Avec la publication de son ouvrage, « Moi, parasite« , Pierre Kerner offre enfin une tribune à des organismes trop souvent méprisés au seul motif qu’ils vivent aux dépens d’autres espèces. Partez à la rencontre d’une multitude de parasites en tout genre, et notamment d’insectes. Ces histoires ne laisseront personne indifférent et raviront les curieux en quête de sensations fortes : entre les vers qui poussent des insectes à se noyer et s’extirpent par leur anus, les tiques qui rendent végétariens ou encore les bébés moules qui vampirisent les poissons, notre monde repousse toujours plus loin les limites de l’extraordinaire et du répugnant !
Interview de Pierre Kerner
Auteur de l’ouvrage : « Moi, parasite » (Mars 2018)
Maître de Conférence – Paris Diderot
Bonjour Pierre, peux-tu te présenter rapidement, pas ton toi parasite, mais ton toi humain ?
Mon moi humain est Enseignant Chercheur en Génétique Evolutive du Développement à l’Université de Paris Diderot où j’enseigne l’Evolution, la Zoologie, le Développement et bien entendu, un peu de Parasitologie. Mes recherches concernent l’évolution des animaux, et plus particulièrement celle des cellules souches que j’étudie chez un ver marin : Platynereis dumerilii. Depuis 2009, je suis blogueur sur Strange Stuff and Funky Things où je parle de sujet surprenants, essentiellement en Biologie. Je suis membre actif de la communauté de vulgarisateurs du Café des Sciences au sein de laquelle j’ai lancé des projets comme Strip Science (une plateforme tournée vers la rencontre entre illustration et science) et Vidéosciences (rebelote mais entre la vidéo et la science). Je sévis aussi régulièrement sur Podcast Science, un balado francophone scientifique amateur, et j’ai lancé ma chaine Youtube il y a maintenant 2 ans. Tel un parasite, je me suis insinué dans toutes les anfractuosités de la vulgarisation scientifique !
Tu viens de publier un ouvrage, « Moi, parasite« , où tu présentes la vie secrète de multiples parasites, comment l’idée d’aborder un tel sujet a-t-elle parasité ton esprit ?
Sur mon blog, j’ai abordé très rapidement le sujet du parasitisme (Catégorie Freaky Friday Parasite), tant le sujet est prolifique en exemples sordides, surprenants et fascinants. Je me suis essentiellement inspiré des billets de blogs de Carl Zimmer, Ed Yong et Christie Wilcox, mais aussi de mes propres découvertes lors de mes pérégrinations sur le web. Quand j’ai été titularisé en tant que Maître de Conférences, j’ai eu l’opportunité de reprendre des cours en Master sur la parasitologie : je me suis rué dessus et j’ai commencé à faire plein de recherches pour préparer un enseignement de qualité, tout en insérant les trouvailles que j’avais déjà bloguées. J’aime bien ces contributions à double sens entre mes enseignements et mes productions de vulgarisation. Que ce soit en cours ou en billets de blog, j’ai vite constaté que le sujet fascine et que le parasitisme permet d’aborder des aspects fondamentaux de la biologie tout en retournant plein d’idées reçues qu’on peut avoir sur la nature. Quand on m’a demandé quel livre je voudrais écrire, j’ai automatiquement pensé au sujet du parasitisme.
Tu abordes la biologie, l’écologie et l’évolution des relations hôtes-parasites sous un angle original, celui de la première personne, pourquoi se mettre à la place du parasite, un fantasme ?
Non, un stratagème d’écriture. Quand j’ai commencé le projet du livre sur le parasitisme, en discutant avec les deux illustrateurs Adrien Demilly et Alain Prunier et avec Laurent Brasier, le Responsable Editorial de la collection Science à Plumes de Belin, on a vite écarté la possibilité de faire un simple copier-coller de mes articles de blog. D’une part, j’avais envie d’aborder les aspects que je développais dans mes cours de Parasitologie et qui sont assez complexes, et d’autre part, je voulais que les histoires aient un liant entre elles. En brainstormant, on est arrivé avec l’idée d’incarner les parasites. J’ai rigolé en pensant qu’on pourrait titrer le livre « Moi, parasite » en référence au « Moi, Président » de François Hollande… Comme quoi, ça a du bon de rigoler. Au fur et mesure du processus d’écriture, je me suis rendu compte qu’incarner les parasites facilitait le côté emphatique, et, même si c’était une contrainte de taille, permettait aussi d’aborder des sujets sur le parasitisme depuis un angle neuf, même pour les parasitologues chevronnés ou les amateurs de ce genre d’histoires.
Le parasitisme est un sujet qui te passionne depuis toujours, ou l’as-tu découvert par la suite ? Qu’est-ce qui te fascine chez les parasites ?
J’ai vraiment nourri un intérêt pour le parasitisme avec mon blog. Au début, je cherchais à écrire des billets de blog sur des sujets surprenants, et le parasitisme revenant souvent parmi les exemples exploitables. Le fait est que les parasites exercent une fascination morbide pour nous : on est à la fois dégoûté mais aussi subjugué par leur mode de fonctionnement, leur cycle de vie complexe, leurs stratégies pour survivre, pour puiser des ressources. C’est comme un attrait pour les films d’horreur : on est des amateurs de sensations fortes et les parasites ne laissent pas de marbre. Par contre, ce qui est particulièrement agréable avec le parasitisme, c’est la propension que ce sujet a de pouvoir dissiper les idées reçues et repousser les limites du concevable. Les parasites sont d’excellents exemples de bricolages évolutifs incroyables.
Parmi les nombreux types et exemples de parasitismes que tu listes dans l’ouvrage, quel est celui dans lequel tu aimerais te réincarner dans ta prochaine vie ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, j’aime écrire sur les parasites, mais je ne suis pas particulièrement attiré par eux, ni par leur mode de vie. Comme tout un chacun, je frémis à l’idée de pouvoir être l’hôte de parasites. Une des raisons qui me pousse à écrire sur les parasites, c’est de pouvoir justement un peu exorciser mes peurs. Du coup, les parasites, je les respecte de plus en plus… Mais de là à vouloir en être un…
Le monde des parasites fait peu l’objet de communication auprès du grand public, il demeure mystérieux et inconnu, pourquoi ?
Je ne sais pas si je suis foncièrement d’accord avec cette idée. C’est probablement un effet de bulle médiatique, mais au contraire, j’ai l’impression qu’on parle de plus en plus du parasitisme. Quand en 2009 j’apprenais l’existence de champignons parasites contrôlant le comportement de fourmis, en effet, très peu de personnes en parlaient. Mais aujourd’hui, c’est un exemple que beaucoup de personnes connaissent, notamment du fait de l’adaptation qui en a été faite dans le jeu vidéo The Last of Us, ou les nombreux billets de blogs et les vidéos Youtube qui évoquent ce phénomène. Un des défis du livre a été d’ailleurs de trouver des exemples originaux de parasitisme par rapport à ceux qu’on trouve assez régulièrement sur internet. Mais c’est peut être un effet de niche.
Pour toi, reste-il encore beaucoup de choses à découvrir sur les parasites en général et ceux parasitant les êtres humains ?
Pendant mes recherches lors de l’écriture de « Moi, parasite« , j’ai intégré des découvertes réalisées en 2017 et en 2018, quelques semaines avant la sortie du livre : le domaine de la parasitologie est vaste et des découvertes sont réalisées périodiquement. Partant du constat que la plus grande majorité des formes de vie pratiquent le parasitisme, il n’est pas étonnant qu’il y ait encore tellement de chose à découvrir sur eux ! Rien que dans le domaine de la taxonomie, lorsqu’on découvre une nouvelle espèce, il faut bien s’imaginer qu’on a en réalité souvent découvert un hôte de nombreuses espèces parasitaires en même temps, qu’il va falloir étudier et décrire.
Enfin, aurais-tu une anecdote de parasite des plus ragoûtantes à nous raconter ?
En faisant des recherches sur les parasites employés par des humains pour les assister dans leur lutte biologie contre des nuisibles, je suis tombé sur le mode de fonctionnement de nématodes de l’espèce, Phasmarhabditis hermaphrodita, qui sont capables de tuer leurs hôtes : des limaces (on parle alors d’espèces parasitoïdes). Mais, prouesse, ils sont en mesure de contrôler le comportement de leur hôte et de pousser les limaces parasitées à s’enterrer avant de mourrir pour éviter que les larves de nématodes se retrouvent à l’air libre… Pratique quand on est un cultivateur et qu’on ne souhaite pas voir son potager couvert de cadavres de limaces !
Où se procurer l’ouvrage :
– « Moi, parasite » – Pierre Kerner – Editions Belin – Collection Sciences à plumes (192 pages – 14 mars 2018)
Dans la même rubrique, vous pouvez découvrir les interviews de :
- David GIRON (entomologiste-chercheur CNRS – IRBI-Université de Tours)
- Henri-Pierre ABERLENC (entomologiste – CIRAD)
- Nicolas MOULIN (entomologiste indépendant)
- Patrice BOUCHARD (chercheur entomologiste – Université d’ottawa)
- Marius BREDON (entomologiste – diplômé du Master 2 de Tours)
- Bruno MERIGUET (Entomologiste – Office Pour les Insectes et leur Environnement – OPIE)
- Adrian Hoskins (Entomologiste de renommée internationale – Spécialiste des papillons rhopalocères)
- Christophe Avon (Entomologiste au LEFHE, Directeur du MAHN-86 et Fondateur de World Archives of Science – WAS)
- Pierre-Olivier Maquart (Entomologiste spécialiste de Cerambycidae africains et des Amblypyges – Doctorant à l’Université de Sterling)
- Yves Carton (Directeur de Recherche émérite au CNRS – Auteur de « Histoire de l’entomologie – Relations entre biologistes français et américains – 1830-1940« )
- Gérard Duvallet (Professeur émérite à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, chercheur au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE)
- Pierre Kerner (Maître de Conférence en Génétique Evolutive du Développement à l’Université de Paris Diderot)
Une belle interview qui donne envie de conseiller ce livre
Bonne journée