupe de guêpes afrotropicales.
Maintenant, je suis en deuxième année de thèse à l’Université de Stirling en Ecosse. J’étudie la potentialité de convertir des déchets organiques en utilisant une mouche – la Black Soldier Fly ou Hermetia illucens (Stratiomyidae) pour les intimes. Ses larves serviraient de source de protéines renouvelable et écologique pour les Tilapia en Asie et en Afrique de l’ouest.
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Vous avez pratiqué l’entomologie de terrain dans diverses régions du monde, pourriez-vous nous-en dire plus ?
Depuis tout petit, j’ai toujours rêvé d’exploration. Des voyages de Livingstone, à ceux de Burton et Speake, ou plus récemment du radeau des cimes (lire cet interview), je suis fasciné par les voyages naturalistes.
J’ai eu la chance de partir en Guyane française pendant un mois lorsque j’avais 17 ans pour aller capturer des insectes, puis de résider plusieurs mois en Afrique australe & orientale, ainsi qu’à La Réunion. Cela m’a permis d’apprendre à m’adapter à des conditions à chaque fois différentes, souvent rudes, mais aussi de rencontrer les insectes in natura. Loin des boites à insectes, l’observation directe est évidemment beaucoup plus gratifiante, et permet de comprendre bien mieux leur mode de vie. Les données biologiques associées à ces observations sont aussi précieuses que les spécimens eux-mêmes. Aller chasser en Afrique australe m’a permis de découvrir des insectes extraordinaires, bien souvent endémiques, et quelques fois nouveaux ou très peu connus. J’ai rapporté de mes voyages beaucoup de spécimens, et ai eu la chance de découvrir quelques espèces nouvelles dans le lot, et énormément d’espèces non recensées pour les pays que j’ai visités.
C’est très excitant de se dire que l’insecte que l’on observe est peut être inconnu pour la science. Ce sentiment de découverte est un véritable moteur pour moi. Et pourtant, loin de l’aspect scientifique, je dois avouer que chaque insecte épinglé a pour moi une importance personnelle, puisqu’il est bien souvent associé à un souvenir particulier…
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Ces voyages ont surement été propices aux aventures… : avez-vous un ou deux souvenirs entomologiques plus marquants ?
La première fois que j’ai rencontré un couple d’Ancylonotus tribulus – un longicorne très épineux – sur un caféier. L’espèce est très courante en Afrique de l’ouest, mais c’était la première fois que j’en rencontrais un vivant. J’étais comme un gamin devant un magasin de Lego. J’ai passé une bonne demi-heure avec une lampe frontale à les observer. Lorsque j’ai décidé de les capturer, n’ayant pas de boite et encore moins de gants sous la main, je les ai pris à pleine main. Les insectes se sont défendus férocement, plantant vigoureusement leurs épines dans mes doigts. Leur technique de défense a tellement bien marché, que je les ai laissé tranquille… efficace !
Je me rappelle également par exemple une journée de chasse sur les plages du Cap de Bonne Espérance avec Candice Owen, qui préparait son doctorat, à la recherche d’une guêpe aptère minuscule, prédatrice d’araignées, vivant à l’intérieur de coquilles d’huitres. Cette guêpe est endémique à quelques plages du Cap oriental. C’est un insecte absolument génial et qui m’a fasciné dès qu’on m’en a parlé ! Nous avons retourné la moitié de la plage pour trouver quelques spécimens. C’était vraiment super de rencontrer cette minuscule bestiole après autant d’efforts. Les gens ont dû nous prendre pour des fous !
Mais il y a encore énormément d’insectes et d’arthropodes que je rêve de croiser « en vrai » tels que les Goliaths africains, les Mantophasmatodea, les limules, ou le crabe des cocotiers…
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Vous poursuivez actuellement vos études à l’Université de Stirling, en Ecosse : avez-vous l’occasion de vous intéresser à la faune entomologique locale ?
Pour l’instant hélas pas vraiment. Comme ils le disent dans Games of Thrones : Winter is coming !
J’espère avoir du temps dans les mois qui viennent pour pouvoir chasser les Cerambycidae. A défaut, j’en avais rapporté beaucoup d’Afrique de l’ouest à préparer pour les longues soirées d’hiver !
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Quel est l’objet de vos recherches universitaires ?
Mes recherches sont très appliquées pour un développement responsable de l’Aquaculture dans les pays en développement ou à faibles revenus. Ma thèse porte sur l’utilisation de la Black Soldier Fly. Nous avions développé un projet au Ghana appelé Entoprise qui a duré deux ans.
Les objectifs étaient d’utiliser cette mouche pour recycler et réduire les déchets organiques – sachant qu’en Afrique de l’ouest, il y a peu de déchets qui sont inutilisés, nous nous sommes concentrés sur les invendus de fruits d’un marché local. Lors du processus – qui dure 15 jours – le substrat est réduit à 80% et assaini (on observe une disparition des bactéries pathogènes après quelques jours). On obtient alors deux produits : les larves elles même, qui, très riches en protéines, peuvent être utilisées comme substitut de farine de poisson en aquaculture, et le « compost » – ce qui reste du processus de bio-conversion. Ce compost est très efficace sur les cultures locales qui utilisent souvent des engrais inorganiques, chers et polluants.
Notre objectif était de créer une usine de production de mouches et de tester les produits dérivés de la bio-conversion (protéines + biofertilisant) localement.
Nous sommes actuellement ers train d’essayer de monter un autre projet similaire en Asie pour aller plus loin dans nos recherches… To be continued.
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Comment envisagez-vous votre future carrière d’entomologiste ? Dans quel(s) pays aimeriez-vous travaillez ?
Je ne sais pas vraiment ! Je pense que j’irai là où les opportunités se présenteront. J’espère pouvoir retourner travailler en France… Je rêverais de pouvoir travailler en entomologie systématique, mais hélas les places sont rares…
Rubrique interviews
Dans la même rubrique, vous pouvez découvrir les interviews de :
- David GIRON (entomologiste-chercheur CNRS – IRBI-Université de Tours)
- Henri-Pierre ABERLENC (entomologiste – CIRAD)
- Nicolas MOULIN (entomologiste indépendant)
- Patrice BOUCHARD (chercheur entomologiste – Université d’ottawa)
- Marius BREDON (entomologiste – diplômé du Master 2 de Tours)
- Bruno MERIGUET (Entomologiste – Office Pour les Insectes et leur Environnement – OPIE)
- Adrian Hoskins (Entomologiste de renommée internationale – Spécialiste des papillons rhopalocères)
- Christophe Avon (Entomologiste au LEFHE, Directeur du MAHN-86 et Fondateur de World Archives of Science – WAS)
- Yves Carton (Directeur de Recherche émérite au CNRS – Auteur de « Histoire de l’entomologie – Relations entre biologistes français et américains – 1830-1940« )
- Gérard Duvallet (Professeur émérite à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, chercheur au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE)
- Pierre Kerner (Maître de Conférence en Génétique Evolutive du Développement à l’Université de Paris Diderot)