La découverte d’une nouvelle famille de lépidoptère, inédite depuis les années 1970, a été faite avec la capture d’un petit papillon sur « Kangaroo Island » (Australie). Une équipe australienne, menée par N.P. Kristensen, vient de décrire la famille des Aenigmatineidae. Des études morphologiques et génétiques sur ces spécimens permettent de reconsidérer une grande partie de l’histoire évolutive et de la classification des lépidoptères. L’évolution de ces insectes semble plus complexe que les scientifiques pouvaient le penser auparavant.
Les papillons (Lepidoptera) actuels appartiennent quasi-uniquement (99%) au phylum (groupe) des Hétéroneures : nervation des ailes antérieures et postérieures différentes et associées durant le vol. A l’opposé, les Homoneures possèdent des ailes antérieures et postérieures aux nervures identiques : un caractère primitif considéré comme ancestral.
Les papillons sont regroupés en deux catégories :
- Les Glossata dont les pièces buccales sont modifiées en « trompe » (proboscis) ayant la faculté de s’enrouler sur elle-même chez les imagos (lire cet article), qui intègrent l’ensemble des hétéroneures, la famille des Neopseustidae et ainsi que le groupe Exoporia ;
- Les Aglossata qui gardent des mandibules et des mâchoires fonctionnelles non spécialisées à l’état adulte : un trait anatomique ancestral, qui se retrouve chez les Agathiphagidae, les Micropterigidae et les Heterobathmiidae.
L’intérêt de cette nouvelle espèce, Aenigmatinea glatzella (voir photo ci-contre), est qu’elle présente à la fois des caractères anatomiques ancestraux comme des ailes homoneures, et « modernes » (qui se retrouvent chez les papillons actuels). Les scientifiques ont entrepris des analyses morphologiques et génétiques pour déterminer la place de sa famille au sein de l’arbre phylogénétique et de la classification des lépidoptères.
Ces résultats montrent que Aegnimatinea glatzella est proche phylogénétiquement des Hétéroneures et des familles Acanthopteroctetidae et Neopseustidae (voir illustration 1 en bas de page).
Morphologiquement, cette espèce, malgré des pièces buccales atrophiées à l’état adulte, présente des caractéristiques propres aux Glossata comme une absence de commissure tritocérébrale libre (zone de liaison entre le proto-cérébron et le deutéro-cérébron, partie antérieure du cerveau de l’insecte), une cuticule des lentilles des ocelles (oeil simple) épaissie et la structure du premier spirale thoracique.
De plus, les chenilles de A. glatzella ont la particularité de se développer sur des espèces de conifères du genre Callitris (Cupressaceae), tout comme les espèces de la famille des Agathiphagidae. Bien que ce caractère semble ancestral, la stratégie alimentaire des familles Acanthopteroctetidae et Neopseustidae étant différente, il est possible de penser que l’indépendance alimentaire aux conifères soit survenue secondairement chez cette espèce durant l’évolution.
Le fait que ce petit papillon soit apparenté aux taxons des Hétéroneures et des Glossata modifie l’ensemble de l’histoire évolutive des Lépidoptères. Les entomologistes suggéraient que les papillons « modernes » étaient issues d’une suite d’acquisition successive de caractères morphologiques (ailes hétéroneures, proboscis enroulable…).
Cette découverte suggère que l’évolution des papillons résulte d’une histoire évolutive bien complexe. Il s’avère que l’apparition de la trompe est survenue plusieurs fois de manière indépendante au cours de l’évolution dans différentes familles, et qu’il ait eu plusieurs événements d’homoplasie anatomique : similitude de trait morphologique ne provenant pas d’un ancêtre commun mais d’une convergence évolutive.
Source :
– Kristensen N.P. et al. (2015) : A new extant family of primitive moth from Kangaroo Island, Australia, and its significance for understanding early Lepidoptera evolution – Systematic Entomology, 40 : 5-16 (lien)