Par Pascal ROUSSE
Savez-vous ce qu’est un parasitoïde ? Si oui, vous savez aussi à quel point leur cycle biologique est fascinant. Si non, vous le saurez bientôt grâce à cet exemple détaillé.
Un article écrit par le spécialiste Pascal Rousse pour Passion-Entomologie, un grand merci à l’auteur d’avoir accepté de partager sa passion pour ces insectes étonnants. Retrouvez la présentation de l’auteur en milieu d’article.
Commençons par une définition en simplifiant un peu et en suivant les notes pour ceux qui aiment la précision. Un parasitoïde, c’est un insecte (1) dont les stades juvéniles vont se développer sur, ou dans un autre animal appelé hôte (2). A la grande différence des parasites, les parasitoïdes tuent obligatoirement leur hôte pour parachever leur développement. Alors qu’au contraire, si un parasite tel qu’un pou, un ténia ou une douve provoque la mort de son hôte définitif, il meurt avec lui.
L’exemple illustré ici est celui d’un parasitoïde dit « koïnobionte« , un parasitoïde qui maintient son hôte en vie et en manipule la physiologie pour assurer le développement de sa propre descendance. L’hôte n’est tué qu’au moment final du développement du parasitoïde. Dans ce type d’interaction longue, le parasitoïde grignote lentement son hôte de l’intérieur, tout en épargnant sciemment ses organes vitaux et en jouant à cache-cache avec son système immunitaire. Et il ira parfois jusqu’à faire de l’hôte mourant le garde du corps de ses tortionnaires.
Commençons par une présentation chronologique des acteurs. Au départ, il y a un chou, Brassica oleracea. Ce chou attise l’appétit d’une chenille, la bien nommée piéride du chou Pieris brassicae. Mais cette piéride est elle-même convoitée par un parasitoïde baptisé Cotesia glomerata (3). La photo ci-contre montre comment une femelle de C. glomerata injecte ses oeufs à l’intérieur du corps d’une chenille de premier stade, à l’aide de l’ovipositeur situé à l’extrémité de son abdomen et qui fonctionne à la façon d’une seringue. A partir de ce moment, la chenille est condamnée. Lentement, mais irrémédiablement condamnée.
La suite est superbement mise en scène dans cette vidéo du National Geographic (voir aussi en bas de page). Les jeunes chenilles ont continué leur propre développement, en dévorant des feuilles du chou et en emmagasinant ainsi des réserves qui seront utiles pour le parasitoïde. Plus tard, au moment d’achever leur développement larvaire, les larves de C. glomerata percent la cuticule de la chenille grâce à leurs mandibules puis effectuent leur nymphose à l’extérieur. Curieusement, la chenille semble à peu près indifférente à cette émergence multiple, alors qu’elle est bien vivante comme en témoigne la suite : non seulement elle tisse un cocon de protection autour des nymphes du parasitoïde, mais de surcroît elle les protège par de violents soubresauts contre de nouveaux arrivant qui semblent intéressés par la scène. Que se passe-t-il ?
Ces nouveaux arrivant sont ce que l’on appelle des hyperparasitoïdes (4) : des parasitoïdes dont l’hôte est lui-même un parasitoïde. C’est une chaine trophique à tiroirs qui fait donc au final intervenir quatre acteurs. Pour C. glomerata, les défis à relever afin de garantir la survie de sa descendance sont multiples. Tout d’abord la femelle adulte doit localiser une chenille, s’assurer que celle-ci peut assurer le développement de sa descendance puis pondre ses oeufs à l’intérieur. Ensuite, ces oeufs éclosent en larves qui doivent survivre au système immunitaire de la chenille, et ne tuer la chenille ni trop tôt ni trop tard afin qu’elle leur assure gîte et couvert puis les défende. Si tout se passe bien, une nouvelle génération de C. glomerata adultes pourra émerger de l’amas de cocons (photo ci-contre), puis reprendre le cycle. Dans ce théâtre nous allons pouvoir maintenant constater la finesse extrême de ce dont peut accoucher la co-évolution interspécifique (un autre exemple à découvrir entre des fourmis et un champignon : les fourmis champignonnistes).
Car tous ces défis sont remédiés par la réception et l’émission de médiateurs chimiques. Ainsi, la femelle de C. glomerata repère les larves hôtes à leur odeur. Pas directement l’odeur des chenilles elles-mêmes, mais plutôt celle de la feuille attaquée. D’abord parce que cette odeur est plus abondante donc plus simple à détecter dans l’environnement, mais aussi parce que le chou lui-même a un intérêt certain à attirer les ennemis des chenilles ! Cela a été démontré par de multiples expériences : les femelles de C. glomerata réagissent à l’odeur des chenilles, à l’odeur d’une feuille de chou saine ou à une feuille de chou endommagée artificiellement, mais elles répondent bien plus encore à une feuille de chou qui a été en partie grignotée par des chenilles de P. brassicae. Encore plus fort : elles ne réagiront que peu à l’odeur d’une feuille grignotée par des chenilles de cinquième stade, préférant largement les feuilles avec des larves de premier stade. En synthèse, cela veut dire que, par la seule odeur, une femelle de C. glomerata repérera à distance une feuille de chou attaquée par des chenilles d’âge adéquat. On a pu déterminer que la composition moléculaire de l’odeur émise par les feuilles de chou est modifiée par l’attaque des chenilles, incluant alors les molécules hautement attractives pour le parasitoïde, ce qui constitue une sorte de signal d’alarme émis par la plante à destination du parasitoïde.
Présentation de l’auteur Chercheur entomologiste, correspondant du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris (MNHN), versé dans la taxonomie, l’écologie et la phylogénie des hyménoptères parasitoïdes, en particulier dans le cadre de leur utilisation en lutte biologique, auteur d’une trentaine de publication sur ces sujets, mais avant tout fasciné depuis bien longtemps par la biologie des Ichneumonidae sans que la psychanalyse ait pu trouver une explication rationnelle à cette monomanie ! |
Continuons l’enquête à l’intérieur du corps de la chenille. Tous les insectes sont dotés comme nous d’un système immunitaire basé sur la reconnaissance puis l’élimination du « non-soi ». Si vous vous amusez à introduire un corps étranger dans une chenille de P. brassicae, ce corps sera rapidement enkysté dans une capsule mélanisée. Or, ce système immunitaire reste muet dans le cas du parasitisme par C. glomerata. Les larves du parasitoïde sont actives et indemnes dans le corps de la chenille, invisibles aux cellules immunitaires de l’hôte infesté.
Toujours plus étonnant, l’ensemble du comportement et du développement ultérieur de la chenille est modifié par le parasitisme. Ainsi, la chenille est paralysée au moment de la sortie des larves alors qu’elle pourrait se défendre grâce à ses mandibules. Ainsi encore, la chenille tisse un cocon de soie autour des nymphes du parasitoïde. Et ainsi enfin, la chenille répond agressivement lorsqu’elle est dérangée dans les derniers moments de sa vie. On a montré que ces deux derniers comportements protègent efficacement les cocons du parasitoïde contre les prédateurs et hyperparasitoïdes qui pourraient s’en approcher.
Là encore, la raison est de l’ordre de l’interaction chimique, bien que ces mécanismes ne soient pas encore complètement élucidés. Ce que l’on sait, c’est que lors de l’injection de ses oeufs, la femelle du parasitoïde injecte aussi un cocktail de protéines que l’on a baptisé « venin » par analogie à celui des abeilles et des guêpes, et qu’elle injecte également des virus bien particuliers. L’action de l’ensemble est déterminante dans l’affaiblissement de la réponse immunitaire, on suppose également que son interaction avec le cerveau de la chenille est responsable de la modification de son comportement. L’évolution de ces virus est à elle seule une histoire fascinante. Ils sont en effet constitués de plusieurs brins d’ADN qui sont totalement intégrés dans le génome du parasitoïde. Ce qui leur donne un caractère si particulier que les virologues ont créé une famille à part pour eux : la famille des Bracovirus.
Vous avez maintenant compris d’où venait l’inspiration de James Cameron lorsqu’il a réalisé son film « Alien » ?
Vidéos du cycle de développement d’un parasitoïde
Notes
- Suivant les limites exactes que l’on fixe à la définition, on peut aussi y inclure d’autres organismes vivants (5), quelques rares cas que l’on trouve par exemple chez les nématodes ou les champignons
- Un autre arthropodes (insecte ou araignée) dans l’écrasante majorité des cas. Mais là encore tout dépend des limites de la définition initiale
- Un Hyménoptère de la famille des Braconidae, sous-famille des Micrograstinae. Les Micrograstinae sont tous des parasitoïdes de papillons
- Probablement Lysibia nana, Hyménoptère Ichneumonidae parasitoïde de nombreux Micrograstinae
- Au fait, un virus est-il un organisme vivant ? Si on décide que oui, alors on peut aussi le qualifier de parasitoïde. Mais c’est un autre débat…
Pour en savoir plus
– Brodeur J. & Vet L.E.M. (1994) : Usurpation of host behavior by a parasitic wasp. Animal Behavior 48, 187-192
– Dicke M. (1993) : Local and systemic production of volatile herbivore-induced terpenoids : their role in plant-carnivore mutualism. Journal of Plant Physiology 143, 465-472
– Madanagopal N. & Kim Y. (2006) : Parasitism by Cotesia glomerata induces immunosuppression of Pieris rapae : effects of ovarian and polydnavirus. Journal of Asia-Pacific Entomology 9, 339-346
– Mattiaci L. & Dicke M. (1995) : Host-age discrimination during host location by Cotesia glomerata, a larval parasitoid of Pieris brassicae. Entomologia Experimentalis et Applicata 76, 37-48
– Maure F. ; Daoust S.P. ; Brodeur J. ; Mitta G. & Thomas F. (2013) : Diversity and evolution of bodyguard manipulation. The Journal of Experimental Biology 216, 36-42
– Steinberg S. ; Dicke M. & Vet L.E.M. (1993) : Relative importance of info chemicals from first and second trophic level in long-range host location by the larval parasitoid Cotesia glomerata. Journal of Chemical Ecology 19, 47-59
Recommandations d’ouvrages sur cette thématique :
– Interactions insectes-plantes (N. Sauvion ; P.A. Calatayud ; D. Thiery & F. Marion-Poll – Editions Quae – 750 pages – 5 septembre 2013)
– La lutte biologique : Application aux arthropodes ravageurs et aux adventices (Bernard Pintureau – Editions : Ellipses Marketing – 188 pages – 25 avril 2009)
– La lutte biologique au jardin (Vincent Albouy – Editions : Quae Editions – 102 pages – 10 mars 2012)
– Insect-Plant Biology (Louis M. Schoonhoven, Joop J.A. van Loon & Marcel Dick – Editions : OUP Oxford – 448 pages – 1 décembre 2005)
– The Braconid and Ichneumonid Parasitoid Wasps: Biology, Systematics, Evolution and Ecology (Donald L.J. Quicke – Editions : Wiley-Blackwell – 704 pages – 1 décembre 2014)