Les premières plantes à fleurs apparues au trias (-200 millions d’années) se sont diversifiées durant le Crétacé et tout le Tertiaire.
Cette innovation majeure dans l’évolution des végétaux a permis l’émergence d’association avec d’autres organismes comme les insectes. La co-évolution plantes/insectes a engendré divers degrés de mutualisme (interactions positives entre deux espèces) : la plante offrant une ressource alimentaire et l’insecte, en échange, assurant sa pollinisation.
En 2016, l’entomologiste George Poinar découvre dans de l’ambre les plus anciennes preuves d’une telle association entre les orchidées et les coléoptères. Cette découverte apporte des connaissances intéressantes sur l’histoire évolutive des angiospermes et sur la mise en place des associations plantes/insectes.
Cette découverte est remise en cause par certains spécialistes comme James D. Ackerman. Passion-Entomologie lui a posé la question, retrouvez sa réponse dans l’encadré en bas de page.
Les orchidées
Les orchidées sont des plantes extraordinaires qui ont développé une stratégie unique de dispersion du pollen. Ces grains sont regroupés dans de petites capsules (les pollinies), recouvertes de bandes adhésives (les viscidies), fixées à un support (les caudicules) : l’ensemble de cette structure forme le pollinarium.
Contrairement aux autres végétaux dont les grains de pollen, libres, sont soumis aux aléas (vent, pluie, pollinisateurs, prédateurs…), ceux des orchidées, protégées par leur pollinie, nécessitent un messager pour polliniser les autres fleurs. Pour cela, les orchidées ont développé une gamme de mécanismes ingénieux afin d’attirer les pollinisateurs potentiels qui sont pour la plupart des insectes. L’attractivité des fleurs est accentuée par exemple par une sécrétion abondante de nectar ou par des systèmes mimétiques (exemple : orchidées de nos contrées du genre Ophrys dont les fleurs imitent les femelles d’abeilles solitaires Eucera sp.) (photo ci-contre).
Association orchidées et insectes
Les associations insectes/orchidées revêtent des formes diverses : de la simple visite dans les fleurs pour collecter le nectar à un rôle de pollinisateur spécifique comme le sphinx Xanthopan morgani. Ce papillon nocturne, seul représentant de son genre et plus gros sphinx d’Afrique de l’est et de Madagascar, est le pollinisateur unique de l’orchidée Angraecum sesquipedale, dont la hampe florale mesure 20-35 cm (photo ci-contre).
Parmi ces insectes, les coléoptères trouvent dans les fleurs et les parties végétatives des orchidées, selon les espèces, refuge, ressources alimentaires pour les adultes comme pour les larves. L’attractivité de la plante repose chez certaines espèces d’orchidées sur la sécrétion de molécules spécifiques à un ou plusieurs types de coléoptères : ces plantes sont dites « cantharophiles » (= « amis des cantharides »), pollinisées par des coléoptères.
Au printemps de 2016, le paléo-entomologiste américain George Poinar, Professeur au Département de biologie intégrative à l’Université de l’Oregon, apporte les premières preuves de l’existence lointaine de cette association de pollinisation coléoptères/orchidées grâce à la découverte de deux fossiles dans des morceaux d’ambre datés de 20-25 millions d’années.
Sur le premier spécimen, un charançon (Curculionidae-Cryptorhynchinae), provenant de la Cordillère septentrionale de République Dominicaine (photo 1), sont attachés des pollinies. Chez le second spécimen, appartenant à la famille des Ptilodactylidae et provenant quant à lui de la région Simojovel dans le Chiapas au Mexique (Photo 2), les pollinies s’observent sur les pièces buccales.
Résultats de l’étude
Après une étude précise des pollinarium, George Poinar a identifié et déterminé avec précision le genre auquel ils appartiennent. Ainsi, les pollinarium retrouvés sur le charançon, constitués de pollinies longs et cylindriques (2×1,8×0,3mm) et de viscidies sphériques, appartiennent au genre Cylindrocites (Orchidoideae-Cranichidae). Composés de 4 pollinies séparées et allongées (0,5×0,4mm) et de caudicules et de viscidies réduits, ceux du Ptilodactylidae ont été associés au genre Annulites (Orchidoideae-Cranichidae) (Illustration 1 ci-contre).
Description des orchidées fossiles
Le genre Cylindrocites appartient à la sous-tribu des Spiranthinae qui regroupe 40 genres et 400 espèces, toutes néo-tropicales et pour la plupart pollinisées par des abeilles. Aujourd’hui, aucune espèce de la sous-famille des Cryptorhynchinae s’alimente ou visite ce type de végétaux, hormis quelques cas recensés. Cependant, les larves de nombreuses espèces de Baridinae comme Orichidophilus aterrinus et Omobaris calanthes se développent au dépend de ces plantes. Les charançons sont connus pour être des pollinisateurs d’autres familles de végétaux comme les Eupomatiaceae, les Degeneriaceae, les Myristicaceae ou encore les Annonaceae.
Le genre Annulites compose avec 150 espèces réparties en 9 genres la sous-tribu des Cranichidinae dont la plupart sont terrestres, opposées aux espèces arboricoles épiphytes. Près de 450 espèces de coléoptères Ptilodactylidae liées aux orchidées ont été recensées à ce jour, mais, étonnamment, ce fossile offre le premier cas d’association avec des pollinies.
Exemple d’associations contemporaines orchidées/coléoptères
D’autres familles d’insectes comme les Anthribidae, Cantharidae, Cerambycidae, Chrysomelidae, Coccinellidae, Dermestidae, Elateridae, Lycidae, Oedemeridae ou encore Scarabeidae sont connus pour visiter les fleurs des orchidées.
Par exemple, les Cerambycidae Alosterna tabacicolor et Stranglia aethiops transportent parfois des pollinies de Dactylorhiza maculata et de D. fuschii, tout comme Ametalla spinolae (Chrysomelidae) et Trogoderma adelaidae (Dermestidae) qui transportent quant à elles des pollinies de fleurs du genre Prasophyllum.
Complément d’informationsPassion-Entomologie a souhaité en savoir davantage quant à cette découverte. Pour cela, le spécialiste de l’évolution des Orchidées : James D. Ackerman (Université de Puerto-Rico) a répondu à cette sollicitation avec gentillesse, un grand merci ! Pour James D. Ackerman, les objets présents dans ces fossiles ne seraient pas des pollinies. Bien qu’un grand engouement dans l’utilisation des pollinies dans l’étude de la phylogénie des orchidées est eu lieu durant les années 1970-1980, peu de travaux ont depuis été menés. Cependant, l’histoire évolutive de nombreuses familles d’orchidées est aujourd’hui bien documentée. Après en avoir discuté avec d’autres spécialistes (Raymond Tremblay, Mark Whitten et Norris Williams), James D. Ackerman et ces collègues soumettent l’hypothèse que le pollinarium associé au genre Cylindrocites (pollinarium tacheté) serait un nématode et celui associé au genre Annulites un champignon de type Ascomycète. Les nématodes et les champignons sont, en effet, souvent des parasites d’insectes. En 2007, Santiago R. Ramirez, du Muséum de Zoologie Comparative de l’Université de Harvard, a réalisé des études sur d’autres fossiles, dont un d’une abeille avec des pollinies trouvé également dans de l’ambre provenant de République Dominicaine, ayant permis de déterminer, grâce à des outils d’horloge moléculaire, l’apparition des premières orchidées à la fin du Crétacé. James D. Ackerman précise que la pollinisation des orchidées par les coléoptères reste assez rare. Elle peut-être non spécialisée comme pour l’orchidée du genre Neottia ou bien dérivée secondairement dans des lignées plus récentes. |
Source :
– Poinar G. (2016) : Beetles with Orchid pollinaria in Dominican and Mexican amber – American Entomologist, 172-177
– Ramirez S.R. et al. (2007) : Dating the origin of the Orchidaceae from a fossil orchid with its pollinator – Nature, vol448-30:1042-1045 (lien)
En savoir davantage :
Une équipe de scientifique a apporté, en 2010, l’unique cas documenté de pollinisation par un insecte appartenant à l’ordre des Orthoptères. Cette découverte est d’autant plus intéressante qu’elle concerne deux espèces rarissimes et endémiques des iles de La Réunion et de Maurice : une sauterelle du genre Glomeremus et l’orchidée Angraecum cadetii.
Pour en savoir davantage sur cette découverte : ici.
Recommandation d’ouvrage sur cette thématique
– Evolution of Plant-Pollinator Relationships (Sébastien Patiny – Edition : Cambridge University Press – 514 pages – 8 décembre 2011)