Par Swann Ferrand & Benoît GILLES
Le monde des fourmis, constitué de plus 13 000 espèces à travers la planète dont près de 200 en France, est fascinant à plus d’un titre. Le mode de vie sociale de ces insectes, leur capacité d’adaptation et le développement de comportements complexes leur a permis de coloniser l’ensemble des milieux (déserts, forêts tropicales, régions polaire). La réussite des fourmis est telle que leur biomasse est la plus importante du règne animal, certains scientifiques l’estiment supérieure à celle de l’humanité !
L’une des caractéristiques les plus surprenantes des sociétés de fourmis est la division du travail entre les ouvrières. Au sein d’une colonie, chaque ouvrière est spécialisée dans une tâche spécifique : soins à la reine, soins au couvain, entretien du nid, défense, surveillance de l’entrée du nid, ou encore recherche de nourriture. Chez la plupart des espèces, l’âge des ouvrières détermine les activités à accomplir : ainsi, les plus jeunes s’occupent des tâches dédiées aux soins apportés au couvain, à la reine et de l’entretien du nid. La recherche de nourriture à l’extérieur est quant à elle réalisée par les ouvrières les plus âgées.
Une part importante des ouvrières d’une colonie, peu actifs, demeurent immobiles à l’intérieur du nid. Elles jouent un rôle de renfort en cas de disparition accidentelle d’individus (aléas climatiques, prédation par exemple), mais aussi de « réserves » trophiques (accumulation de nourriture liquide dans leur jabot : l’échange de nourriture entre individus est appelé trophallaxie – vidéo ci-dessous).
La complexité de l’organisation des colonies de fourmis fait de ces insectes d’excellents modèles d’études et de recherche dans des domaines comme la communication, la coopération, l’intelligence artificielle, la médecine (antibiotiques et antifongiques par exemple) ou encore chimique (phéromones).
En réalisant de petits élevages* de fourmis chez soi, il est possible de mener des expérimentations scientifiques, ludiques et pédagogiques pour découvrir ce monde miniature.
En voici quelques exemples simples…
*pour se procurer des fourmilières et avoir des astuces pour les fabriquer, se rendre en bas de page (ou en suivant le lien de L’insecterie)
Expérience à mener sur le « système de navigation intégré » des fourmis
La recherche de nourriture dans un environnement complexe et étendu nécessite de pouvoir s’orienter et de revenir au nid de la manière la plus rapide. Pour cela, les fourmis ont la capacité d’estimer les distances et leur position par rapport au nid par plusieurs mécanismes visuels (repères comme la végétation, le soleil), mais aussi par un système de « podomètre » (Cataglyphis par exemple) (lien). Ces systèmes permettent aux ouvrières de revenir en ligne droite (trajet le plus court) au nid quel que soit le trajet aller.
Certaines espèces comme les fourmis coupe-feuilles (aussi appelées champignonnistes – lien) prospectent sur plusieurs centaines de mètres sur le sol et dans les arbres des forêts tropicales, et les Cataglyphis du désert parcourent les dunes à la recherche de proies en absence de tout repère visuel.
- Expérience 1
La première expérience consiste à placer dans l’aire de chasse des repères visuels (petits bouts de bois, feuilles, ou morceaux de carton) sur le trajet menant à la nourriture (liquides sucrés par exemple) et de laisser les fourmis « apprendre » le trajet (lien).
Une fois le chemin bien établi entre l’entrée du nid et la zone de nourriture, déplacez les repères visuels et/ou installez de nouveaux obstacles sur la trajectoire, puis observez comment les fourmis vont s’adapter à ces éléments inhabituels pour elles (figure 1).
- Expérience 2
Pour indiquer aux autres ouvrières la route à suivre pour se rendre à la source de nourriture, les fourmis déposent sur le substrat des phéromones de piste. Les ouvrières (Lasius par exemple) n’ont plus qu’à suivre le message olfactif avec leurs antennes comme nous le ferions avec les balises lumineuses (route ou piste d’atterrissage).
Les phéromones étant des molécules volatiles, les dépôts doivent donc en être renouvelés régulièrement.
Pour étudier et observer ce comportement, placez une source de nourriture dans l’aire de chasse jusqu’à ce que les ouvrières aient mis en place une piste chimique. Ensuite, il s’agira de l’effacer à l’aide d’un papier absorbant humidifié avec de l’eau (ou de l’éthanol) puis d’observer leur comportement (figure ).
- Expérience 3 :
Les fourmis ont mis au point un mécanisme leur permettant de trouver le circuit le plus court entre la source de nourriture et l’entrée du nid. Lorsqu’une ouvrière découvre une source de nourriture, elle retourne au nid en déposant des phéromones de pistes que suivront d’autres ouvrières.
Pour étudier ce mécanisme de sélection de trajet, une expérience facile peut être réalisée. Il s’agit de proposer deux (ou plus) trajets de longueur différente entre la source de nourriture et l’entrée du nid (figure 2). Les ouvrières vont au début emprunter de manière indépendante chacun des trajets puis, le nombre d’ouvrières passant par le trajet le plus court sera plus important, renforçant également la piste odorante. Le trajet le plus long, à l’inverse, finira par disparaître du fait que les phéromones s’évaporeront.
Expérience à faire avec des fourmis de grande taille ayant un « jabot social »
Les fourmis ont la capacité d’échanger de la nourriture liquide entre ouvrières (trophallaxie) et de la stocker dans leur jabot, également appelé « jabot social ». Chez certaines espèces, le volume pouvant être emmagasiné représente celui d’un raisin ! (fourmis « pot-de-miel » du genre Myrmecocystus d’Amérique du Nord par exemple – lien) (figure 3).
Pour observer ce comportement, munissez-vous d’un colorant alimentaire (une ou plusieurs couleurs) et mélangez-le dans une solution d’eau sucrée (figure 4). A l’aide d’une seringue, déposez une goutte d’eau ainsi colorée dans l’aire de chasse. Une ouvrière viendra rapidement absorber le liquide, et vous verrez, par transparence, son abdomen se colorer. Il sera dès lors possible de suivre le transfert du liquide d’une ouvrière à l’autre.
Expérience didactique à mettre en œuvre en extérieur avec des enfants (durant l’été)
Chaque espèce de fourmi possède sa propre stratégie de collecte de nourriture et ses préférences en termes de type de nourriture. Certaines sont en effet spécialisées dans la collecte de liquides sucrés (miellat de pucerons ou nectar par exemple) comme les Lasius, d’autres sont prédatrices comme les Ponérinae et les Cataglyphis et d’autres sont granivores comme les Messor.
Pour observer cela dans votre jardin, positionnez différents types de nourritures sur une plaque (eau sucré, graines, morceaux de viande, insectes morts, etc.) et attendez l’arrivée des premières fourmis (lien).
Vous constaterez que certaines espèces travaillent en solitaire (Cataglyphis, Camponotus) pour ramener la nourriture au nid quand d’autres coopèrent en recrutant des congénères (Lasius, Myrmica).
Le recrutement peut être passif : l’ouvrière rapporte seule la nourriture au nid mais sera aidée par d’autres rencontrées en chemin. Lorsque le recrutement est actif et que la source de nourriture est conséquente, l’ouvrière retourne au nid sans nourriture ou avec un échantillon et sollicite de l’aide grâce à des messages chimiques (phéromones). Chez les Pheidole, les soldats de grande taille défendront la ressource pendant que les petites ouvrières collectent et transportent les aliments.
Si un grand nombre d’ouvrières sont présentes et forment des colonnes de déplacement, vous aurez également la possibilité de réaliser des expérimentations sur les mécanismes d’orientation (voir paragraphe précédent).
Identification de comportements individuels
Bien que toutes les fourmis semblent avoir les mêmes comportements (comportements stéréotypés), il a été montré l’émergence de « personnalités » différentes entre les individus. Des variations de comportements ont été mis en évidence : l’agressivité, l’audace, la sociabilité, la curiosité et le niveau d’activité (hyperactivité ou paresse). « Comme chez les Vertébrés, les insectes et les fourmis sont soumis à des conditions environnementales spécifiques, connaissent durant leur vie des expériences et des stimuli différents induisant des disparités de traits comportementaux », relève Nick Keiser de l’Université de Floride (lien). La part héritable expliquerait seulement de 20 à 30% de la personnalité des individus.
Pour observer ce type de variations dans le comportement des fourmis, il s’agit d’identifier individuellement plusieurs ouvrières à l’aide de points de couleur sur le thorax avec de la peinture alimentaire et un petit pinceau (comme le bagage des oiseaux). Chaque ouvrière aura ainsi son code couleur permettant de suivre ses déplacements et ses comportements, que ce soit dans la fourmilière et dans l’aire de chasse parmi les autres membres de la colonie (figure ).
Pour induire des comportements, placer dans l’aire de chasse de petits insectes vivants, des obstacles, de la nourriture difficile d’accès : il vous suffira alors de regarder quels sont les individus les plus à même de répondre aux difficultés.
En espérant que ces expériences vous inspirent et vous aident à découvrir davantage le monde fascinant des fourmis !
Article rédigé en collaboration avec l’Insecterie
Pour tout savoir sur la réalisation de fourmilière : Construire une fourmilière 1 & Construire une fourmilière 2
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Ouvrages sur la thématiques
- Combattre, sauver, soigner – Une histoire de fourmis (Erik Frank – Editions CNRS – 200 pages – 24 septembre 2020) – Interview de l’auteur : ici
- Fourmis d’Europe occidentale. Le Premier guide complet d’Europe (Claude Lebas, Christophe Galkowski & Rumsais Blatrix – Editions Delachaux&Niestlé – 416 pages – 26 mai 2016)
- La Vie des fourmis (Laurent Keller – Edition Odile Jacob – 303 pages – 5 avril 2013)
- Les Fourmis : Comportement, Organisation Sociale et Evolution (Luc Passera et Serge Aron – Edition : Canadian Science Publishing – 480 pages – janvier 2005)
- Le monde des fourmis (Rémy Chauvin – Edition du Rocher – 285 pages – 2 octobre 2003)
- Le monde extraordinaire des fourmis (Luc Passera – Edition : Fayard – 235 pages – 13 mars 2008)
- La Fourmi et le Sociobiologiste (Pierre Jaisson – Edition Odile Jacob – 15 avril 1993)
- Ant Ecology (Catherine Parr ; Kirsti Abbott & Lori Lach – Edition : Oxford University press – 2010)
- Mutualism : Ants and their Insect Partners (Bernhard Stadler & Tony Dixon – Edition : Cambridge University Press – 248 pages – 7 avril 2008)
- The Leafcutter Ants – Civilization by Instinct (Bert Hölldobler & Edward O’Wilson – Edition W. W. Norton & Company – 192 pages – 26 octobre 2010)
- The Lives of Ants (Laurent keller & Elisabeth Gordon – Edition OUP Oxford – 273 pages – 26 février 2009)