Interview : Jérémy Desplanques

Interview : Jérémy Desplanques

Par Benoît GILLES
  • Vous travaillez au sein de l’association Areflec, pouvez-vous nous présenter celle-ci et les actions qui y sont menées ?

L’AREFLEC est l’Association de Recherche et d’Expérimentation sur les Fruits et LEgumes en Corse créée à l’initiative des producteurs régionaux de fruits et légumes en 1982. Cette association loi 1901 à but non lucratif œuvre en interaction avec les différents acteurs de la filière fruits et légumes : organisations de producteurs, associations (maraîchers, filière bio etc..), Chambre d’Agriculture, pépiniéristes, producteurs etc…

Les travaux de l’Areflec s’organisent autour de trois secteurs : la recherche appliquée dans le domaine de l’expérimentation au travers d’essais en protection des cultures (lutte biologique, protection intégrée, lutte par augmentation consistant à relâcher des auxiliaires dans les cultures, etc.) et en agronomie (développement d’itinéraires culturaux reposant sur un enchainement logique et ordonné d’interventions techniques, essais variétaux, production de graines et conservation des fruits).

L’association s’est aussi orientée vers la production d’insectes auxiliaires (coccinelles et guêpes parasitoïdes) à destination des producteurs ou encore vers la production de matériel végétal certifié pour les pépiniéristes avec des plants d’agrumes, d’oliviers et de noisetiers.

  • Sur quelles thématiques portent vos recherches et vos études ? 
Jérémy Desplanques – Areflec

Mon domaine d’activité est principalement orienté vers la protection intégrée des cultures et le développement de nouvelles méthodes de luttes alternatives aux pesticides. Issu d’une formation initialement tournée vers l’écologie et l’environnement, j’ai poursuivi sur un cursus en agronomie avec une spécialisation en protection des cultures au cours de mes stages. J’ai d’abord travaillé sur un champignon tellurique (présent dans le sol) à l’origine de pertes de rendement en culture de tournesol.

L’objectif était de tester l’impact de l’intégration dans le sol de couverts végétaux de Brassicacées (moutarde, radis, navet) sur le développement du champignon sur le tournesol. Toutes les crucifères ont dans leurs cellules des molécules qui, une fois broyées, subissent une réaction chimique et donnent une nouvelle molécule biocide pour le champignon : c’est le principe de la biofumigation.

Par la suite je me suis intéressé à la lutte contre certains insectes ravageurs via la confusion sexuelle. Cette technique consiste à diffuser en grande quantité dans un verger ou une parcelle la phéromone sexuelle utilisée par les femelles pour attirer les mâles. Ainsi, ceux-ci perçoivent ce signal de toutes parts et sont incapables de retrouver les femelles et donc de s’accoupler. J’ai aussi travaillé sur le développement de pièges à partir d’attractifs naturels (macérat de plantes, levures, décoction de gingembre, etc.…).

  • L’un des principaux ravageurs des vergers d’agrumes et fruits à noyaux en Corse est la mouche Ceratitis capitata, quelles sont les caractéristiques de cet insecte ?

Ceratitis capitata (Tephritidae) (figure 1) fait partie des principaux ravageurs au monde (lien). Originaire d’Afrique subsaharienne, elle est aujourd’hui présente sur les cinq continents dans de nombreux pays et est responsable de pertes de rendement importantes sur de nombreux fruits cultivés : pêches, nectarines, abricots, clémentines, oranges, figues, kaki, etc….

Figure 1 : Ceratitis capitata femelle sur une pêche (Source : Benoit Cailleret)

Après accouplement, la femelle pond sous la cuticule des fruits. La ponte s’échelonne sur plusieurs semaines et elle peut pondre entre 100 et 800 œufs au cours de sa vie. Les œufs mettent quelques jours pour éclore (cela dépend de la température) et les larves se développent en se nourrissant de la chair ou de la pulpe du fruit, le rendant impropre à la consommation ou à la commercialisation : ce sont elles qui sont ravageurs.

Les larves ayant atteint leur dernier stade s’extirpent du fruit et se laissent tomber au sol pour se nymphoser. Elles s’enfoncent de quelques centimètres pour se transformer en pupe. Au bout de quelques semaines (1 semaine en été, 3-4 en automne), de nouveaux adultes émergeront du sol. Ces derniers seront sexuellement matures environ 5 jours après leur émergence et le cycle redémarre.

  • Quels sont les impacts et les menaces de sa présence en Corse en termes écologiques et socio-économiques ?

Ces mouches natives de l’Afrique se développent de façon optimale à des températures situées autour de 25°C. A des latitudes tempérées, Ceratitis capitata y trouve son compte, son cycle de reproduction et de ponte s’interrompt en fin d’automne / début d’hiver mais reprend dès la hausse des températures au printemps avec l’émergences des adultes. Sur le pourtour méditerranéen et notamment en Corse, les hivers sont relativement doux ce qui permet à la cératite de boucler son cycle d’avril à janvier. Les principales cultures en corse sont les agrumes et les fruits à noyaux, autant d’hôtes pour Ceratitis capitata : pomélos et oranges, ensuite abricots, pêches et nectarines en été (figure 5), puis figue et clémentine à l’automne (figure 2), et retour sur les oranges et pomélos en hiver si les températures sont clémentes…

Cette diversité d’hôtes répartis sur l’année la rend difficile à maitriser avec le maillage de culture présent en Corse.

Figure 2 : C. capitata femelle sur une clémentine (Source : Benoit Cailleret)
  • L’une des méthodes de lutte développée par l’Areflec contre  capitataest la Technique de l’Insecte Stérile (TIS), en quoi consiste-t-elle ?

La Technique de l’Insecte Stérile (TIS) est une méthode de lutte biologique dite autocide. Elle a été utilisée pour la première fois avec succès sur la Lucilie bouchère ou mouche à viande (Cochliomyia hominivorax) qui pondait dans les chairs des mammifères dont l’homme…

La TIS consiste à faire rentrer massivement et régulièrement dans l’écosystème des mâles stérilisés de l’espèce cible (figure 3). Pour cela, il faut disposer d’un élevage industriel avec une souche où l’on peut différencier les mâles et les femelles au stade de pupe. Une fois que les pupes mâles ont été sélectionnées, les pupes sont irradiées afin de les rendre stérile. Les adultes qui en émergent sont capables de se nourrir, voler, se reproduire mais le sperme libéré lors de l’accouplement sera stérile. Suit une ponte avec des œufs non fécondés et une baisse mécanique de la population.

Figure 3 : Schéma expliquant la technique de l’insecte stérile (Source : J. Desplanques)
  • Où en sont vos recherches ? Pensez-vous pouvoir contrôler les populations de cette espèce ?

Malheureusement, il ne suffit pas de lâcher des mâles stériles pour régler le problème. Plusieurs facteurs rentrent en compte : la qualité des mâles impactés par l’irradiation (durée de vie, dispersion, compétitivité par rapport aux mâles sauvages, etc…), le paysage (zone de production très fragmentée, haies servant de foyers, jardins particuliers), implication des producteurs.

Figure 4 : Test en laboratoire de la souche stérile de C. capitata (Source : B. Cailleret)

Pour le moment nous en sommes encore à la phase d’appropriation de la méthode (figure 4). Un essai pilote a été initié en 2020 pour caractériser les populations sauvages sur un bassin de production, déterminer les surfaces de production de chaque culture, prendre contact avec les producteurs. Les premiers lâchers ont débuté en 2022 (faute d’avoir les autorisations gouvernementales en 2021) à raison de 300.000 mâles stériles par semaine d’avril à décembre. Après une première année d’essai, des modifications ont été apportées au dispositif pour l’améliorer en 2023.

L’objectif ici est dans un premier temps de s’assurer qu’on arrive à faire diminuer les populations sur une zone pilote. Si nous y arrivons, le projet sera de voir comment impliquer les différents acteurs de la filière (organisations de producteurs, coopératives, pouvoirs publics) dans le but de pouvoir déployer la TIS à l’échelle du territoire.

Aujourd’hui la TIS est utilisée sur tous les continents pour lutter contre Ceratitis capitata. Certains ont réussi à éradiquer ce ravageur, dans d’autres seulement à le contrôler de façon à ce que l’utilisation de produits phytopharmaceutiques ait drastiquement diminué. En Corse, sans parler d’éradication pour le moment, l’objectif est de réussir à contrôler les populations, c’est-à-dire à les faire chuter sous un seuil de nuisibilité afin que la cératite devienne un problème mineur pour le producteur.

Les principales méthodes de lutte employée contre la mouche des fruits sont le piégeage de masse et/ou les traitements insecticides. Cependant, les années allant, de nombreuses molécules chimiques se voient interdites et c’est pourquoi les producteurs et la recherche se tournent vers la TIS. C’est une technique de lutte qui a fait ses preuves.

  • Avec le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, les pratiques agricoles vont devoir s’adapter, quel est votre sentiment pour les années à venir ?

Effectivement depuis plusieurs décennies on nous alerte sur la chute de la biodiversité, avec notamment les pratiques culturales en causes.

L’utilisation massive de pesticides en période d’après-guerre a engendré une forte diminution des espèces végétales et des insectes ayant une répercussion sur les populations d’oiseaux et sur la santé humaine. C’est indéniable.

Toutefois, les mœurs changent et les producteurs sont de plus en plus sensibilisés et engagés pour produire plus sainement et respectueusement (figure 5). Personnellement, je caractérise aussi la biodiversité dans les vergers, et ce n’est pas tout le temps les parcelles les moins « propres » où l’on retrouve le plus de biodiversité. Pour moi cela dépend avant tout du paysage.

Contrairement aux productions céréalières en monoculture à perte de vue, les vergers sont conduits sur de petites surface souvent avec des haies, des fossés, des zones de friches, autant de niches moins défavorables au maintien d’une certaine biodiversité.

Figure 5 : Verger de pêchers en fleur (à gauche) – Ceratitis capitata sur une pêche (à droite) (Source : B. Cailleret)

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