L’entomofaune des îles subantarctiques françaises

L’entomofaune des îles subantarctiques françaises

Par Maurice HULLÉ

Les îles subantarctiques, parmi les plus isolées au monde, hébergent un petit nombre d’espèces d’invertébrés terrestres autochtones qui, au cours de leur évolution, ont développé des adaptations biologiques particulières dont la plus remarquable est la perte de la fonction de vol chez les insectes. Depuis leur découverte récente et, surtout, depuis l’installation de bases permanentes, ces écosystèmes fragiles ont subi d’importantes perturbations biologiques.

Les îles subantarctiques sont disposées autour du continent antarctique entre le 46° et le 54° parallèle de l’hémisphère austral, de part et d’autre du front polaire où les eaux froides du courant antarctique rencontrent les eaux plus chaudes subantarctiques.

Répartition des îles subantarctiques (Source : M. Hullé)

Elles sont regroupées en trois provinces (Océans Indien, Atlantique, Pacifique) présentant chacune une histoire biogéographique différente.  Ces îles françaises de Kerguelen et Crozet appartiennent à la province de l’Océan Indien Sud qui comprend quatre groupes d’îles : Kerguelen, les îles Crozet, le groupe des îles australiennes de Heard et Mac Donald situées plus au sud et celui des îles du Prince Edouard (Prince Edouard et Marion) situées à l’Ouest de Crozet et qui appartient à l’Afrique du Sud.

Cette situation géographique leur confère un climat qualifié d’Océanique froid. La température moyenne de Crozet et de Kerguelen est de 5°C avec des variations saisonnières faibles (entre 2 et 8°C en moyenne).  Les îles sont situées sur le passage des dépressions océaniques qui tournent de façon quasi permanente autour du continent antarctique. Les vents sont donc forts (35 km/h en moyenne) et dépassent fréquemment les 100 voire les 150 km/h. Les précipitations sont très élevées à Crozet (environ 2500 mm/an). A Kerguelen, plus grande, les précipitations vont de 2000 mm sur la côte Ouest exposée au vent à environ 750 mm sur la côte Est. Les températures décroissent de près d’un degré tous les 100 m en altitude, si bien que les seuils thermiques de développement de la plupart des insectes sont rapidement atteints et que la vie se concentre sur une bande littorale inférieure à 200 m d’altitude. 

Île Kerguelen et position géographique de la base Port aux français (Source : M. Hullé)

Ces îles sont d’origine volcanique. Les premiers épisodes géologiques ayant conduit à leur émergence du plateau océanique datent d’environ 40 millions d’années pour Kerguelen et de 8,5 millions d’années pour Crozet. Il est probable que les dernières grandes glaciations de la fin du Pléistocène aient pratiquement recouvert les îles, ne laissant que quelques refuges à la faune en particulier aux îles Crozet.

Kerguelen est composée d’une île principale ou Grande Terre qui couvre 6675 km² et d’un nombre important d’îles de tailles variables et couvrant au total 540 km². La base de Port-aux-Français est installée au sud-est de la Grande Terre. Les îles Crozet sont composées de deux groupes éloignés d’une centaine de km. Le groupe ouest comprend 3 îles inhabitées et très rarement visitées. Le groupe Est comprend deux îles dont l’île de la Possession dont la surface est de 140 km2 et sur laquelle a été installée la base Alfred-Faure. Les données évoquées sur la faune de Crozet ne concernent que cette île de la Possession.

Les îles sont constituées de 2 groupes d’îles éloignés d’une centaine de km (Source : M. Hullé)

 

Faune invertébrée autochtone

On peut désigner comme faune autochtone celle que les premiers visiteurs ont pu observer. Cette faune est donc issue de processus de colonisation des îles par des voies naturelles comme le transport sur les oiseaux ou les courants aériens.  Hormis les espèces de mammifères et d’oiseaux marins qui y sont très abondantes et compte tenu de l’isolement des îles et des températures basses, seules quelques espèces terrestres ont réussi la prouesse de survivre aux glaciations ou de les coloniser depuis. Il en résulte une faune pauvre en espèces et dont beaucoup de groupe sont absents : deux espèces d’oiseaux terrestres seulement, pas de mammifères, ni de reptiles ou d’amphibiens.

La matière organique provient en partie des colonies d’animaux marins (Source : M. Hullé)

La faune terrestre, composée essentiellement d’invertébrés, compte environ 200 espèces. Collemboles et acariens y sont riches de plusieurs dizaines d’espèces. La macrofaune comprend seulement 68 espèces : 3 de vers de terre, 1 de mollusque, 9 d’araignées et 54 d’insectes. Parmi ces derniers les Coléoptères et les Diptères sont les deux ordres les plus importants avec respectivement 32 et 15 espèces autochtones.

Les espèces autochtones comprennent des espèces endémiques strictes de l’une ou l’autre île, des espèces propres à la Province de l’Océan Indien Sud et qu’on retrouve donc sur au moins deux des quatre groupes d’îles de cette province et des espèces subantarctiques que l’on trouve donc aussi dans la Province de l’Océan Atlantique Sud et la Province Néo-Zélandaise. 

 

Chou de Kerguelen – Pringlea antiscorbutica hébergant de nombreuses espèces natives comme la mouche Calycopteryx moseleyi (Source : B. Van de Vijver)

Le taux d’endémisme est particulièrement élevé à Crozet où 68% des espèces autochtones sont des endémiques strictes (30% à Kerguelen). L’ordre des Coléoptères comprend par exemple 18 espèces endémiques sur les 22 espèces autochtones de Crozet, celui des Diptères 8 sur 14. 5 des 8 espèces d’araignées sont aussi des endémiques strictes. Crozet a donc connu une radiation évolutive active ayant conduit à un plus grand nombre d’espèces endémiques qu’à Kerguelen malgré une superficie nettement inférieure.

Le faible nombre d’espèces en présence a généré des réseaux trophiques simplifiés où la consommation de matière organique en décomposition joue un rôle important. Cette matière organique provient de la microflore, des plantes supérieures, des laisses de mer et des colonies d’animaux marins, mammifères et oiseaux, extrêmement importantes. La nourriture en provenance de la mer est abondante et éventuellement saisonnière et nombreux sont les insectes décomposeurs qui en dépendent. Ces fortes interactions milieu marin – milieu terrestre sont l’une des caractéristiques du fonctionnement écologique de ces îles. Le nombre d’espèces d’invertébrés décomposeurs est donc élevé par rapport à celui des espèces phytophages ou prédatrices. Ce biais en faveur de la fonction de décomposition est une autre caractéristique écologique de ces milieux.

Principales espèces d’insectes autochtones

Nous l’avons vu, les Coléoptères constituent l’ordre le plus riche des îles subantarctiques avec 32 espèces soit la moitié des espèces d’insectes autochtones. En leur sein, les Curculionidae, ou charançons, montrent une grande diversité avec 24 espèces dont 18 sont endémiques strictes et 6 de la province de l’Océan Indien Sud. Ils constituent un groupe monophylétique caractéristique de cette province. C’est à Crozet que leur diversité est la plus remarquable, suggérant le rôle important que cet archipel a dû jouer dans la diversification de ce groupe au sein de la province.

Paysage de Fell-field (Source : M. Hullé)

Les charançons ont colonisé un grand nombre d’habitats depuis le littoral jusqu’au fell-field d’altitude (environnement pentu, formé d’éboulis, en zone alpine ou toundra subissant des cycles de gel et de dégel où se développe une végétation spécifique). La plupart d’entre eux sont des polyphages consommateurs de microflore (algues, bactéries), de lichens et de bryophytes. Certains comme les Ectemnorhinus se nourrissent préférentiellement sur les plantes vasculaires comme Azorella selago, Pringlea antiscorbutica, le chou de Kerguelen, ou Acaena magellanica, une rosacée très abondante dans ces territoires. Certaines espèces comme Palirhoeus eatoni sont strictement littorales, vivant dans la zone intertidale et se nourrissant uniquement d’algues entéromorphes (algues vertes de la famille des Ulvaceae). 

Les Coléoptères prédateurs sont représentés essentiellement par trois espèces de Trechidae, Amblystogenium pacificum, A. minimum et Temnostega antarctica, toutes endémiques de l’archipel Crozet.

Charançon endémique Palirhoeus eatoni (Source : B. Chaubet)

Deux autres familles de Coléoptères sont présentes : la famille des Hydraenidae avec deux espèces l’une à Crozet et l’autre à Kerguelen, et les Staphylinidae avec trois espèces.

Les Diptères autochtones sont représentés par 15 espèces réparties en six familles. Ils constituent le deuxième ordre en nombre d’espèces. C’est au sein de cet ordre et de celui des Lépidoptères que la perte de la fonction de vol, adaptation biologique fréquente dans les milieux subantarctiques est la plus spectaculaire. On y observe ainsi des mouches sans ailes que les premiers visiteurs ont prises pour des fourmis. 9 des 15 espèces autochtones de diptères ont ainsi perdu la fonction de vol. Elles ne développent plus que des ailes réduites et non fonctionnelles ou sont même devenues aptères. Or le succès évolutif des insectes est notamment lié à cette fonction. Le vol nécessite une dépense énergétique élevée souvent incompatible avec de basses températures tout au long de l’année. La réduction alaire peut apparaître comme un compromis entre le développement de l’aile et d’autres fonctions biologiques telles la reproduction, la survie et la croissance.

Mouche aptère Anatalanta aptera où les larves se développent sur les cadavres d’animaux marins (Source : B. Chaubet)

La plupart des Diptères des îles Kerguelen sont des décomposeurs de la matière organique en provenance de la mer. Or cette ressource est saisonnière, principalement estivale. La possibilité de réallouer des ressources énergétiques destinées au vol à la constitution de réserves lipidiques supplémentaires permettraient la résistance des espèces au froid hivernal et à son manque de ressources alimentaires. C’est probablement le cas de la mouche sans ailes Anatalanta aptera chez laquelle un jeûne hivernal est fréquemment observé chez les adultes. Cette adaptation s’observe chez des familles taxonomiquement différentes comme les Sphaeroceridae, les Canacidae, les Micropezidae, les Helcomyzidae, les Ephydridae et les Chironomidae. Des ressources alimentaires localement abondantes ou la faible pression de prédation qui rendent le vol non indispensable sont autant d’hypothèses qui permettraient d’expliquer cette convergence évolutive.

L’aile de la mouche Calycopteryx moseleyi est réduite à une petite écaille (Source : B. Chaubet)

Au sein des Brachycères, la famille des Sphaeroceridae est représentée pas trois espèces autochtones toutes aptères dont Anatalanta aptera et A. crozetensis, et celle des Canacidae par deux espèces l’une brachyptère et l’autre ailée appartenant au genre Apetaenus. Les autres familles ne sont représentées que par une seule espèce chacune. Parmi celle-ci la Micropezide Calycopteryx moseleyi vit principalement dans le chou de Kerguelen, Pringlea antiscorbutica. Elle y développe des populations denses au sein des feuilles. Cette espèce est endémique de Kerguelen et de Heard.

Telmatogeton amphibius, un chironome se nourrissant d’algues entéromorphes (Source : B. Chaubet)

Les Nématocères autochtones ne comprennent que trois familles, les Chironomidae avec quatre espèces, les Simulidae avec deux espèces et les Keroplatidae avec une seule espèce.  Parmi celles-ci deux ont des ailes réduites, Belgica albipes et Telmatogeton amphibius. Cette dernière espèce, présente dans toute la province de l’Océan Indien Sud, est une espèce littorale, gracile se nourrissant d’algues marines comme les entéromorphes.

Les Lépidoptères sont représentés par trois espèces présentant toutes une réduction alaire importante. Deux espèces appartiennent à la famille des Tineidae. Ce sont Pringleophaga crozetensis endémique de Crozet et P. kerguelensis présente dans les deux îles. Cette dernière est le plus grand des insectes autochtones des îles australes, l’adulte atteignant 16 mm de long et la larve 50 mm. Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser croire, ces espèces ne sont pas inféodées aux Chou de Kerguelen, Pringlea antiscorbutica. On les trouve dans différents types d’habitat depuis la côte jusqu’au fell-field où les chenilles phytophages ou saprophages se cachent sous les pierres. La troisième espèce, Embryonopsis halticella, appartient à la famille des Hyponomeutidae. Elle est très liée à la graminée autochtone Poa cookii qui pousse près de la frange littorale. 

Papillon Pringleophaga kerguelensis et sa chenille (Source : B. Chaubet)

Les deux derniers ordres abordés ici ne sont représentés chacun que par une seule espèce. L’ordre des Hémiptères ne comprend qu’une punaise endémique de l’archipel Crozet, Phthirocoris antarcticus (Henicocephalidae). Cette espèce peut fréquente est terricole et se nourrit probablement de collemboles ou de larves d’insectes. L’ordre des Hyménoptères ne comprend aussi qu’une seule espèce, une guêpe Eucoilidae, Kleidotoma icarus présente dans toute la province de l’Océan Indien Sud. Il s’agit d’une espèce parasitoïde de diptères. Les mouches Canacidae du genre Apetaneus, avec lesquelles elle partage le même habitat littoral, semblent être ses hôtes principaux, mais elle peut également parasiter d’autres familles de Diptères comme celle des Ephydridae ou des Sphaeroceridae. 

Punaise Phthirocoris antarcticus endémique strict de Crozet (Source : B. Chaubet)
Guêpe Kleidotoma icarus est le seul Hyménoptère présent sur les îles (Source : B. Chaudet)

 

 

 

 

 

 

 

Des insectes et des hommes : les invasions biologiques

La faune et la flore des îles de Crozet et de Kerguelen ont évolué en situation d’isolement anthropologique jusqu’à la fin du 18ème siècle. Elles n’étaient alors soumises qu’à des processus naturels d’extinction et de colonisation. A cette époque, la curiosité scientifique soutenue par la volonté publique de partir à la recherche de terres nouvelles, a favorisé l’organisation de nombreuses expéditions maritimes et la plupart des îles subantarctiques ont été découvertes lors de ces voyages circumterrestres. Ce fut le cas des îles Crozet dont Julien-Marie Crozet (1728-1780), second de Marc-Joseph Marion Dufresne pris possession en 1772 et des îles Kerguelen découvertes lors l’expédition de Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec (1734-1797). Durant le 19ème siècle, ces îles firent l’objet d’une exploitation intense des phoques puis des baleines chassés pour leur graisse, le nombre des bateaux présents pouvant atteindre plusieurs dizaines en même temps.

Ce fut également l’époque des premières introductions d’espèces étrangères dont certaines furent volontaires comme celle du lapin et du pissenlit. Ces premières introductions ont eu au cours du temps des impacts extrêmement importants en bouleversant le paysage des îles. Le lapin par exemple a exercé une forte prédation favorisant le développement parfois de façon monospécifique d’une rosacée autochtone Acaena magellanica peu consommée. Les plantes autochtones fragilisées par cette prédation mais aussi par le réchauffement climatique des années 1970 ont permis l’invasion de secteurs entiers par le pissenlit. Les tentatives d’installation fermière et de ferme à mouton ont entrainé une augmentation importante des graminées fourrages.

Enfin depuis l’installation des bases permanentes dans les années 1950 et la mise en place de rotations régulières de navires ravitailleurs, on a vu le nombre d’espèces de plantes et d’invertébrés croître de façon exponentielle. Même si dorénavant et grâce à la mise en place depuis 2006 d’un statut de réserve naturelle, des mesures sévères sont prises pour limiter sensiblement le nombre des introductions, il n’en demeure pas moins que ces quelques années de « portes ouvertes » ont modifié très significativement la faune invertébrée.

Carabe Merizodus soledadinus introduit en 1913 sur Kerguelen (Source : B. Chaubet)

Actuellement on dénombre 24 espèces d’insectes introduites et 7 d’araignées. Pour être considérées comme introduites de façon durable, les espèces étrangères doivent franchir un certain nombre d’étapes depuis leur pays d’origine jusqu’à leur pays d’accueil: la première est le transport par voie maritime, seul moyen pour accéder aux îles, la deuxième est le débarquement sur l’île suivie rapidement de la troisième étape : l’installation. Celle-ci sera effective lorsque l’espèce candidate aura résolu deux questions majeures pour se maintenir sur place : se nourrir et se reproduire. Toute espèce découverte lors des escales du bateau ne réussiront pas cette troisième étape de sédentarisation. Les 24 espèces d’insectes et les 7 d’araignées évoquées ci-dessus ont toutes franchi ces barrières. On évoque parfois la règle des 10èmes : pour 1000 candidats, 100 survivent au transport, 10 arrivent à débarquer et 1 à s’installer. Mais cette règle n’est pas facile à vérifier. Les bases permanentes et les lieux de concentration de l’activité humaines sont des lieux privilégiés d’introduction.

Pour accéder ensuite au statut d’espèce invasive il faudra franchir de nouvelles étapes : l’une est la dispersion sur le nouveau territoire au-delà de son point d’entrée et la deuxième est d’avoir un impact sur le fonctionnement de l’écosystème d’accueil. Ainsi cinq espèces d’insectes et une d’araignée peuvent être considérées comme invasives. Elles ont toutes une distribution élargie par rapport à leur point d’introduction et exercent un impact soit de prédation soit de compétition sur les espèces autochtones.  C’est le cas d’un carabe prédateur, Merizodus soledadinus, à fort potentiel de dispersion et ayant réduit sensiblement les populations de la mouche autochtone Anatalanta aptera, des pucerons Myzus ascalonicus et Rhopalosiphum padi qui provoquent des dégâts directs sur plantes natives et introduites par prélèvement de sève dont ils se nourrissent mais aussi en transmettant des virus phytopathogènes, des mouches Calliphora vicina et Fucellia martima qui entrent en compétition avec les espèces locales pour les ressources alimentaires ou de l’araignée Tenuiphantes tenuis, linyphide bâtissant d’immenses réseaux de toile sur les prairies à Acaena.

Puceron Myzus ascalonicus introduit accidentellement dans les années 1960 et l’espèce invasive la plus répandue (Source : B. Chaubet)
Mouche Calliphora vicina dont l’extension est favorisée par le réchauffement climatique (Source : B. Chaubet)

 

 

 

 

 

 

 

 

D’autres espèces restent cantonnées à leurs lieux d’introductions ou ont des distributions localisées. C’est le cas par exemple des araignées Steatoda grossa ou Tegeneria domestica qui restent cantonnées aux bâtiments, du puceron Myzus ornatus que l’on ne trouve à Kerguelen que sur la base et autour de quelques cabanes utilisées par les scientifiques.

Araignée Tenuiphantes tenuis construit d’immenses réseaux de toile piégeant les insectes autochtones (Source : B. Chaubet)

Aranéides, Diptères et Hémiptères sont les trois ordres les mieux représentés en espèces introduites avec respectivement 7, 11 et 6 espèces. Les Diptères introduits appartiennent à neuf familles différentes. Certaines familles (Carnidae, Psychodidae, Scatopsidae, Sciaridae, Trichoceridae) ne sont représentées que par des espèces introduites. Parmi celles-ci Psychoda parthenogenitica est une espèce présente dans un grand nombre d’îles des trois provinces subantarctiques. Pour les Hémiptères, les espèces introduites appartiennent toutes à la famille des Aphididae. Rhopalosiphum padi est également une espèce qui a colonisé un grand nombre d’îles subantarctiques. Ces espèces se reproduisent de façon parthénogénétique. Ainsi la parthénogenèse, qui lève la contrainte de devoir être introduit avec un partenaire sexuel, semble être l’un des facteurs pouvant expliquer le succès invasif de certaines espèces.

Recherche sur les invertébrés terrestres des îles subantarctiques
Etude sur le terrain – Iles Crozet (Source : Institut Polaire Français)

Notre connaissance de la biodiversité subantarctique, ainsi que de l’écologie des espèces, en fonction des effets des changements climatiques et des invasions biologiques, reste parcellaire. L’évaluation de la sensibilité et de la vulnérabilité des organismes autochtones aux changements climatiques et aux invasions biologiques doit être menée, afin de prévoir au mieux les évolutions possibles de la biodiversité subantarctique. Les insectes et plantes exotiques peuvent par ailleurs représenter des éléments clés modulant la nature des communautés et leur diversité fonctionnelle. Les modifications des communautés de plantes peuvent notamment affecter les réseaux d’interactions multi-trophiques, avec des effets significatifs sur les animaux terrestres en termes d’abondance, de diversité taxonomique et fonctionnelle.

Le projet de recherche Subanteco (financé par l’Institut Polaire Français, Institut Paul Emile Victor – IPEV) cherche à étudier les variations spatio-temporelles de la biodiversité subantarctique, les processus d’invasions biologiques, les effets des variations environnementales sur l’écologie et la physiologie des espèces, ainsi que la perception de la biodiversité dans un contexte non marchand.

Préparation de l’hélico pour les ravitaillements (Source : Institut Polaire Français)

Ce travail a bénéficié de nombreuses observations historiques qui, depuis les expéditions entomologiques de René Jeannel en 1939, ont permis de documenter assez précisément l’histoire de certaines invasions biologiques comme celle du Carabe Merizodus soledadinus. Cet insecte a été involontairement introduit à Kerguelen au début du 20ème siècle lors de l’importation de moutons en provenance des Falkland. Resté cantonné sur son lieu d’introduction durant plusieurs décennies, il a commencé à se disperser à la faveur du réchauffement climatique qui s’est opéré dans les années 1970. La vitesse de dispersion de cet insecte marcheur a été évaluée à 3 km/an.

Le suivi des espèces introduites et la détection de nouvelles espèces font dorénavant l’objet de protocoles scientifiques. Le soutien de l’IPEV permet d’envoyer chaque année des jeunes volontaires scientifiques civils chargés d’appliquer durant une année passée sur le terrain les protocoles élaborés dans les laboratoires partenaires du programme Subanteco. Des chercheurs de ces mêmes laboratoires y effectuent régulièrement des campagnes d’été.

Liens vers des sites : 

Documentaire

Source :
  • Greve et al. (2017) : Terrestrial invasions on sub-Antarctic Marion and Prince Edwards Islands, Bothalia – African Biodiversity & Conservation (lien)
  • Chown S.L. and Convey P. ( 2016) : Antarctic Entomology – Annual Review of Entomology, vol61:119-137 (lien
  • Hulle M. (2012) : Myzus ascalonicus, an aphid recently introduced to sub-Antarctic Islands, prefers native to exotic host-plant – Environmental Entomology, vol 41(6):1398-1404 (lien)
  • Greenslade P. ; Vernon P. and Spith D. (2012) : Ecology of Heard Island Diptera – Polar Biology, vol 35(6):841-850 (lien)
  • Lebouvier M. et al. (2011) : The significance of the Sub-Antarctic Kerguelen Islands for the assessment of the vulnerability of native communities to climate change, alien insect invasions and plant viruses – Biological Invasions, Vol 13(5):1195-2108 (lien)
  • Convey P. & Lebouvier M. (2009) : Environmental change and human impacts on terrestrial ecosystems of the Sub-Antarctic Islands between their discovery and mid-twentieth century – Papers and Proceedings of the Royal Society of Tasmania, Vol 143(1):33-44 (lien)

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