L’un des besoins les plus universels des animaux est d’appréhender l’environnement dans lequel ils vivent pour se déplacer dans des milieux complexes et diversifiés à la recherche de congénères, pour fuir des prédateurs ou encore capturer des proies.
L’acquisition de renseignements peut s’effectuer de diverses manières avec les sens de l’ouïe, du toucher, de l’odorat ou encore de la vision. Cette dernière est celle qui procure le plus d’efficacité pour les insectes diurnes. Pour les insectes nocturnes, d’autres organes sensoriels spécialisés, comme les mécanorécepteurs cuticulaires, placés sur les antennes, les pattes et autres parties du corps, interviennent dans le toucher (contact ou courant d’air) par exemple (lire les articles sur les mécanorécepteurs).
Les espèces prédatrices diurnes possèdent généralement des yeux hypertrophiés et une acuité visuelle très performante développés pour la capture de proies en mouvement. On retrouve ces adaptations chez les libellules (Odonates), les mouches (Diptères) ou encore les Coléoptères comme certaines espèces du genre Cicindela (article sur l’anatomie des yeux des insectes à lire ici). Appelés dans le langage courant « cicindèles », ces insectes appartiennent à la famille des Carabidae et à la sous-famille des Cicindelinae. Toutes les espèces de cicindèles sont prédatrices, certaines nocturnes, d’autres diurnes, et capturent leurs proies en les poursuivant sur le sol par des déplacements très rapides.
Fait étonnant, les cicindèles diurnes réalisent des phases d’arrêt successives à intervalle régulier durant leur course. Il a été démontré que ce comportement résulte de la vitesse à laquelle ces insectes courent. Malgré de grands yeux adaptés pour une vision large et précise, les phases d’accélération sont tellement élevées que leurs récepteurs à photons (photorécepteurs) situés dans leurs yeux ne peuvent en capter suffisamment rendant la vision floue. Des vitesses de 2,4 m par seconde ont pu être relevées, soit 120 fois la longueur de l’insecte. En comparaison, c’est comme si un homme de 1,70 m se déplaçait à 734,4 km par heure, et cela, à la surface du sol !
Donc, afin de visualiser à nouveau précisément la proie et les obstacles de l’environnement qui se trouvent devant lui, l’insecte doit suspendre sa course quelques dizaines de millisecondes pour réaliser une mise au point.
Des études publiées en 2014 par deux scientifiques américains, Daniel B. Zurek et Cole Gilbert, ont démontré que les cicindèles diurnes compensent cette perte de perception visuelle en comptant sur leur mécanosensibilité antennaire pour prévenir les obstacles durant la course.
Leurs expérimentations ont mis en évidence que des individus privés d’antennes entraient en collision avec 60% des obstacles tandis que ceux rendus aveugles évitaient autant d’obstacles que les individus témoins (avec antennes et yeux fonctionnels) (voir figure 1 et vidéos en bas de page).
Ces cicindèles ont développé des antennes aux adaptations particulières. Ainsi, contrairement aux antennes des espèces nocturnes qui sont souples et qui réalisent des mouvements circulaires, comme le font celles des blattes, celles des espèces diurnes restent statiques, rigides et fixes. De plus, leurs antennes sont courbées distalement et placées juste au dessus du substrat de manière statique (voir figure 2).
Ces caractéristiques morphologiques optimisent la détection des obstacles et renseignent les insectes suffisamment tôt sur leur taille et forme pour initier le changement de posture et pour maintenir l’équilibre du corps.
Cependant, les propriétés biomécaniques des antennes des cicindèles demeurent en grande partie inconnues et restent à étudier
En raison de leur taille et du nombre de photorécepteurs, les yeux consomment énormément d’énergie (ATP). En contre partie, ils confèrent une haute résolution visuelle à des fréquences élevées. Utiliser successivement le système visuel et le système antennaire fournit un avantage en terme de consommation d’énergie.
Source :
– Zurek D. B. & Gilbert C. (2014) : Static antennae act as locomotry guides that compensate for visual motion blur in a diurnal, keen-eyed predator. Proceedings of the Royal Society B 281 (lien)
Merci pour cette très intéressante étude. Cela explique ce comportement que j’avais observé en suivant des cicindèles. J’espère toujours mettre à profit le temps d’arrêt pour une approche et une meilleure mise au point , mais souvent le redémarrage rapide met en échec mes tentatives. En tout cas je comprends mieux ainsi le comportement et les besoins de l’insecte!