Le réseau LRUE : coordonner les LNRs européens pour harmoniser l’interception des insectes de quarantaine

Le réseau LRUE : coordonner les LNRs européens pour harmoniser l’interception des insectes de quarantaine

Par Pascal Rousse

Comme partout ailleurs, l’Europe fait face à un problème croissant d’invasions biologiques. L’intensification des échanges au niveau mondial entraine une certaine homogénéisation des flores et faunes, ce qui se traduit par une accumulation croissante des espèces invasives dans les différents écosystèmes (Seebens et al., 2017) (figure 1).

En Europe, le nombre d’insectes invasifs établis a ainsi plus que triplé depuis 70 ans.

Figure 1 : Nombre cumulé d’espèces d’insectes invasifs établies en Europe (Source : Seebens et al., 2017)

Ces invasions posent de graves problèmes d’ordre économique, écologique, sanitaires et sociaux. Leur limitation fait l’objet d’une règlementation stricte aux échelons nationaux et supra-nationaux (Union Européenne et Organisation des Nations Unies). Il est demandé à chaque état européen de désigner un Laboratoire National de Référence (LNR) en charge des analyses officielles. En France, le mandat LNR « Insectes, acariens et auxiliaires » est confié depuis 2009 à l’Anses, plus précisément à l’unité Anses-LSV « Insectes et plantes invasives » de Montpellier.

Dans le domaine de la protection des végétaux, la mission première du LNR sera de prévenir l’entrée de nouveaux ravageurs économiques, ou sinon de contenir leur expansion sur le territoire. Ce travail se fait en collaboration étroite avec les services publics de la Protection des Végétaux, ou leurs mandataires privés (Draaf, Sivep, Fredon…). Lorsqu’une nouvelle menace est détectée, l’Anses émet une alerte officielle pour identifier le risque et proposer des contre-mesures selon la hauteur du risque encouru. En 2021, l’Anses-LSV de Montpellier a ainsi émit 13 alertes sur de nouvelles menaces plus ou moins préoccupantes (cf. encadré ci-dessous).

Depuis avril 2022, ce sont ainsi 16 genres et 245 espèces d’insectes qui sont considérés comme Organismes de Quarantaine par la règlementation européenne (règlement EU 2021/2285, annexes IIA, IIB et III) (figure 2). Un OQ est une espèce qui n’est pas établi sur le territoire, ou présent mais peu disséminé, et qui entraine un risque estimé comme non acceptable. Parmi ces insectes, 16 sont même considérées comme prioritaires avec un impact potentiel particulièrement grave.

Chaque LNR « entomologie » aura donc pour principale tâche de contrer l’entrée ou la dispersion de ces espèces. Ce qui implique un effort tout particulier pour assurer une détection rapide et fiable.

Figure 2 : Trois des 16 organismes de quarantaine prioritaires. De gauche à droite : Agrilus plannipennis, bupreste ravageur du frêne (photo E. Jendek) ; Thaumatotibia leucotreta, tordeuse polyphage (photo NPPO NL) ; Rhagoletis pomonella, Tephritidae inféodée aux pommiers (photo : USDA-ARS) (source : EPPO Global Database)

Chacun sait que l’identification spécifique est une tâche parfois très délicate, tout particulièrement en entomologie. L’immense biodiversité des arthropodes, la variabilité intra-spécifique, les complexes d’espèces… sont autant de sources potentielles d’erreurs. Or, un risque d’erreur, c’est un trou dans la raquette de l’épidémio-surveillance. Si l’on considère maintenant que l’UE compte 25 LNR indépendants, chacun avec son équipe, son matériel, ses méthodes… on en conclue que la taille du trou est corrélée à l’hétérogénéité des pratiques. C’est ici qu’intervient le LRUE.

Un Laboratoire de Référence de l’Union Européenne a pour mandat d’harmoniser les pratiques des LNR, en animant un réseau qui les relie tous sous l’égide de la Commission Européenne. En pratique, cette mission consiste d’abord à conserver un lien entre les LNR par les outils classiques de communication. Ensuite, elle consiste à garantir la qualité des analyses fournies, par l’organisation d’essais inter-laboratoires permettant d’en évaluer l’homogénéité et l’exactitude. Enfin, le LRUE a pour mission de valider de nouvelles méthodologies d’identifications, pour les diffuser ensuite aux LNR. Ceci prend la forme de publication de « standards », de formations taxonomiques, de prêts de spécimens types issus des collections de référence…

Le mandat LRUE « Insects & mites » a été pour sa part confié en 2019 à deux laboratoires européens qui ont donc à charge de co-piloter le réseau européen des LNR. A l’Anses-LSV de Montpellier, nous nous concentrons principalement sur les aspects morphologiques, tandis que la partie moléculaire est plus particulièrement gérée par un laboratoire autrichien : l’AGES, situé à Vienne. Ce mandat est décerné pour une durée de cinq ans, mais peut être immédiatement retiré si ces deux laboratoires ne répondent plus aux exigences de qualité, d’impartialité, de rapidité de réaction… normes qui sont régulièrement évaluées et labellisées par une accréditation ISO 17025.

Gardons le cap jusqu’en 2024, donc.

Un exemple d’alerte émise par le L’Anses-LSV : premier signalement en France de Eurytoma plotnikovi, un hyménoptère phytophage nuisible aux pistachiers

Le présent signalement correspond à des spécimens issus de graines de pistachier (Pistacia vera) collectées au Tholonet (13). Suite à une mise en élevage, vingt adultes ont été soumis au LNR pour analyse. Nous avons identifié Eurytoma plotnikovi Nikol’skaya, 1934 (Hymenoptera : Eurytomidae) (figure 3), un phytophage dont les larves se développent dans les graines de pistachier : Pistacia vera, P. atlantica, P. palaestina et P. chinensis (EPPO, 2021, Noyes &  Yu, 2001).

Figure 3 : Eurytoma plotnikovi femelle (photo LNR Anses-LPV)

L’espèce est connue de Chine, d’Asie Centrale, du Proche Orient et du bassin méditerranéen (CABInternational, 2021). Dans cette dernière zone au moins, elle gagne du terrain progressivement : elle a été signalée pour la première fois en Sicile en 2011 (Longo &  Suma, 2011). Elle est considérée comme ravageur majeur du pistachier en Ouzbékistan, en Grèce et en Tunisie où des pertes allant jusqu’à 70-90% de la production ont été signalées (Braham, 2005, Mourikis et al., 1998, Nikol’skaia, 1935). En Iran, cependant, elle est maintenant considérée comme une menace secondaire dans les vergers traités (Mehrnejad, 2020).

Il ne s’agit pas d’une espèce réglementée en Europe. Son introduction est relativement récente (moins de 10 ans probablement) et sa distribution en France est inconnue, mais son établissement est probablement déjà effectif compte tenu du nombre d’individus capturés. L’impact économique en France est pour le moment faible puisque le pistachier est une culture très mineure. Cependant, elle est amenée à se développer dans les années futures, l’impact pourrait donc augmenter en conséquence. Nous recommandons une information des parties prenantes impliquées dans la relance actuelle de la culture du pistachier en France.

Bibliographie
  • Seebens, T. M. et al. (2017) : No saturation in the accumulation of alien species worldwide. In Nature Communications (lien)
  • EPPO (2021) : EPPO Global Database (available online) (lien)
  • J. S. Noyes &  D. S. K. Yu (2001) : Taxapad 2002, Chalcidoidea 2001
  • CABInternational (2021) : Invasive Species Compendium (lien)
  • S. Longo &  P. Suma (2011) : First report of Eurytoma plotnikovi Nik. (Hymenoptera: Eurytomidae) a seed parasite of Pistachio, in sicily (Italy). J. Ent. Acar. Res. ser. II 43, 333-336 (lien)
  • M. Braham (2005) : Management of the pistachio seed wasp Eurytoma plotnikovi Nikolskaya (Hymenoptera, Eurytomidae) in Tunisia: Integration of pesticide sprays and other means of control. International Pest Control 47, 319-324
  • P. A. Mourikis, A. Tsourgianni &  A. Chitzanidis (1998) : Pistachio nut insect pests and means of control in Greece. Acta Horticulturae 470, 604-611 (lien)
  • M. N. Nikol’skaia (1935) : Pistachio-seed eating Chalcidids and their parasites (Hymenoptera, Chalcididae). Plant Protection 1935, 81-87 (lien)
  • M. R. Mehrnejad (2020) : Arthropod pests of pistachios, their natural enemies and management. Plant Protection Science 56, 231-260 (lien)

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