L’entomologie emprunte parfois des voies insoupçonnées. Il en va ainsi de ce que l’on définit comme « scarabiasis » (ou « canthariasis » du grec kantharos scarabée et -iasis maladie), une situation qui voit l’intestin temporairement squatté par de petits coléoptères coprophages (qui s’alimentent de matière fécales). Cette pathologie rare, on s’en doute, s’observe de façon ponctuelle sous les tropiques et notamment en Inde ou au Sri Lanka, pays où sont publiées les observations les plus récentes.
Telle par exemple celle de cette Indienne de 4 ans dont les selles contenaient de petits coléoptères noirs d’environ 8mm. L’enfant se plaignait de douleurs péri-ombilicales, était devenue anorexique et vomissait parfois. Aucun autre signe n’était rapporté par l’entourage : ni saignement rectal, ni incontinence fécale, ni ulcères péri-anaux, ni même ballonnement….
Le médecin local la traita par un anti-amibien classique, le métronidazole (Flagyl), et l’adressa à un centre spécialisé. L’interrogatoire révéla que cette fille du Tamil Nadu (un état du sud est de la péninsule indienne) disposait d’une maisonnette au sol cimenté : l’enfant couchait parfois dans un lit mais parfois aussi sur le sol. Turbulente, la fillette jouait souvent sans sous-vêtements devant la maison et il lui arrivait de s’endormir au voisinage de vaches et de leurs déjections…
Il est probable que les larves des coprophages entrent dans l’intestin par le rectum puis bouclent leur cycle larvaire dans le colon avant de s’y métamorphoser en adultes qui s’échappent ensuite avec les selles puis s’envolent : ce cycle est proche de celui qui les voit évoluer dans la matière fécale triturée par leur progénitures, roulée en boule et enfouie dans le sol. L’insecte, quelque soit son stade de développement, se comporte comme un simple ectoparasite et n’agresse pas les tissus. Les signes de l’infestation sont réduits : présence de larves ou d’adultes dans les excréments, ou envol des coléoptères libérés par la défécation. Il est rare que soient signalées des douleurs abdominales, des diarrhées ou des nausées et des vomissements.
Très simple, le traitement repose sur des purges salines qui éliminent les insectes avec les selles. La prévention de cette affection est également basique : hygiène minimale et port de sous-vêtements serrés, notamment durant le sommeil.
On peut noter que la littérature médicale cite aussi le scarabiasis comme concernant de jeunes enfants chez lesquels un coléoptère est entré dans le tractus urinaire, ou comme concernant la présence dans le tube digestif de larves issues de grains ou de farine infestés (par des charançons ou des bouches par exemple).
- Cas de Myiasis
Plus exceptionnel : une équipe jordanienne a signalé un cas de myiasis (envahissement des tissus vivants par des larves d’insectes, très généralement de diptères) impliquant les larves de deux espèces de coléoptères (Stegobium paniceum et Trogoderma sp.).
Jadis déjà…
Le célèbre naturaliste anglais Thomas Muffet (1552-1604) évoquait déjà une femme âgée qui aurait déféqué un gros coléoptère noir (qu’Yves Cambefort estime être probablement un Tenebrionidae). A la même époque, l’Italien Ulisse Aldrovandi (1522-1605) mentionne étonnamment l’ « accouchement » d’un « scarabée » par une femme : sans doute s’agissait-il de quelque coléoptère entré dans le vagin dont il était ressorti le plus naturellement du monde… Enfin, autre siècle et autre orifice, nous pourrions évoquer le coléoptère coincé dans le conduit auditif de l’explorateur anglais John H. Speke (1827-1864), célèbre pour avoir découvert le lac Victoria… mais cela sera une autre histoire !
Bibliographie sommaire :
– Cambefort Y. (1995) : Le scarabée et les dieux : Essai sur la signification symbolique et mythique des coléoptères. Editions Boubée, 224 pages
– Capinera J.L. (2008) : Encyclopedia of Insects Springer Netherlands, 4346 pages
– Karthikeyan G. et al. (2008) : Scarabiasis. Indian Pediatrics, 45:697-699
– Rajapakse S. (1981) : Beetle marasmus, BMJ, 283:1316-1317
– Smadi R. ; Amr Z.S. ; Katbeth-Bader A. et al. (2014) : Facial myasis and canthariasis associated with the systemic lupus panniculitis : a case report. Int. J. Dermatol. 53(11):1365-1369 (lien)