Vanille : prédation et agro-écologie à Madagascar

Vanille : prédation et agro-écologie à Madagascar

Par Benoît GILLES

Depuis 1953, Madagascar a perdu 44% de son couvert forestier en raison de la déforestation et de l’extension des cultures itinérantes non durables (brulis par exemple) principalement réalisées par les petits exploitants. Toutefois, de grandes étendues de forêts tropicales humides persistent sur la côte orientale et au nord-est de l’île. Elle abrite une forte diversité d’écosystèmes et d’espèces endémiques, résultant d’un isolement biogéographique de plusieurs millions d’années.

Dans ces régions forestières, la principale ressource de 80% des petits exploitant locaux repose sur la culture de la vanille (Vanilla Vanilla planifolia). Cultivée dans des systèmes plantés, soit en forêt, soit en jachère, la vanille joue donc un rôle ambigu en termes de paysage et d’écosystème.

Une récente flambée des prix de la vanille a ainsi conduit à la fois à l’expansion des surfaces cultivées mais aussi à encourager la réhabilitation du couvert forestier des zones en jachère mettant ainsi un terme à la culture itinérante. 

La vanille : une culture agroforestière

Les « agroforêts » sont des systèmes agricoles développés principalement par les pays du sud qui, en favorisant le maintien des structures forestières naturelles, permettent de conserver une biodiversité et des fonctions écosystémiques proches de celles des forêts non exploitées. Ce type de sylviculture offre ainsi une alternative intéressante d’un point de vue écologique.

Par exemple, dans les systèmes agricoles tropicaux, où les pertes de rendement sont en général plus importantes que dans les régions tempérées, les rendements des cultures dépendent de la lutte biologique naturelle et donc de la pression de prédation sur des espèces « ravageuses » par un cortège d’espèces prédatrices.

L’agroforesterie représente également un outil populaire dans les projets de restauration des paysages (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et la pêche, 2017). Cependant, le potentiel de conservation de cette fonction dans les agroforêts dépend de nombreux facteurs contributifs tels que la composition du paysage et les activités agricoles locales comme le désherbage en sous-bois.

Histoire de la culture de la vanille
Culture de vanille sous serre – Tahiti (source : Delices-Mag)

La vanille (Vanilla Vanille planifolia) est une Orchidée originaire d’Amérique centrale (Mexique, Guatemala, Belize et Honduras). Son histoire est associée à celle du chocolat, où Aztèques et Mayas élaboraient une boisson épaisse à base de cacao appelée Xocoatl. Au XVIème siècle, les espagnols découvrent pour la première fois la vanille et son commerce international se développe dès le XVIIème siècle. Durant 200 ans, la région de Veracruz au Mexique détiendra le monopole de sa culture, l’absence de pollinisateurs indigènes rendant impossible la production de gousses de vanille en dehors de son aire de répartition.

En 1836, la première pollinisation artificielle est réalisée par le naturaliste belge Charles Morren, puis en 1837 par l’horticulteur français Joseph Henri François Neumann. C’est en 1841 que le procédé encore utilisé aujourd’hui a été créé par l’esclave de l’île Bourbon (île de La Réunion) Edmond Albius.

La vanille a été introduite à Madagascar en 1880 où les premières plantations ont été installées sur l’île de Nosy Be. Grâce à un climat tropical favorable, la production de vanille atteint les 1 000 tonnes dès 1929, soit dix fois plus que celle de La Réunion. Bien que d’autres régions comme l’Indonésie exploitent désormais la vanille, Madagascar conserve aujourd’hui largement son rang de premier exportateur mondial (60 à 80% de la vanille mondiale).

La déforestation affecte directement les interactions biotiques et les chaines trophiques comme le contrôle biologique en raison de la simplification structurelle de la végétation à l’échelle d’un paysage. De nombreux prédateurs réagissent rapidement aux changements environnementaux en raison de leur faible densité et de leur taille plus importante. Des modifications de leurs populations constituent les premières manifestations de la perte de biodiversité et de la perturbation des équilibres écologiques. 

Pour évaluer ces modifications et prédire des modèles de prédation, une des techniques consiste à placer de fausses chenilles sur les plants cultivés puis à suivre le taux de leur « prédation » et la diversité des prédateurs (arthropodes et oiseaux par exemple). Bien que ce cette technique offre de bons résultats, peu d’études l’ont utilisée pour comparer la pression de prédation et la composition des cortèges de prédateurs au sein de différents habitats.

Une équipe internationale composée de scientifiques malgaches et allemands, menée par Dominik Schwab du Département d’Agroécologie de l’Université de Göttingen en Allemagne, a souhaité apporter des éléments de réponse. Pour leur étude, les scientifiques ont placé des chenilles factices dans sept types de biotopes caractéristiques du nord-est de Madagascar (région de SAVA) pour évaluer la pression de prédation et la diversité des prédateurs attirés par ces leurres (figure 3 ci-dessous). Ils ont pris comme référence les forêts anciennes continues et émis l’hypothèse que la modification des habitats forestiers provoquerait des changements significatifs dans le taux de prédation et la nature des prédateurs (figures 1 et 2).

L’objectif de l’étude est, in fine, de déterminer l’importance de la conservation de la biodiversité et des communautés de prédateurs en tant qu’éléments majeurs du fonctionnement des systèmes agroforestiers de culture de la vanille par rapport à d’autres types d’utilisation.

Figure 1 : A) Localisation géographique de la région de SAVA à Madagascar – B) Zone de l’étude (les villages sont indiqués) – C) Carte détaillée avec la localisation des sites d’études (triangles bleu et orange) – D) Parcelles et types de culture où ont été menés les expérimentations (Source : Schwab et al., 2020 – modifié par B. Gilles)
Agroforesterie et maintien de la pression de prédation

Les premiers résultats confirment l’hypothèse selon laquelle la pression de prédation est affectée négativement par les activités anthropiques. Les scientifiques ont en effet observé une diminution globale significative de la pression de prédation de l’habitat forestier vers l’habitat ouvert.

En termes de composition des cortèges des prédateurs, les arthropodes, en particulier les fourmis, représentent la majorité de ceux-ci quels que soient les types d’habitats, confirmant une tendance mondiale documentée. Cependant, la fragmentation des systèmes forestiers entraine la disparition de prédateurs forestiers spécialisés comme les Gryllacrididae (famille des Orthoptères) (figure 3).

L’étude a ainsi permis de montrer que la densité végétale semble être le paramètre le plus important dans le maintien de la pression de prédation dans cette région. La culture sur brulis et le défrichement manuel des zones forestières dans les plantations de vanille diminuent le couvert végétal, entrainant une baisse de la pression de prédation.  

Les taux de prédation les plus élevés ont été mesurés dans les zones où persistaient, au moins partiellement, les structures forestières de référence. Les fourmis sont les principales contributrices à la prédation (>50%) dans les plantations de vanille (figure 4).

Une forte densité en végétation de sous-étage conduirait à une connectivité structurelle accrue facilitant le succès de la recherche de nourriture par les arthropodes arboricoles tout en empêchant la prédation intra-guilde (type d’interaction biologique à mi-chemin entre la compétition et la prédation dans lequel une espèce tue ou dévore une autre espèce qui consomme des ressources similaires aux siennes et souvent limitées). Cette connectivité structurelle disparaît dans la plupart des parcelles de vanille en raison du défrichage répété de la végétation de sous-étage. Cependant, de nombreuses espèces de fourmis, nidifiant dans le sol et chassant dans les diverses strates de la végétation, sont plus faiblement affectées par cette perte de connectivité.

En conséquence, l’étude montre que la conversion à l’agroforesterie, même sans feu, modifie considérablement la communauté des prédateurs forestiers spécialisés. Cela prouve que les arbres et la végétation de sous-étage sont des éléments clés dans les équilibres écologiques forestiers. De plus, le feu diminue davantage la pression de prédation par la destruction et la perte de la structuration complexe de la végétation. Des observations similaires ont été réalisées dans des forêts dégradées aux Philippines et dans le sud de la Chine.

Il n’a pas été mis en évidence une modification de la pression de prédation par les oiseaux. La végétation est toutefois probablement trop dense pour rendre les proies détectables.

Figure 2 : Types d’utilisation des terres prévalants dans le nord-est de Madagascar indiquant les pratiques d’utilisation des terres et de leur histoire d’utilisation : les forêts anciennes sont converties en vanille agroforêts par défrichement manuel ou extraction du bois (dérivé de la forêt) ou par l’utilisation du feu pour la production de riz de montagne (dérivé de la jachère). Les flèches indiquent un changement d’affectation des terres induit par l’homme. La conversion de ou vers les rizières est extrêmement rare et se situe donc en dehors de la trajectoire d’utilisation des terres décrite (Source : Schwab et al., 2020 – modifié par B. Gilles)
Gestion des agroforêts

Une gestion raisonnée des zones agroforestières, en favorisant l’accroissement de la densité végétale, permet un rétablissement des pressions de prédation. Cette étude souligne le potentiel de l’agroforesterie de la vanille à conserver les communautés de prédateurs en tant que fonction de l’écosystème, d’autant plus que ce type d’utilisation des terres est moins susceptible d’être davantage converti. Néanmoins, la transformation des forêts naturelles restantes en agroforêts de vanille, même sans l’utilisation du feu, peut déjà être considérée comme défavorable en termes de conservation de la biodiversité.

Figure 3 : Marques laissées par les différents types de prédateurs dans les chenilles leurres (Source : Schwab et al., 2020 – modifié par B. Gilles)

De nombreux prédateurs, des espèces très mobiles se déplaçant entre divers types d’habitats, sont peu exposés aux conditions environnementales locales. En raison de cette mobilité, les habitats à forte densité végétale et en cortèges importants d’espèces prédatrices profitent aux plantations de vanille adjacentes moins favorables au maintien d’une pression de prédation suffisante.

La communauté de prédateurs arthropodes moins mobiles, dominée par les fourmis, est davantage influencée par les caractéristiques de l’habitat local que par la structuration du paysage, comme c’est le cas dans les communautés dominées par les oiseaux insectivores. Pour cette communauté, il est néanmoins probable que seul un paysage complexe avec un couvert forestier élevé et des zones de forte densité végétale en permette la dispersion.

Une telle étude ne révèle qu’une fraction de l’activité de prédation. L’impact des caractéristiques du paysage sur les taux de prédation locaux a généralement été variable et dépend de la région étudiée, du système d’utilisation des terres et de la méthode d’évaluation.

Un axe de recherche à poursuivre

Dans cette étude, la fraction capturée de l’activité de prédation est en outre limitée à une certaine période de l’année, tandis qu’une variation saisonnière de prédation, y compris par les fourmis, a été observée par exemple dans les forêts ougandaises. Une variation similaire pourrait également s’observer à Madagascar.

Il importante de noter que les taux de prédation mesurés ne peuvent pas être directement traduits en service de lutte anti-ravageurs sur les champs cultivés. Un habitat à végétation particulièrement dense ne fournit pas nécessairement seulement un habitat aux prédateurs, mais également à leurs proies. Jusqu’à présent, aucune donnée du nord-est de Madagascar n’est disponible pour analyser comment la composition fonctionnelle des arthropodes est modifiée par l’utilisation des terres.

Une étude menée en Indonésie a signalé une évolution vers plus de proies et moins de prédateurs dans les zones plus intensément utilisées et montre qu’il existe une relation proportionnelle positive entre les services de lutte anti-ravageurs et une intensité d’utilisation des terres réduite en agroforesterie tropicale. De même, l’effet de l’augmentation des taux de prédation sur les rendements des agroforêts de vanille n’a pas encore été évalué et cette recherche devrait être une priorité à l’avenir.

Figure 4 : Probabilités moyennes de prédation par les prédateurs arthropodes et prédateurs vertébrés (Source : Schwab et al., 2020 – modifié par B. Gilles)

Si vous souhaitez mettre en place des études et des actions agroécologiques dans le but de renforcer les populations d’insectes auxiliaires (biodiversité fonctionnelle) et d’améliorer le contrôle des populations de ravageurs de manières écologiques, des solutions existent. Plus d’information : Solinbio.


Bibliographie
  • Schwab Domonik et al. (2020) : Decreasing prédation rates and shifting predator compositions along a land-use gradient in Madagascar’s vanilla landscape. Journal of Applied Ecologie, 00:1-12 (lien)

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