Par Mélissa Haouzi
Le Frelon asiatique Vespa velutina nigrithorax, aussi appelé frelon à pattes jaunes, est arrivé accidentellement en 2004 dans le sud de la France, en provenance de Chine (figure 1). Cette espèce considérée comme invasive s’est rapidement propagée dans toute la France et elle est dorénavant même présente sur une large partie de l’Europe de l’ouest (figure 2). Depuis son introduction, cet Hyménoptères est notamment connu pour son importante consommation d’abeilles domestiques, induisant ainsi de grandes pertes économiques dans le domaine apicole (lien).
Ce prédateur généraliste d’insectes présente également un risque pour l’entomofaune, en provoquant par exemple une baisse de la pollinisation et des pertes économiques dans le secteur agricole.
Enfin, il est également connu pour constituer un danger pour la santé humaine en cas de piqûre : une personne allergique à son venin pourrait décéder suite à celle-ci.
Comprendre la biologie de cette espèce et mener à bien des projets de lutte biologique sont donc des enjeux majeurs afin de protéger notre biodiversité, limiter les impacts économiques et protéger la population. Malheureusement, si éradiquer V. velutina nigrithorax semble à présent compromis, limiter sa population sur le territoire européen afin de ne plus générer de problèmes est envisageable. Actuellement, les méthodes de lutte se basent sur la pose de pièges et la destruction des nids.
Les pièges classiquement mis en place sont composés d’un appât alimentaire à base de vin blanc, bière, sirop et/ou de miel. Ces pièges, souvent non sélectifs, capturent majoritairement des insectes non cibles et causent des dommages sur la biodiversité.
Il existe cependant des pièges sélectifs via leur design, mais qui restent peu efficaces.
Concernant la destruction des nids, l’utilisation d’insecticides est actuellement la principale technique utilisée par les désinsectiseurs. Cette technique néfaste pour la santé humaine est aussi pointée du doigt d’un point de vue écologique. En effet, les colonies de frelons asiatiques traitées sont pour la plupart du temps laissées sur site. Les oiseaux se nourrissant des larves et des insectes vont donc également ingérer les insecticides, ce qui affecte leur santé.
En Europe, une lutte raisonnée est engagée
L’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (IRBI, CNRS-Université), à Tours, développe depuis plusieurs années des méthodes de lutte raisonnée. Concernant le piégeage, l’équipe de recherche tente de mettre au point un piégeage sélectif et efficace à base de phéromones.
Une étude réalisée en partenariat avec la Chine a permis d’analyser la phéromone sexuelle des femelles reproductrices chez le Frelon asiatique. Trois molécules d’intérêt ont été identifiées et testées suivant différentes conditions sur le terrain, en France comme en Chine. Le mélange des trois composés à une concentration précise a permis d’attirer les mâles frelons français et chinois.
Ce travail devrait déboucher rapidement sur la mise au point d’un piège dirigé contre les mâles afin de perturber la reproduction de la population.
Une autre étude menée à l’IRBI étudie cette fois-ci la phéromone d’alarme. Cette phéromone, située dans la glande à venin des frelons permet à ces derniers de signaler un danger afin de recruter des congénères, dans le but de défendre la colonie. La composition de cette phéromone a été identifiée, des composés d’intérêt ont été synthétisés puis testés en laboratoire et actuellement sur le terrain.
Cette étude vise à développer un piège contre les ouvrières afin de protéger des sites comme les ruchers. L’équipe de l’IRBI travaille également au développement d’un système de destruction des colonies sans utiliser de pesticides. Pour cela, les chercheurs testent un dispositif thermique utilisant de la vapeur.
Enfin, un projet d’écotoxicologie vient d’être mis en place en collaboration avec une équipe portugaise, afin de tester un pesticide efficace contre le frelon, mais sans danger pour les abeilles.
La biologie fondamentale est essentielle
Dans ce contexte d’invasion fulgurante, connaître la biologie de cet insecte est primordial afin de mieux le connaître. Au sein de l’IRBI, le Frelon asiatique est étudié maintenant depuis une quinzaine d’années sur différents aspects, notamment dans le domaine de l’écologie chimique et plus particulièrement de ses systèmes de communication chimique.
Chez les insectes, il existe différentes formes de communication : visuelle (lien), sonore, tactile, chimique (lien). Le mode de communication le plus répandu chez ces derniers est la communication chimique. Cette dernière est impliquée dans la communication intra et inter-spécifique et se réalise via des molécules appelées phéromones dont il existe différents types.
Les hydrocarbures cuticulaires (HCs), considérés comme des phéromones de contact, forment un complexe de composés peu volatils sur la cuticule des insectes. Ils sont impliqués dans les phénomènes de reconnaissance entre individus et sont de ce fait considérés comme le « visa » des insectes : ils forment ce qu’on appelle la signature chimique des individus.
En 2017, l’équipe de l’IRBI a mis en évidence une hétérogénéité chimique de ces composés cuticulaires au sein de la population française du Frelon asiatique.
Cette signature est différente selon la caste, le genre et l’origine coloniale des individus
Ce résultat a été très surprenant, car chez la plupart des insectes sociaux invasifs connus (comme le Termite américain ou la Fourmi d’Argentine), les populations invasives ont perdu en grande partie cette diversité chimique que possédaient les populations natives. Malgré un manque de diversité génétique de la population invasive du frelon, cette hétérogénéité chimique pourrait être expliquée par des facteurs épigénétiques (environnement, microbiote, alimentation…).
Une autre composante majeure de la communication chimique est la phéromone d’alarme. Celle-ci est composée de molécules volatiles qui peuvent se diffuser sur de longues distances. Elle est émise par les individus lorsque la colonie est directement menacée, en induisant le recrutement des congénères et en déclenchant des comportements de défense. Cette phéromone peut également être utilisée à distance des colonies afin de signaler un danger.
La glande à venin, principale source de la phéromone d’alarme a été étudiée au sein du laboratoire. Une hétérogénéité chimique a de nouveau été mise en évidence entre les femelles (ouvrières, fondatrices et reines). Cet aspect est en cours d’étude (figure 3).
Une thèse pour mieux connaître la communication du frelon
Depuis octobre 2020, Mélissa Haouzi, doctorante à l’IRBI a été financée par l’Ecole Doctorale 549 « Santé, Sciences Biologiques et Chimie du Vivant », de la région Centre-Val de Loire pour mener à bien un projet de recherche sur la dynamique et la régulation de la communication chimique chez le Frelon asiatique.
Cette thèse portant sur la biologie fondamentale de cette espèce vise à étudier deux composantes chimiques : les HCs et la phéromone d’alarme. Ces médiateurs sont essentiels au bon fonctionnement de la colonie et il est possible qu’ils soient régulés par des hormones clés, comme l’hormone juvénile (JH). La JH est connue pour avoir des impacts physiologiques et développementaux chez les insectes (lien). Produite par les corps allates, une paire de glandes neurosécrétrices en position rétro-cérébrale (lien), la JH est un sesquiterpène. Libérée dans l’hémolymphe, elle s’associe à des protéines de transport pour aller se lier à des récepteurs nucléaires ou membranaires portés par des cellules cibles. De multiples études suggèrent que cette hormone serait impliquée dans la régulation de la communication chimique. En effet, elle pourrait agir sur la voie de biosynthèse des HCs, tout comme sur celle de la phéromone d’alarme.
C’est dans ce contexte d’étude que le projet de thèse a été mis en place afin d’améliorer nos connaissances sur la compréhension et l’évolution de la vie sociale de cet insecte (figure 4).
Les nids ont eux aussi une signature chimique
Le premier objectif de ce projet était d’étudier la signature chimique des nids. Le marquage des nids a été analysé afin de savoir si le Frelon asiatique pouvait marquer son environnement, comme son nid, avec des hydrocarbures. Les nids fabriqués à partir de fibres végétales mélangées à de la salive sont constitués de différentes structures : les galettes abritant le couvain sont reliées par des piliers et protégées par une enveloppe. Chaque structure du nid a été analysée en chromatographie en phase gazeuse, couplée à un spectromètre de masse (GC-MS) (figure 5).
Les analyses ont révélé la présence d’hydrocarbures au sein des nids. Comme observé précédemment chez les individus, les nids présentent une signature chimique hétérogène.
Chaque structure architecturale présente une signature propre au sein des nids, mais aussi une signature propre à chaque colonie.
Une signature chimique copiée !
Les hydrocarbures présents au sein des nids peuvent être utilisés par les jeunes individus émergeant afin d’acquérir la signature coloniale. L’acquisition et l’évolution dans le temps de cette signature chimique a été étudiée chez les frelons.
Le but de cette expérience était de déterminer comment les jeunes acquièrent leur profil cuticulaire. Après récolte des colonies sur le terrain, les galettes abritant le couvain ont été mises en élevages (figure 6). Les individus appelés « émergents », sortant des alvéoles ont été isolés et mis en élevage pendant plusieurs jours. Leurs profils cuticulaires ont ensuite été analysés en GC-MS à différents âges.
Cette étude a permis de mettre en évidence une évolution rapide de la signature chimique. Par la suite, des émergents ont été mis dans différentes conditions : seuls, en présence d’un morceau de nid, en présence d’une ouvrière et en présence à la fois d’une ouvrière et d’un morceau de nid. Après quelques jours dans ces conditions, la signature chimique des émergents a été également analysée. Cette étude a mis en évidence que leur signature pouvait être modifiée en fonction de leur environnement.
La signature chimique des Frelons asiatiques est donc dynamique avec une évolution rapide dans le temps ; mais elle est également influencée par l’environnement.
Les émergents « copient » l’odeur de leur congénère ainsi que celle de leur nid afin d’acquérir l’odeur coloniale.
Une « odeur » différente chez les ouvrières ?
De nombreuses observations sur le terrain ont mis en évidence chez les ouvrières la présence de différentes tâches avec une division du travail élaborée : les gardiennes servant à la protection et la défense de la colonie, les bâtisseuses qui construisent le nid et deux types de fourrageuses. Ces dernières dites de type « animal » ramènent dans leurs mandibules des boulettes composées de proies animales qu’elles ont capturé afin de nourrir les larves au sein de leur colonie ; celles de type « végétal » ramènent, pour leur part, des boulettes composées de fibres végétales mélangées à de la salive afin de construire le nid.
Sur le terrain, chaque type d’ouvrière a été capturé et sa signature chimique analysée en GC-MS (figure 7). Les analyses sont en cours et il est attendu à ce qu’elle soit spécifique à leur tâche au sein de la colonie. Cet aspect a été démontré chez les abeilles mellifères. En effet, les ouvrières Apis mellifera, suivant la période de leur vie, effectuent différentes tâches au sein de la colonie, que ce soit le soin au couvain, la construction et l’entretien des rayons, la protection des zones de nidifications mais également la recherche de nourriture.
Suivant leur tâche, les abeilles mellifères présentent des différences qualitatives et quantitatives en HCs, distinguant ainsi les différents groupes de travail.
Il y a chez les abeilles une division du travail liée à l’âge (polyéthisme d’âge). Ce phénomène pourrait également mis en évidence chez le frelon asiatique.
La phéromone d’alarme aussi différente suivant la tâche ?
Nous supposons que la composition de la glande à venin pourrait aussi différer en fonction des ouvrières. En effet, ce médiateur chimique important en cas de danger pourrait être plus ou moins puissants suivant le groupe de travail dont fait partie l’ouvrière. Chaque type d’ouvrière a donc été disséqué afin de récupérer la glande.
Les composés chimiques qu’elle contient vont être analysés en GC-MS. Il est probable que les gardiennes aient une phéromone d’alarme plus intense que les autres ouvrières au vu de leur rôle de « protectrices » au sein de la colonie. Cet aspect reste à démontrer.
Une communication chimique régulée par l’hormone juvénile ?
De nombreuses études montrent que la JH jouerait un rôle dans la voie de biosynthèse des HCs et qu’elle est impliquée dans la différenciation des castes (lien). Chez le termite Reticulitermes flavipes, par exemple, la JH induit la différenciation des ouvriers en pré-soldats puis en soldats, avec en même temps une modification de leur signature chimique.
Au cours de cette thèse sur le Frelon asiatique, des individus d’âge diver ont reçu une injection de JH à différentes concentrations, afin de déterminer si cette hormone joue un rôle sur leur signature chimique mais aussi afin de savoir si l’âge est un facteur déterminant dans l’effet de celle-ci (figure 6). Les échantillons ont été analysés en GC-MS et les résultats sont en cours de traitement.
De la même manière, il se pourrait que la JH modifie la composition de la glande à venin. Il a été démontré chez les ouvrières Apis mellifera traitées avec la JH qu’il y avait une production prématurée de certains composés de la phéromone d’alarme (le 2-heptanone et l’isopentyl acetate).
Pareillement, il a été mis en évidence chez cette abeille que les niveaux de JH et d’agressivité étaient corrélés, suggérant un rôle régulateur par la JH. Des frelons à différents âges ont reçu différents traitements à base de JH, puis les individus ont été disséqués afin de récupérer la glande à venin pour analyser sa composition. Les échantillons ont été analysés et les résultats sont en cours d’analyse.
Quelle est l’action de l’hormone juvénile sur la signature chimique ?
Si ces effets de la JH étaient mis en évidence, étudier le mode et les sites d’action de cette hormone sur la signature chimique des individus par exemple constituerait une suite logique de ce projet.
Les HCs sont produits au niveau des oenocytes, qui correspondent à des cellules sous épidermiques ayant une activité lipidique. Ces HCs sont produits par la voie de biosynthèse des acides gras à partir de l’acétate principalement. Des enzymes telles que des élongases et des désaturases sont impliquées afin d’allonger les chaînes hydrocarbonées et de rajouter des insaturations (doubles liaisons entre deux atomes de carbone adjacents).
Chez les insectes, le transport des lipides dans l’hémolymphe est assuré par des lipoprotéines plasmatiques, les lipophorines, synthétisées par les cellules du corps gras et sécrétées en large quantité dans l’hémolymphe. Ces lipophorines correspondent à des protéines ubiquitaires et servent au transport des HCs vers la cuticule des insectes.
Une suite au projet actuel serait de déterminer chez le Frelon asiatique les gènes impliqués dans la voie de biosynthèse des HCs et d’étudier l’expression de ces gènes lorsque de la JH est injectée, afin de mettre en évidence et d’étudier son contrôle endocrine.
Ces avancés scientifiques au sein de l’équipe de l’IRBI sont prometteuses et permettent de mieux comprendre les systèmes de communication chimique de cette espèce. Une meilleure compréhension de ceux-ci pourrait aider à mettre en place des méthodes de contrôle efficaces et sélectives.
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