Par Benoît GILLES
Il existe une multitude de modalités d’interactions entre les proies et les prédateurs. La chimie joue un rôle important et de nombreuses proies émettent ou déposent des molécules odorantes pouvant être exploitées par les prédateurs pour les identifier et les localiser. Par exemple, la guêpe Vespa germanica (Vespidae – Hymenoptera) utilise la phéromone sexuelle produite par la Mouches des fruits Ceratitis capitata (Tephritidae – Diptera) mâles pour la localiser. De même, l’araignée Habronestes bradleyi (Zodariidae) est attirée par les phéromones d’alarme de la fourmi Iridomyrmex purpureus (Formicidae – Hymenoptera).
A l’inverse, les proies possèdent également la capacité de détecter les prédateurs à l’aide d’indices olfactifs puis d’adapter leurs comportements pour diminuer les risques de prédation. Par exemple, des études ont montré que la colonisation de végétaux par des pucerons était moindre en présence d’indices chimiques associés à la coccinelle Coccinella septempunctata (Coccinellidae), ou que les larves de Doryphore de la pomme de terre (Leptinotarsa decemlineata – Chrysomelidae) et de la Chrysomèle du concombre (Acalymma vittatum – Chrysomelidae) réduisaient leur alimentation en présence de signaux en provenance de prédateurs.
Le dilemme majeur auquel les proies sont confrontées est le compromis entre recherche active de nourriture, d’un partenaire sexuel ou d’un site de ponte protégé et leur exposition aux prédateurs.
Pour les proies potentielles, la difficulté réside à contrer la diversité des attaques provenant d’une multitude de prédateurs différents.
La compréhension des mécanismes structurant les interactions proies-prédateurs est indispensable pour comprendre les forces évolutives agissant sur les pressions de prédations. Bien que de nombreuses études se soient intéressées au rôle protecteur de l’olfaction chez les vertébrés, cela reste mystérieux en ce qui concerne les insectes.
Dans le but d’apporter des informations nouvelles, l’entomologiste australien Phillip W. Taylor et son équipe ont mené des études comportementales sur la mouche des fruits Bactrocera tryoni (Tephritidae) (photo 1 ci-dessus). Originaire de l’Est de l’Australie, celle-ci s’alimente sur plus d’une centaine de fruits différents. Durant le 20ème siècle, les activités anthropiques l’ont dispersé dans la plupart des régions tropicales et tempérées chaudes où elle provoque d’importantes pertes économiques et des déséquilibres écologiques concurrençant les espèces indigènes.
Cette mouche a été confrontée à 5 prédateurs taxonomiquement et écologiquement différents afin de mettre en évidence les réponses adoptées par cette mouche pour éviter la prédation.
Elle a été mise en présence de signaux olfactifs provenant de trois araignées (Helpis minitabunda ; Opisthoncus quadratarius ; Clubiona robusta), d’une fourmi arboricole (Oecopylla smaragdina) (illustration 1 ci-dessus) et d’une punaise non prédatrice (témoin) (Plautia affinis – Pentatomidae) (figure 1).
Le protocole a consisté dans un premier temps à fixer les signaux olfactifs de chacun des prédateurs sur du charbon de bois pour ensuite les diffuser dans des enceintes contenant des mouches. La seconde étape a reposé sur l’observation vidéo des comportements des mouches.
Ces observations montrent, pour la première fois chez un insecte, que cette mouche modifie significativement ses déplacements, ses comportements de recherche de nourriture, de ponte et ceux associés à l’accouplement en fonction du type de prédateur détecté.
Ainsi, face à des signaux de l’araignée H. minitabunda et de la fourmi O. smaragdina, les mouches ont augmenté leurs déplacements, tandis qu’en présence de signaux de O. quadratarius et de P. affinis (non-prédateurs) les déplacements des mouches n’ont pas été modifiés. Les mouches ont diminué leurs déplacements en présence de signaux de C. robusta (illustration 2).
Les auteurs expliquent les modifications de comportements des mouches en présence de H. minitabunda, O. smaragdina et C. robusta par le fait que ces espèces sont des prédateurs fréquentant le feuillage et répandus dans l’environnement d’origine de B. tryoni et qu’une augmentation des déplacements serait une stratégie plus efficace pour leur échapper. A l’inverse, les déplacements se réduisent en présence de O. quadratarius et de P. affinis du fait que la première est moins commune et privilégierait les troncs et les branches (pression de prédation plus faible) et la seconde non prédatrice de B. tryoni.
L’étude met en évidence pour la première fois chez un insecte que la durée de visite d’un site de nourriture et celle consacrée au choix du site de ponte et à la ponte diminuent significativement en présence de signaux olfactifs de prédateurs potentiels. Cette réduction semble refléter une gestion de la prise de risque par la mouche car il existe une corrélation entre la durée d’exposition de l’insecte et la probabilité d’être détecté par un prédateur. Encore plus surprenant, l’activité d’accouplement a été complètement inhibée en présence de signaux olfactifs.
Les réponses comportementales observées chez B. tryoni semble être innées du fait que les spécimens testés étaient « naïfs » (jamais soumis à la présence d’un signal olfactif).
Conclusion
Il semble évident que ce type de réponses comportementales soit répandu chez les mouches Tephritidae, et chez d’autres taxons d’insectes. Cette étude suggère que des progrès substantiels dans la compréhension de l’écologie comportementale et chimique intervenant dans les relations proies-prédateurs peuvent être réalisés.
Bibliographie
- Taylor P.W. ; Kempraj V. & Park S.J. (2020) : Forewarned is forearmed : Queensland fruit flies detect olfactory cues from predators and response with predator-specific behavior. Scientific reports 10:7297 (lien)