Interview de Yves Carton
Nouvelle Edition de l’ouvrage (Iste Editions) en 2019 – Prix de 19€ au lieu de 35€ (prix 2016)
Directeur de Recherche émérite au CNRS, Yves Carton a travaillé comme généticien au Laboratoire Evolution, Génomes, Comportement, Ecologie du CNRS et de l’Université Paris-Saclay (EGCE). Depuis plusieurs années, il se consacre à l’histoire des sciences, en particulier dans le domaine de l’entomologie et du darwinisme.
Son ouvrage : « Histoire de l’entomologie – Relations entre biologistes français et américains – 1830-1940 » est paru en 2016 aux Editions ISTE, et va recevoir le prix du Duc de Villars de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille.
Passion-Entomologie souhaite vivement remercier M. Carton d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions.
- Vous êtes Directeur de Recherche émérite au CNRS, diplômé en immunologie et en sérologie, et vous avez travaillé sur l’insecte. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistait votre travail et quelles étaient les thématiques abordées ?
J’ai été très tôt, au cours de ma thèse, intéressé par l’étude des processus de défense chez les invertébrés. A l’époque, (1963-1968), l’immunité des vertébrés, avec la présence d’anticorps dont la structure avait été récemment décryptée, régnait en maître. Vouloir s’occuper d’invertébrés, dont les défenses ne répondaient à l’époque à aucun critère exigé en immunologie (cellules de type lymphocyte, mémoire immunitaire, présence d’immunoglobulines) était suicidaire. Il était indispensable, pour être crédible, de s’appuyer sur un diplôme d’immunologie, que j’ai acquis à l’Institut Pasteur.
Toutefois, compte tenu du développement technique à l’époque, il était difficile d’analyser la réponse d’un invertébrés, souvent de petite taille, à une agression parasitaire : seule la technique des greffes chez les invertébrés avait un droit de cité pour les immunologistes.
Une traversée du désert de dix ans s’est donc imposée, où il a fallu rechercher les modèles expérimentaux d’insectes les plus adéquats, en attendant l’avénement des techniques de biochimie et de générique moléculaire, adaptées à la petitesse des organismes retenus.
- Vos modèles d’études étaient la drosophile et des hyménoptères parasitoïdes. Pourquoi avoir mené des recherches sur ces insectes en particulier ? Par passion ou par opportunisme ?
C’est à partir des années 1980, après avoir beaucoup prospecté les modèles potentiels d’insectes parasites pour l’étude de leur immunité (des prospections nombreuses sur le terrain, en général en milieu tropical, m’ont fait découvrir de nombreuses espèces parasitoïdes d’hyménoptères Cynipidae) que j’ai découvert et décrit une espèce parasite de Drosophila melanogaster, Leptopilina boulardi, spécifique de son hôte, et présentant des populations variées, en particulier du point de vue de leur niveau de virulence. Il devenait alors évident de profiter pleinement de l’outil génétique que procurait D. melanogaster.
Un modèle était né, avec un hôte résistant ou sensible et un parasite virulent ou avirulent. Actuellement, cette espèce d’hyménoptère parasite, dont le génome est séquencé, reste un modèle d’étude pour de nombreuses équipes, françaises ou étrangères.
- Quelles ont été vos découvertes majeures et qu’ont-elles apporté comme connaissances ?
J’ai donc pu, avec un tel modèle, rechercher le déterminisme génétique exact de cette résistance chez l’hôte et de la virulence chez le parasite. La découverte majeure a été de montrer que ces deux caractères avaient un déterminisme monogénique (i.e. un seul gène intervenant dans chacun de ces processus). A l’époque, en 1984, j’ai eu la chance de rencontrer un chercheur américain, le Professeur Anthony J. Nappi, de Loyola University (Chicago), qui travaillait exactement sur ce modèle, mais avec des outils de microbiochimie. Une collaboration est née, qui s’est perpétuée sur plus de vingt ans.
En 1998, une collaboration avec une biologiste moléculaire, le Professeur Marylène Poirié (Université de Nice-Sophia-Antipolis), nous a permis d’accéder à la nature du gène de résistance et à sa localisation chromosomique.
- Qu’est-ce qui vous passionne le plus chez les insectes (biologie, écologie, physiologie…) ?
C’est indéniablement leur diversité, tant au niveau des espèces qu’on niveau infra-spécifique, avec des populations génétiquement différenciées, touchant ainsi du doigt leur adaptation à leur environnement, ou, pourles espèces de parasitoïdes, leurs mécanismes variés d’adaptation à l’insecte-hôte.
- Vous venez de publier un ouvrage : « Histoire de l’entomologie – Relations entre biologistes français et américains – 1830-1940.« . Une thématique plutôt spécialisée et singulière, qui demande un grand travail bibliographique et de synthèse… Quel cheminement mène à publier une telle somme ?
J’ai eu la chance de travailler au Etats-Unis et de participer à de nombreux congrès, et de nouer ainsi une relation solide, tant sur le plan scientifique qu’humain, avec mon collègue Anthony J. Nappi. En fin de carrière, j’ai voulu savoir quelles avaient pu être les relations entre entomologistes français et américains au cours de l’histoire. Ainsi a germé l’idée de cet ouvrage, pour retracer l’apport réciproque des deux communautés, de part et d’autres de l’Atlantique.
- Malgré le potentiel pluridisciplinaires qu’offre l’étude des insectes (alimentaire, biomimétisme, écologique…), le nombre d’entomologistes ne cesse de diminuer en France. Quel est votre sentiment quant au futur de cette discipline ?
Je m’inscris un peu en faux vis à vis de cette assertion. Il faut bien sûr s’entendre sur le terme d’entomologiste, que vous définissez à juste titre, et que j’approuve, comme une personne qui s’intéresse à l’étude des insectes. Dans ce cas, les travaux réalisés en France n’ont jamais été aussi nombreux dans les domaines variés de la biodiversité, de l’écologie, de la génétique et du comportement chez les insectes. Des enseignements existent en France, ainsi que des recherches diversifiées, où l’insecte est choisi pour l’étude des différents aspects de sa biologie.
- A chaque interview, Passion-Entomologie demande à l’auteur de nous raconter une anecdote entomologique, quelle est la vôtre ?
Ce ne sera pas à proprement parler une anecdote « entomologique », mais une rencontre humaine. En 1970, au sortir de ma thèse, j’ai rencontré à Washington un américain qui m’a proposé de travailler avec lui. Ne me sentant pas encore assez armé scientifiquement, j’ai décliné son offre. Quinze ans après, je l’ai retrouvé à une réunion à Montpellier où nous avons décidé de mettre en commun nos recherches : ce collègue s’appelait Anthony J. Nappi, et cette amitié s’est poursuivi plus de trente ans…
Pour vous procurer cet ouvrage :
– Histoire de l’entomologie (Yves Carton – Workbook – ISTE Editions – 2008 pages – 2016)
Rubrique interviews
Dans la même rubrique, vous pouvez découvrir les interviews de :
- David GIRON (entomologiste-chercheur CNRS – IRBI-Université de Tours)
- Henri-Pierre ABERLENC (entomologiste – CIRAD)
- Nicolas MOULIN (entomologiste indépendant)
- Patrice BOUCHARD (chercheur entomologiste – Université d’ottawa)
- Marius BREDON (entomologiste – diplômé du Master 2 de Tours)
- Bruno MERIGUET (Entomologiste – Office Pour les Insectes et leur Environnement – OPIE)
- Adrian Hoskins (Entomologiste de renommée internationale – Spécialiste des papillons rhopalocères)
- Christophe Avon (Entomologiste au LEFHE, Directeur du MAHN-86 et Fondateur de World Archives of Science – WAS)
- Pierre-Olivier Maquart (Entomologiste spécialiste de Cerambycidae africains et des Amblypyges – Doctorant à l’Université de Sterling)
- Gérard Duvallet (Professeur émérite à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, chercheur au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE))
- Yves Carton (Directeur de Recherche émérite au CNRS – Auteur de « Histoire de l’entomologie – Relations entre biologistes français et américains – 1830-1940« )
- Pierre Kerner (Maître de Conférence en Génétique Evolutive du Développement à l’Université de Paris Diderot)
très heureux d’avoir de tes nouvelles et félicitations. Je m’intéresse quant à moi, depuis ma mise à la retraite (1997) de l’enseignement de SVT, au Havre, à la morphologie des tétrapodes (travail d’amateur inédit). Cordialement Patrick.