Par Benoît GILLES
Les chaines trophiques d’écosystèmes comme ceux que l’on rencontre dans des petites mares se structurent en plusieurs niveaux. Le premier regroupe les organismes dits primaires, constituant le phytoplancton, produisant leur énergie à partir des minéraux et de l’énergie lumineuse grâce au processus de photosynthèse. A la base de la chaîne alimentaire, ces organismes, servent de nourriture à des organismes de second niveau, appelés zooplanctons prédateurs.
Le zooplancton prédateur se compose d’une grande diversité d’espèces animales, dont par exemple de nombreuses larves de mouches comme celles du genre Chaoborus (Nematocera).
Une fois les œufs déposés près d’un habitat aquatique, les larves Chaoborus, prédatrices, se développent en se nourrissant de petits copépodes (petits crustacés d’eau douce et d’eau de mer), de cladocères (petits crustacés d’eau douce où thorax et abdomen ont fusionné) et de protozoaires unicellulaires comme les ciliés (présence de cils vibratiles à leur surface). Ces insectes constituent un élément essentiel à l’équilibre trophique en créant une pression de prédation pour une multitude d’organismes et une ressource alimentaire pour de nombreuses espèces de poissons. Après 4 stades larvaires successifs, les larves gagnent la terre pour se métamorphoser (stade de pupe) et les adultes émergent pour s’accouplement et se reproduire (photos 1 et 2).
Les larves Chaoborus sont étudiées en raison de leur technique de chasse particulière. Détectée à l’aide de sensilles mécanosensorielles, la proie est capturée grâce à des appendices modifiés situés sur la tête formant une sorte de panier. Bien que la morphologie de ces structures anatomiques ait été décrits de manière précise, leur fonctionnement demeurait jusqu’alors spéculatif.
Une équipe allemande menée par Sebastian Kruppert apporte des éléments de réponses dans cet article paru le 22 mars 2019 (lien).
Pour étudier le comportement de prédation des larves de Chaoborus, ces scientifiques ont filmé la capture de daphnies (petits crustacés aquatiques de la famille des Cladocères) en trois dimensions par tomographie (technologie d’imagerie) et de caméra à grande vitesse afin de reconstituer la cinématique des mouvements des différents appendices impliquant la capture de la proie.
Description des organes céphaliques
La reconstitution morphologie des structures céphaliques et des muscles associés a été réalisée avec la technologie du micro-CT scan (tomographie) (figure 1 ci-dessous).
La tête des larves forme une capsule sclérifiée de type eucéphale (tête individualisée chez une larve d’insecte) constituée de plusieurs appendices particulièrement modifiés comme les pièces buccales et les antennes. Les pièces buccales sont recouvertes sur la face dorsale par un rostre allongé où s’insèrent les antennes. Le labrum, situé sous le rostre et les antennes, est muni de cinq paires de soies. L’ouverture de la bouche, connectée à un rhinopharynx massif, est quant à elle entourée par une paire de mandibules portant chacune un éventail de soies (photo 3 ci-dessous).
Les antennes sont situées dans le prolongement du rostre, la jonction regroupant également l’appendice prélabral. Le premier segment antennaire est aussi long que le rostre, dont chacun possède quatre setae (poils microscopiques aux fonctions diverses : adhérence, camouflage, mécanoréception, communication) incurvées. Les antennes sont associées à un muscle contractile. En position de repos, les antennes et les setae sont dirigées ventralement, perpendiculairement à l’axe du rostre et couvrent l’ouverture buccale.
Les mandibules, robustes, sont constituées de pointes fortement sclérifiées positionnées sur la partie ventrale et proximale des mandibules. Ces épines divisent en deux groupes : une paire dorsale ayant l’aspect de soies, deux paires ventrales robustes et immobiles. En zone dorsale, un éventail formé de 10 soies prolonge chacune des mandibules (figure 1 ci-dessous).
Méthode de chasse
Les larves attendent leurs proies en flottant dans la colonne d’eau. En position de repos, les antennes pointent ventralement, les mandibules sont fermées et les éventails repliés contre les mandibules.
La capture de la proie se déroule en quatre étapes :
- Détection de la proie par les sensilles mécanosensorielles et les yeux composés
- Ouverture des mandibules, des antennes et des setae pour former un panier (10,46 ms)
- Capture de la proie par une orientation du panier dans sa direction puis repli du panier sur le thorax où les éventails des mandibules empêchent la fuite de la proie (12,4 ms)
- Contraction des antennes et des setae pour amener la proie vers la bouche où elle est mastiquée et avalée, puis retour à la position de départ (270 ms)
L’ensemble des étapes de la capture ne dure que 300 ms (vidéo ci-dessous).
Fonctionnement des structures
Cette étude a également permis de comprendre le fonctionnement de ces structures.
Le redressement des antennes et des setae résulterait probablement d’une augmentation de pression de l’hémolymphe (même fonctionnement qu’un souffle d’air dans un long ballon de baudruche) car aucun muscle n’a été repéré. Le retour à la position de repos se ferait grâce au muscle rétractile, tel un élastique.
Le labrum se tend également à la suite de l’augmentation de pression de l’hémolymphe durant le mouvement de capture afin d’étendre les quatre paires de setae antérieurs et la paire postérieure qui le composent. Chacune des paires est orientée dans une direction différente, ce qui ferme ainsi complètement le panier de capture. Ce mécanisme est similaire pour les éventails des mandibules (Figures 2 et 3).
Conclusion
Avec un mouvement de capture proche de 14 ms, la larve de Chaoborus intègre le club des mouvements d’attaque les plus rapides du règne animal.
Les autres membres de ce club sont la mante Coptopteryx viridis (Mantidae) qui attaque en 42 ms, les crevettes mantes Squilla empusa (Stomatopoda, Squillidae) et Hemisquilla ensigera (Stomatopoda, Hemisquillidae) attaquant quant à elles en seulement 4-8 ms ainsi que les fourmis du genre Odontomachus (Hymenoptera, Formicidae) qui détiennent le record en déclenchant une attaque en moins de 1ms !
Ces performances s’expliquent par de fortes pressions de sélection engendrant de la co-évolution entre proies et prédateurs : l’évolution pousse les proies à devenir toujours plus rapides pour échapper à des prédateurs toujours plus efficaces.
Source :
- Kruppert S. et al. (2019) : Zooplankter’s nightmare : the fast and efficent catching basket of larval phantom midges – PLOS ONE (lien)
Vidéos
Attaque d’une Squille
Fourmis Odontomachus
Passionnant comme d’habitude…Merci. Cordialement
Très bel article très intéressant pour un passionné aquariophile comme moi.
Merci
Article très intéressant, merci.
Il me semble qu’il y a, dans l’introduction, une petite erreur de formulation pouvant induire en erreur le néophyte :
« A la base de la chaîne alimentaire, [les phytoplanctons], servent de nourriture à des organismes de second niveau, appelés zooplanctons prédateurs. »
Ne faut-il pas ajouter les zooplanctons phytophages entre les phytoplanctons et les zooplanctons prédateurs ? (dans notre cas phytoplancton – Daphnies – Chaoborus) ?