Entomoculture : l’insecte vu comme aliment

Entomoculture : l’insecte vu comme aliment

L’univers des insectes, en plus de fournir des sujets d’étude à l’entomologiste, constitue un véritable puit de ressources dans des domaines divers : traitement biologique des matières organiques, source de protéines pour l’alimentation animale, et épicerie d’ingrédients pour la cuisine humaine. Depuis quelques années, ce dernier domaine est de plus en plus sous les feux des projecteurs…

Insectes dans un marché en Thaïlande (Source : Google)

Cet intérêt a sa logique : d’un point de vue zootechnique et environnementale, l’élevage d’insectes (entomoculture) pour l’alimentation humaine a de quoi séduire. En effet, d’après le rapport de la FAO (Food and Agriculture Organization) de 2013, il nécessitera beaucoup moins d’intrants que les autres animaux : pour produite 1kg de grillons, on aurait besoin de 1,7kg de nourriture, contre 2,5kg pour les volailles, 5kg pour les porcs et 10kg pour les vaches (1). De plus, d’après ce même rapport, les vers de farine (Tenebrio molitor), les criquets et les grillons émettraient 10 fois moins de gaz à effet de serre et de nitrates par kilogramme de biomasse produite que le porc, et 25 fois moins que la vache. Enfin, ces espèces d’insectes vivent naturellement en populations à forte densité : il serait donc possible d’en élever de très grandes quantités hors sol sur une petite surface – pourquoi pas en milieu urbain – tout en leur assurant des conditions de vie respecterant leur bien-être.

D’un point de vue nutritionnel, consommer des insectes serait également cohérent : des analyses portant sur six espèces : grillon (Acheta domestica), couvain d’abeille, ver de farine (Tenebrio molitor), chenille mopane (Gonimbrasia belina), ver du palmier (Rhynchophorus ferrugineus) et ver à soie (Bombyx mori), ont montré qu’elles constitueraient des substituts intéressants à la viande. En effet, même si les valeurs nutritionnelles varient beaucoup d’une espèce à une autre, le modèle Ofcom, utilisé en Grande-Bretagne pour noter le caractère sain des aliments, a jugé ces espèces équivalentes au boeuf et au poulet d’un point de vue santé. Le système NVS (Nutrition Value Score) attribue même à ces insectes une meilleure note que la viande dans des contextes de sous-nutrition (2).

Vers à soie (Bombyx mori) en brochettes (Source : Google)

Aujourd’hui, la consommation d’insectes par les humains (entomophagie), fait surtout parler d’elle dans les médias dans deux contextes : comme divertissement (on pense à des émissions de télévision où manger des insectes est une épreuve voire une punition) ou comme « aliment du futur », le plus neutre possible, pour la valeur nutritionnelle de certaines espèces.

Les grands absents de cette représentation médiatique sont les consommateurs et consommatrices d’insectes dans des cultures autres que occidentales, qui les considèrent quant à eux comme ressources alimentaires, les récoltent, les élèvent et les cuisinent.

Acteur dans la production française d’insectes pour l’alimentation animale, Sébastien se demandait depuis longtemps comment les insectes étaient consommés autour du monde, quels modes d’élevage, quelles méthodes de collecte et quelles recettes de cuisine existaient déjà. Si le futur promet bien d’amener des insectes dans nos assiettes, autant apprendre à les préparer avec des spécialistes ! Il prépare avec sa compagne Annie un tour du monde des pays intégrant la consommation culturelle des insectes pour y réaliser des reportages et y chercher des recettes. Rentrés du Japon en novembre, ils repartiront pour le Cambodge en avril.

Sources :

  1. Edible Insects – Future prospects for foods and feed security, Van Huis et al., 2013 – FAO (lien)
  2. Are edible insects more or less « healthy » than commonly consumed meat ? A comparison using two nutrient profiling models developed to combat over- and undernutrition, Payne et al., 2016 – European Journal of Clinical Nutrition (lien)
Sébastien Collin
Annie Ruelle-Sanguine
 
 
 
 
 
 
Interview de Sébastien Collin et Annie Ruelle-Sanguine
  • Sébastien, peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Nous sommes deux à travailler sur ce projet : Sébastien Collin et Annie Ruelle-Sanguine.

Je (Sébastien) suis ingénieur agronome en élevage animal, je me suis rapidement spécialisé dans l’élevage des insectes pour l’alimentation humaine et animale : au cours de ma formation et de ma vie professionnelle, j’ai pu travailler pour Jimini’s, EntomoFarm, Ynsect et le Département d’entomologie de l’Université de Sydney sur différents projets traitant de l’élevage de criquets et de vers de farine. Je suis aussi passionné de création audiovisuelle. Je réalise des vidéos sur internet depuis 2011 et des pièces radiophoniques depuis 2007.

Je (Annie) suis chimiste, ai fait un peu de prévention au travail, ai occupé trois postes d’enseignements en maths et en physique-chimie. Je fais actuellement de la médiation scientifique avec l’association « Les Petits Débrouillards ». J’écris aussi de la fiction et des articles depuis 2009.

  • Tu portes un projet sur l’entomoculture et l’entomophagie au niveau mondial, en quoi consiste-il

Notre projet, « Les Criquets Migrateurs« , a pour but de faire un tour du monde des pays où les insectes sont consommés, afin d’en apprendre plus sur les recettes traditionnelles, sur la façon dont ceux-ci sont collectés ou élevés, et sur la place qu’ils occupent dans les sociétés. Notre objectif est de réaliser des vidéos culinaires pour présenter ces recettes, ainsi que des documentaires pour les contextualiser dans leur culture d’origine. Nous allons aussi écrire un certain nombre d’articles sur notre blog afin d’approfondir ces sujets et tenir notre public informé de l’avancée du projet.

Ce qui nous intéresse dans l’élevage d’insectes et son application en alimentation humaine, c’est l’impact culturel et gastronomique de ces ingrédients. Nous n’avons aucune culture de la consommation d’insectes en France pour l’instant : chez nous, tous demeure encore à inventer. Or, les médias nous parlent beaucoup des qualités nutritionnelles et environnementales des insectes, mais il reste encore un blocage mental chez beaucoup de gens à l’idée d’en manger. Nous pensons que le problème vient du fait que le public a du mal à voir les insectes comme des ingrédients qu’il pourrait utiliser au quotidien, chez lui, dans sa cuisine ; la santé et l’écologie sont des sujets importants, mais quand il s’agit de nourriture, ce sont peut-être des arguments un peu faibles pour se projeter dans une gastronomie basée sur l’entomophagie. C’est « l’aliment du futur » : une idée d’un mode d’alimentation amélioré, respectueux de l’environnement et bon pour notre santé, mais qu’on visualise plus dans un contexte de science-fiction et qu’on peine à imaginer dans l’immédiat.

Or l’une des principales raisons pour laquelle les insectes sont autant consommés dans le monde, c’est simplement qu’ils sont très bons. Deux milliards d’êtres humains voient les insectes d’abord comme des ingrédients délicieux avant d’être une source facile de protéines. Et c’est ce pont de vue que nous souhaitons faire partager !

Pour cela, nous allons adopter le format de la vidéo culinaire : rapide, dynamique, intéressante à regarder, c’est un mode de présentation des plats qui met en valeur les ingrédients en déconstruisant la recette pas à pas d’une façon simple. Tous ces ingrédients savoureux filmés en gros plans en train de cuire donnent fin au public, l’impliquent et lui inspirent l’envie d’essayer. Et c’est précisément ce que nous voulons faire : donner faim aux gens avec des insectes. Après « les insectes ? Oui il parait que c’est sain et écologique », nous voulons qu’ils se disent « les insectes ? Oui, ça à l’air bon et j’aimerais bien essayer ». Nous avons déjà fait une vidéo pilote présentant ce concept : elle est visible en cliquant ici.

Grillons grillés au citron

Une petite recette à faire chez vous

Faire revenir les insectes à la poêle avec de l’huile d’olive, quelques épices et du jus de citron, ce qui donne un amuse-bouche parfait à déguster au soleil.

  • 20g de grillons
    Grillons grillés au citron
  • 1/2 citron vert
  • Filet d’huile d’olive
  • Sel et poivre

Préparation :

  1. Bien rincer les grillons avant utilisation
  2. Ajouter l’huile d’olive, le jus de citron, le sel et le poivre aux grillons – bien mélanger
  3. Verser la préparation dans une poêle – griller jusqu’à ce que ça croustille
  4. Servir à l’apéro

Attention : ne pas consommer en cas d’allergies aux fruits de mer

  • Tu souhaites découvrir plusieurs pays, coutumes et cultures autour de l’insecte, comment s’organise ton périple

Nous travaillons sur ce voyage depuis mai 2017, pour un départ prévu début avril 2018 (nous avons déjà fait une petite expédition au Japon en novembre). Les insectes sont consommés dans plus de 110 pays : il nous aurait été difficile de tous les visiter. Nous en avons donc sélectionné huit, en répartissant notre itinéraire en fonction des saisons d’activités des espèces que nous voulons étudier :

  • Japondébut novembre 2017 (2 semaines) : visite du festival de la guêpe de Kushihara. Au Japon, les insectes les plus populaires sont le criquet, la guêpe, le frelon, le ver à soie et les zazamuchis (petites larves aquatiques – Trichoptères). Un article et une vidéo ont été publiés sur ce sujet ! Tout est visible sur notre site internet : lescriquetsmigrateurs
    Nymphes et larves de guêpes poêlées – Japon (Source : S. Collin)
  • Cambodgedébut avril à mi-mai 2018 (6 semaines) : nous espérons goûter aux fourmis tisseuses, aux criquets et surtout aux mygales frites. Ces dernières ne sont peut être pas des insectes, mais elles comptent quand même : les photos nous donnent beaucoup trop envie pour ne pas les inclure dans notre projet
  • Thaïlandemi-mai à fin juin 2018 (6 semaines) : capitale mondiale de la consommation d’insectes. On y goûte une diversité étonnante, comme les criquets, les grillons, les vers de farine, les vers de palme (Rhynchophorus ferrugineus), les chenilles de bambou (Omphisa fuscidentalis), les vers à soie (Bombyx mori), les punaises d’eau… On aura de quoi faire !
  • Australiejuillet 2018 (un mois) : le mois de juillet est une excellent période pour trouver des « witchetty grubs », des chenilles de l’espèce Endoxyla leucomochla (famille des Cossidae) consommées occasionnellement par les Aborigènes et vivant dans les racines de l’arbre witchetty. Nous avons aussi lu que les termites étaient également consommés, donc nous espérons pouvoir en déguster aussi
  • Mexiqueaoût 2018 (un mois) : dans l’état d’Oaxaca, dans le sud du pays, on récolte des criquets appelés localement chapulines et des larves de fourmis du genre Liometopum appelées escamoles. On peut les préparer en tacos ou avec du guatamole
  • Chenille mopane – Gonimbrasia belina – Botswana (Source : Google)

    Franceseptembre à mi-octobre 2018 (6 semaines) : en attendant la saison des pluies du Kenya, nous effectuerons une escale en France. Ce sera l’occasion de faire le point sur ce qui se fait en termes d’élevage d’insectes chez nous, en Europe : où en sommes-nous dans l’intégration de l’insecte dans les circuits agro-alimentaires ? Quels usages en fait-on, et où pouvons-nous en goûter ?

  • Kenyami-octobre à mi-novembre 2018 (4 semaines) : nous arriverons en début de la saison de récolte des nsenene, des sauterelles du genre Ruspolia très appréciées dans l’est de l’Afrique. Nous espérons aussi goûter aussi aux vers de palme et aux termites, toujours très populaires, ainsi qu’au kungu cake, un gâteau du lac Victoria fabriqué à partir de moucherons compressés
  • Botswanami-novembre à mi-décembre (4 semaines) : le Botswana sera un excellent endroit où découvrir la chenille de l’espèce Gonimbrasia belina, appelée localement mopane, un insecte  populaire dans le sud de l’Afrique. Nous arriverons en début de saison, ce qui sera l’occasion d’en apprendre davantage sur sa récolte.
Planning du tour de monde de Sébastien Collin et de Annie Ruelle-Sanguine
  • Quels sont les moyens matériels et financiers nécessaires pour mener à bien ton projet

Nous allons avoir besoin d’un budget total de 28 000 €. Cela inclut les billets d’avion, les logements, la nourriture, les déplacements sur place… Nous avons aussi un peu de matériels : un ordinateur pour le montage vidéo, un micro USB et un caméscope qui tient plutôt bien la route.

  • Tu souhaites faire appel à la communauté Passion-Entomologie pour finaliser ton voyage, que te manque-t-il ?

Vous souhaitez aider et contribuer au financement et au prêt de matériels : n’hésitez pas !!

Sébastien et Annie recherchent pour finaliser leur projet de tour du monde de l’entomoculture

  • un ou des sponsors
  • 2 000 à 3 000 €
  • une caméra avec micro
  • des contacts dans les pays traversés

Site internet / Facebook / Chaine Youtube / Twitter / Instagram / Linkedin

Ce projet sera majoritairement autofinancé, mais nous sommes à la recherche de sponsors afin de compléter notre budget. Nous sommes date soutenus par Jimini’s et EntomoFarm, qui nous financent à hauteur de 5 000 €. Si on ajoute nos propres fonds, nous avons de quoi aller au Kenya : il nous manque entre 2 000 et 3 000 € pour effectuer le trajet complet. Donc, si parmi les lecteurs et lectrices de Passion-Entomologie se trouve un.e dirigeant.e d’entreprise qui souhaiterait nous sponsoriser, nous sommes ouvert à la discussion ! Notre dossier complet peut être téléchargé à cette adresse.

Alternativement, nous serions aussi preneurs de matériel, si quelqu’un peut nous en prêter ! Nous pensons par exemple à une meilleure caméra, avec un micro performant. Et si vous avez des contacts dans les pays que nous allons visiter – de collecteurs/éleveurs/chercheurs/cuisiniers d’insectes – une mise en relation nous aiderait énormément.

Et, bien entendu, l’un des meilleurs soutiens que vous pouvez apporter au projet, c’est de le suivre, de nous dire ce que vous en pensez et de le partager autour de vous. Donc n’hésitez pas à aller faire un tour sur notre chaîne Youtube, sur notre site, et sur votre réseau social préféré (Facebook, Twitter, Instagram et même LinkedIn).

  • Y a t-il une chose qui te tienne à coeur et que tu souhaites absolument réaliser ?

Outre l’enrichissement gastronomique, il y a une application potentielle de la consommation d’insectes qui me fascinerait au plus haut point : celle de l’alimentation des astronautes. Développer des bases lunaires ou martiennes pourrait devenir une réalité plus rapidement que l’on ne le pense : il faudra alors trouver des modèles agricoles pertinents pour nourrir les habitants de ces bases. Il s’agit de développer des moyens de production qui ne prennent pas trop de place, qui ne consomment pas trop d’intrants, qui soient durables, qui fonctionnent en circuit fermé et qui permettent de nourrir les gens sainement : les insectes pourraient satisfaire ces exigences. Au passage, ce genre de modèle nous serait bien utile sur Terre ! La recherche spatiale permet souvent de développer des technologies qui trouvent une application en dehors de son domaine propre ; et on retrouverait cette tendance ici aussi : le moteur de l’innovation que représente cette recherche nous permettrait de répondre à des enjeux et les problématiques que nous rencontrons également sur Terre – et si les insectes peuvent faire partie de la solution, tant mieux !

Ouvrages et produits recommandés sur cette thématique :

One thought on “Entomoculture : l’insecte vu comme aliment

  1. Réunionnais, nous consommions, gamins, des vers de bois appelés chez nous « endettes » ou « zendettes » poèlée, sel, poivre. Cette coutume a presque disparu. Par contre, préparés de la même façon, les larves de guêpes, restent un mets délicat et très appréciés des Réunionnais. Au Togo, où j’ai vécu de 1975 à 1989, J’ai vu des autochtones ramasser des d’éphémères pour leur consommation. Après une averse, ces insectes s’envolent par milliers vers une source de lumière le soir. La tactique est de tout éteindre et d’allumer un feu de bois à l’extérieur. Les insectes s’y brûlent les ailes et tombent au sol et sont récupérés par balayage en très grande quantité pour la consommation.
    Cordialement.

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