Fourmis Champignonnistes du genre Atta

Fourmis Champignonnistes du genre Atta

Les espèces de fourmis dites « champignonnistes » ou « coupe-feuilles » appartiennent principalement aux genres Atta et Acromyrmex (famille des Formicidae et sous-famille des Myrmicinae).

Les espèces de ceux deux genres ont pour particularité de s’alimenter d’un champignon (Basidiomycète de la famille des Lepiotaceae) qu’elles cultivent sur un substrat de matière végétale. Pour entretenir ce substrat, les fourmis collectent des morceaux de feuilles ou de fleurs, dans la forêt, puis les transportent ensuite jusqu’à la fourmilière.

I) Biogéographie des fourmis du genre Atta

Le genre Atta, constitué de 15 espèces, se rencontre essentiellement dans les habitats humides néotropicaux (forêts savanes) du Nouveau-Monde (Amérique centrale et du sud). Certaines espèces se sont toutefois adaptées à des climats et des environnements moins favorables, comme A. mexicana rencontrée dans les déserts du Mexique et du sud de l’Arizona et A. texana qui s’observe uniquement dans les régions semi-tempérées du Texas et de la Louisiane.

Les espèces A. cephalotes et A. sexdens sont à la fois les plus connues et celles ayant la plus vaste aire de répartition. Elles se développent dans une grande diversité d’habitats, des forêts tropicales aux régions dégradées par les activités anthropiques de l’Amérique centrale jusqu’au sud du continent.

Deux espèces que j’ai eu la chance d’observer durant mes missions de recherche au Panama et en Guyane française. Pour en savoir plus, lire ces articles : Smithsonian Tropical Research Institute et Station des Nouragues.

II) Organisation sociale

Les fourmis Atta présentent l’un des plus haut degré de complexité d’organisation sociale observé chez les insectes.

L’organisation de la colonie est basée, comme chez la plupart des fourmis, sur le modèle d’une reine (seul individu ayant la capacité de pondre) et de nombreuses ouvrières (femelles stériles issues de la reine). Lorsque les colonies sont matures après plusieurs années d’existence, des individus ailés, mâles et femelles, apparaissent, dont le rôle est de fonder de nouvelles colonies.

Photo 1 : Reine d’Atta texana et un minor sur un substrat à champignon (Source : Colonie captive de l’Université du Texas – Photo Alex Wild)

Reine : la reine Atta, avec une taille dépassant les 2cm, est l’une des plus grandes de toutes les espèces de fourmis (voir photo 1). Les nouvelles reines quittent leur colonie pour essaimer et se reproduire dans les airs. Une fois la fécondation effectuée, elles s’enfouissent dans le sol où va débuter la fondation d’une nouvelle colonie. Tout au long de sa vie, une reine peut pondre et engendrer ainsi des millions d’ouvrières.

Ouvrières : les ouvrières du genre Atta ont la particularité d’être fortement polymorphiques : il existe des fourmis de différentes tailles avec des fonctions spécifiques au sein de la colonie. Il a été recensé près de 20 tâches distinctes dans une colonie d’Atta.

Les ouvrières sont regroupées en 3 groupes, aussi appelés castes (voir photo 2) :

  • les minors (2-5mm) cultivent le champignon, s’occupent du couvain (alimentation et soins) et du nettoyage du nid
  • les médias (5-10mm) s’attèlent à la récoltent de la matière végétale et à la construction et à la rénovation de la fourmilière
  • les majors (10-15mm), aussi appelés soldats, jouent le rôle de sentinelles dans et à l’extérieur de la fourmilière. Ils se postent en général sur les chemins d’approvisionnement, près à repousser tout intrus. Ils sont facilement reconnaissables à leur morphologie particulière : une tête imposante et large et de grandes mandibules. Les majors sont environ 200 fois plus lourd que les minors, avec une tête 8 fois plus larges (voir photo 2).
Photo 2 : Ouvrières major et minor de l’espèce Atta cephalotes (Source : colonie captive de l’Université de l’Illinois – Photo Alex Wild)
III) Structure du nid et fonction

Le nid, construit dans le sol, possède une architecture complexe et adaptée au contrôle d’un environnement favorable au développement du champignon (température et humidité). La structure comprend plusieurs chambres (de 10 à 25cm de diamètre) abritant le champignon, reliées entre elles par un réseau complexe de galeries (voir vidéo ci-dessous). La configuration particulière de celles-ci permet un renouvellement de l’air à l’intérieur du nid par un système de ventilation passive, où les gaz que libère la dégradation de la matière végétale par le champignon sont évacués et remplacé par de l’air frais.

Lors de conditions climatiques et environnementales moins favorables (sécheresse, forte humidité, inondation), la colonie est capable de réagir en adoptant la configuration du nid : ouverture/fermeture des conduis d’aération, déplacement des champignons dans des chambres soit en profondeur, soit sous la surface du sol…etc.

Les nids qui abritent plusieurs millions d’individus peuvent atteindre plus de 6m de profondeur et requérir l’apport de plusieurs kilos de végétation par jour.

IV) Reproduction de la colonie

La reproduction démarre généralement au début de la saison des pluies.

A ce moment, les jeunes reines et les mâles (ailés) sont prêts à quitter leur nid pour effectuer un vol nuptial où les reines se font féconder par un ou plusieurs mâles de colonies voisines. Les spermatozoïdes, stockés dans la spermathèque (organe de stockage des gamètes mâles), sont utilisés durant toute la vie de la reine, soit près de 20 ans!

Une fois l’accouplement terminé, la reine tombe au sol, perd ses ailes par autotomie (capacité à perdre une partie du corps volontairement) et creusent un trou. Le destin des mâles est plus funeste : ils meurent juste après la reproduction.

Bien installé dans sa cavité, la reine peut démarrer le processus de fondation de sa colonie : culture du champignon et ponte des premiers oeufs. Le champignon provient d’un morceau de son ancienne colonie qu’elle a conservé dans un jabot spécifique et qu’elle cultive à partir de ses sécrétions fécales. Les premières larves sont quant à elles nourries par des oeufs riches en nutriments.

Avec l’apparition des premières ouvrières, l’activité de la colonie, au développement lent la première année, s’amplifie très rapidement pour atteindre sa maturité au bout de 5 ans.

V) Fouragement et sélection du substrat à champignon
Ouvrière intermédia Atta découpant un morceau de feuille - ©Photo B. GILLES
Photo 3 : Ouvrière média du genre Atta découpant un morceau de feuille  (Source : Panama – ©Photo B. GILLES

La culture du champignon nécessite un substrat constitué de matière végétale. Les ouvrières doivent collecter des morceaux de feuilles (ou fleurs) et les transporter à la fourmilière : c’est le « fouragement » (fourragent en anglais) (photo 3).

Pour offrir un substrat de qualité au champignon, un mécanisme de sélection de la ressource végétale est mis en place. Le principe consiste à émettre une phéromone spécifique (molécules émises dans l’environnement entrainant une modification physiologique ou comportementale chez l’individu qui la reçoit), via une glande précise (l’ancienne glande à venin dont le rôle à été détourné au cours de l’évolution), lorsqu’une ouvrière est en présence d’une ressource satisfaisante. Cette phéromone attire d’autres ouvrières sur le site, augmentant ainsi la concentration en phéromone, amplifiant le phénomène. Quand le nombre d’ouvrières réalisant le va-et-vient entre la ressource et le nid devient important, le trajet est nettoyé de tout obstacle pour gagner en efficacité, en temps et donc économiser de l’énergie. Des dizaines de milliers de fourmis peuvent ainsi parcourir plusieurs centaines de mètre à travers le sol de la forêt  (voir photo 4 et vidéo ci-dessous).

Panama 188
Photo 4 : Sentier de passage, nettoyé par les ouvrières Atta, reliant le nid aux zones de fouragement (Source : Panama – ©Photo B. GILLES)

Vidéo de Benoît GILLES (Panama)

Vidéo à l’origine d’un article publié sur le site internet de sciencesetavenirs, retrouvez le ici.

VI) Fabrication du substrat, structure et fonction

Les fragments de végétaux, à leur arrivée dans les chambres à champignon, subissent une série de manipulation par les ouvrières minors. Ils sont broyés, macérés avec des enzymes spécifiques pour éliminer tous les micro-organismes indésirables puis déposés sur le substrat déjà présent et fertilisés par des spores (cellules reproductrices chez les champignons et les fougères) se trouvant dans les résidus fécaux.

Le substrat ancien est supprimé et éliminé de la colonie dans un site spécifique et éloigné (voir vidéo ci-dessous).

Vidéo de Benoît GILLES (Panama)

Le substrat sur lequel se développe le champignon est de texture semblable à celle d’une éponge et d’environ 10-25cm de diamètre. Sa structure est composée de cellules plus ou moins grandes et d’invaginations (voir photo 5).

Le mycélium du champignon (partie végétative), de couleur blanche, est riche en éléments nutritifs et constitue l’unique ressource alimentaire des fourmis (voir photo 6).

Photo 6 : Champignon et son substrat de l’espèce Atta cephalotes (Source : colonie captive de l’Académie des Sciences de Californie – Photo Alex Wild)
Photo 5 : Ouvrière minor de l’espèce Atta cephalotes sur le substrat à champignon structuré en chambre (Source : colonie captive de l’Université du Wisconsin – photo Alex Wild)
VII) Relations symbiotiques

Les fourmis champignonnistes, notamment celles du genre Atta, et leur champignon évoluent conjointement depuis près de 20-25 millions d’années au point d’avoir établi une relation d’interdépendance totale, c’est à dire que la survie de l’un dépend de celle de l’autre : cette relation est également appelée mutualisme symbiotique.

Le champignon offre la nourriture aux fourmis et reçoit en échange soins, protection et dispersion. L’évolution a ainsi permis l’émergence d’adaptations morphologiques, physiologiques et génétiques particulières entre les deux espèces les contraignant à ne pouvoir vivre seule (lire cet article).

VIII) Rôle écologique

Les fourmis champignonnistes, par leur consommation de matière végétale, sont des herbivores majeurs et jouent donc un rôle bénéfique déterminant dans le bon fonctionnement de l’écosystème des forêts tropicales.

En prélèvement une grande quantité de feuillage dans la canopée (jusqu’à 40% du feuillage d’un arbre), elles permettent à la lumière d’atteindre les sous-bois, favorisant le développement d’une végétation basse plus diversifiée, et par conséquent, l’apparition d’une plus grande diversité animale et végétale. De plus, leur nid améliore la qualité des sols par une meilleure aération et une meilleure pénétration de l’eau et contribuent à les enrichir en nutriments et en matières organiques.

D’autres espèces de fourmis des forêts tropicales à découvrir ici : Eciton et Cephalotes.

 Recommandations d’ouvrages sur cette thématique :

– Les Fourmis : Comportement, Organisation Sociale et Evolution (Luc Passera et Serge Aron – Edition : Canadian Science Publishing – 480 pages – janvier 2005)

– Le monde des fourmis (Rémy Chauvin – Edition du Rocher – 285 pages – 2 octobre 2003)

– Le monde extraordinaire des fourmis (Luc Passera – Edition : Fayard – 235 pages – 13 mars 2008)

– Ant Ecology (Catherine Parr ; Kirsti Abbott & Lori Lach – Edition : Oxford University press – 2010)

– Mutualism : Ants and their Insect Partners (Bernhard Stadler & Tony Dixon – Edition : Cambridge University Press – 248 pages – 7 avril 2008)

– The Leafcutter Ants – Civilization by Instinct (Bert Hölldobler & Edward O’Wilson – Edition W. W. Norton & Company – 192 pages – 26 octobre 2010)

– The Lives of Ants (Laurent keller & Elisabeth Gordon – Edition OUP Oxford – 273 pages – 26 février 2009)


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