Un Coléoptère au service de la dermatologie ?

Un Coléoptère au service de la dermatologie ?

Par Benoît GILLES

La science s’inspire de plus en plus de la nature pour concevoir de nouveaux matériaux, de nouvelles structures ou de nouvelles propriétés physico-chimiques : ce domaine de recherche est appelé le biomimétisme.

Depuis de nombreuses années, un fort intérêt se porte sur la conception d’objets miniatures à l’échelle nanoscopique (i.e. à l’échelle de l’atome) dans le but de les intégrer à des dispositifs et à des systèmes intelligents permettant le développement de nouvelles technologies en bioélectronique, en robotique, en optoélectronique ou en médecine dans la régénération, par exemple dans la cicatrisation cutanée.

En médecine précisément, les recherches s’intéressent notamment à la conception d’interfaces homme-machine toujours plus efficaces pouvant à la fois délivrer des diagnostics en temps réel et administrer des traitements personnalisés et localisés. Pour cela, il s’agit de mettre au point des surfaces adhérentes sous forme de patchs intelligents par exemple, adaptatifs à la peau, capables de collecter des informations physiologiques provenant de biofluides comme la sueur, la salive, les larmes ou le sang pour des mesures quantitatives.

Au niveau du visage, il a récemment été montré que le pH de la sueur joue un rôle important en intervenant comme une barrière à la colonisation bactérienne. Des valeurs de pH inappropriées, induites par une exposition à la poussière ou au soleil, par une dysrégulation hormonale ou par le port d’un équipement de protection (masque en ce temps de COVID par exemple) perturbent le fonctionnement d’enzymes et empêchent ainsi la formation d’un film protecteur à la surface de la peau. La modification, voire l’absence, de cette barrière provoque souvent l’apparition de maladies inflammatoires comme l’acné. 

La difficulté technique réside dans le maintien du patch sur la peau dont la surface est riche en pores, anfractuosités et poils, mais aussi à toute heure de la journée et quelles que soient les activités (course, natation, cyclisme, etc.) provoquant un assèchement de la peau ou de fortes transpirations.

Durant des années, les scientifiques, pour trouver des solutions à cette problématique, se sont inspirés des appendices adhésifs des pattes de Coléoptères ou des geckos. Malgré des capacités d’adhérence puissantes et réversibles basées sur les interactions de Van der Waals (force électrostatique entre atomes), de telles performances demeurent limités aux environnements secs. Récemment, des nanostructures conçus à partir d’animaux aquatiques possédant des ventouses comme la pieuvre ou la grenouille ont inspirés des technologies reposant sur des forces de succion effectives dans des environnements aussi bien secs qu’humides. Cependant, les ventouses artificielles ont des difficultés à adhérer à la surface de la peau en raison de la surface non lisse de cette dernière.

Figure 1A et 1B : A) Image photographique des membres antérieurs de H. pacificus. Les images SEM amplifient les soies de la spatule avec des structures en forme de ventouse et des cavités circulaires. Crédit photo : C. Pang, Université Sungkyunkwan – B) Illustration schématique des soies de la spatule pour l’effet d’aspiration et la liaison sélective sur les signaux chimiques à délivrer sous forme de neurones chimiosensoriels (Source : Baik et al., 2021)

Une équipe menée par le Coréen Sangyul Baik a proposé une technologie inédite et (bio)inspirée d’un « patch intelligent » reposant sur les propriétés adhésives des soies présentes sous les tarses des pattes antérieures d’un Coléoptère aquatique, Hydaticus pacificus.

Le mâle de cet insecte a développé des structures en forme de ventouses et des cavités circulaires pour se maintenir sur la surface rugueuse des élytres de la femelle pendant la parade nuptiale précopulatoire (figure 1A). La figure 1B montre leur fonctionnement : une large coupelle rigide en forme de champignon assure l’étanchéité tandis que la chambre circulaire souple induit un effet d’aspiration.

Figure 1C et 1D : C) Illustration schématique du patch adhésif avec des chambres d’aspiration inspirées de H. pacificus contre la peau humaine rugueuse et humide – D) Images photographiques et SEM du patch adhésif garni de chambres d’aspiration inspirées de H. pacificus. Ici, les microcavités sont intégrées dans des hydrogels de capture de biofluides pour une capture rapide des liquides (Source Baik et al., 2021)

Ces structures sont également constituées au niveau des soies de récepteurs olfactifs (chémorécepteurs) pouvant se lier à des composés chimiques dans un environnement aqueux.

Grâce à ces propriétés, cette équipe a conçu un patch de nouvelle génération hautement performant, qui répond aux trois défis que soulève l’interface homme-machine en permettant de :

  • Collecter des données relatives à l’humidité et au pH à la surface de la peau
  • Réaliser des analyses du pH en temps réel et de manière précise grâce à l’intégration d’un logiciel d’intelligence artificielle
  • Adhérer de manière réversible à la surface de la peau quelles que soient les conditions (biocompatibilité)
Conclusion

Ce système livre des informations plus précoces que par observations visuelles conventionnelles, offrant la possibilité de prendre des décisions thérapeutiques adaptées comme l’administration fiable et préventive d’un médicament avant le diagnostic d’une maladie (acné sévère par exemple), simplement par la mesure du pH de la peau.


Bibliographie
  • Baik S. et al., (2021) : Diving beetle-like miniaturized plungers with reversible, rapid bio fluid capturing for machine learning-based care of skin disease. Science Advance (lien)

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