Par Rémy Saurat
Les coléoptères sont des insectes remarquables par leur faculté à se distribuer tout autour du globe. Avec environ 360 000 espèces connues à ce jour (Lawrence et al. 2011), l’une de leur grande force est leur capacité à s’adapter à une large gamme de facteurs écologiques, leur permettant de coloniser une multitude d’endroits. En dehors des océans, ils ont réussi à conquérir la plupart des milieux terrestres et aquatiques. Également surprenants par leur taille et leur forme, ils arborent différentes structures selon leur mode de vie.
Même si des spécimens ont un grand gabarit (environ 15cm pour Titanus giganteus (Cerambycidae), Dvořáček et al. 2020), la plupart des espèces sont petites et passent souvent inaperçues. Parmi les micro-insectes, les coléoptères les plus minuscules font partie de la famille des Ptiliidae avec des mensurations allant de 0,3mm jusqu’à 2mm (le taxon le plus petit est Scydosella musawasensis d’Amérique du Sud avec 0,325mm et le record mondial est détenu par une « guêpe » parasite, Dicopomorpha echmepterygis et ses 0,13mm de long (Mockford, 1997) (figure 1).
Plusieurs autres cas ont été recensés comprenant des coléoptères ne dépassant pas les 0,5mm comme les genres Mikado (figure 2) ou Nephanes inclus aussi dans les Ptiliidae (Polilov & Beutel, 2009 ; Polilov et al. 2019). La plupart de ces espèces vivent aux dépends de champignons et ont la capacité d’accéder à des ressources que des insectes plus grands ne peuvent exploiter, comme les spores. À cette échelle, la sporophagie est un mode de nutrition approprié pour assimiler les éléments nutritifs essentiels (Yavorskaya et al. 2017).
L’une des tribus de la famille des Ptiliidae, les Nanosellini, possède ce régime alimentaire. Elle se compose d’espèces ne vivant quasiment que dans les champignons Basidiomycètes du groupe des Polyporales (Hall, 1999) et dans un univers forestier où certaines ressources comme le phosphore et l’azote sont rares (dans le bois, Merrill & Cowling, 1966) : manger des spores fongiques est donc une stratégie ingénieuse.
Ils se nourrissent dans les tubes de l’hyménium des champignons où les spores sont formées, ce qui impose aux insectes d’avoir une forme appropriée pour se mouvoir et aller les chercher. Ces coléoptères sporophages sont d’allure plutôt allongée pour se mouvoir aisément entre les dissépiments (paroi et ou cloison transversale) des tubes et larves ainsi qu’adultes disposent d’un appareil masticatoire adapté à l’absorption des spores (pièces buccales des insectes : lien).
Globalement, les Ptiliidae sont bien diversifiés avec 100 genres pour environ 870 espèces répertoriées (fossiles compris, Newton, 2019). La phylogénie les rattache actuellement à la superfamille des Staphylinoidea (Beutel & Leschen, 2005) avec la famille des Hydraenidae comme groupe-frère. Bien qu’habitant la plupart des régions tempérées et tropicales du globe, les taxons européens et américains sont les seuls à avoir été traités de manière approfondie comme le montre par exemple l’existence de la clé des genres nord-américains de Dybas (1990). Ils sont reconnaissables à leurs ailes caractéristiques, se composant d’une sorte de pédoncule membraneux bordé d’une multitude de soies leur donnant l’aspect d’une plume (figure 3).
Cet élément a donné leur nom vernaculaire en anglais de Featherwing Beetles. L’une des hypothèses biologiques avancées pour la forme de cet attribut est que la viscosité de l’air augmenterait la dépense énergétique lors du vol pour une aile membraneuse entière de cette taille d’où cette forme plumeuse (Grebennikov, 2008). Les adultes ont généralement 2 à 3 tarsomères, des antennes comptant de 8 à 11 articles et des yeux réduits à quelques ommatidies (figure 4).
En dehors d’une formes alaire particulière et de pièces buccales adaptées, la miniaturisation a engendré d’autres d’adaptations morphologiques spectaculaires dans ce groupe. Pour commencer, il semble qu’il y ait une limite à l’infiniment petit dans le monde animal simplement par la corrélation entre la taille du génome et celle de la cellule d’un organisme (Gregory, 2001).
La de réduction de taille peut influée sur la thermorégulation, sur la respiration cellulaire, sur les facultés à voler, à se reproduire ou encore sur la viabilité des œufs. Plusieurs implications de la miniaturisation ont des effets sur la biologie de ces organismes où la contrainte principale est la production d’œufs de taille suffisante pour la survie des larves (Polilov, 2005).
Par manque de place et d’optimisation énergétique abouti au développement d’un seul ovaire fonctionnel par femelle avec un unique œuf pondu faisant la moitié de la longueur abdominale de l’adulte (figure 5), plusieurs parties musculaires ou de l’exosquelette sont fusionnées ou manquantes et les systèmes cardiaques et nerveux sont ultra-modifiés (cas extrême de perte du cœur pour certains Ptilidés (Polilov, 2005).
En France, environ 80 espèces sont mentionnées mais des nouvelles sont probablement à découvrir (Sörensson, 2014). La plus petite est Baranowskiella ehnstromi faisant partie de la tribu des Nanosellini avec une taille moyenne d’environ 0,5mm (figures 6 & 7). Cette tribu comprenant les genres Nanosella, Porophila et Cylindrosella, n’était connue que du Nouveau-Monde jusque dans les années 90, lorsqu’un individu inconnu fut observé dans le sud de la Suède. Ce dernier fut nommé B. ehnstromi par son découvreur, Sörensson (1997).
Beaucoup plus tard en France, elle a été découverte pour la première fois en 2014 sur la partie limitrophe au Luxembourg et à l’Allemagne (Schultheis et al. 2014 ; Coray & Siede, 2014) suivi en 2015 par Dodelin et al. (2015) dans les Alpes du Nord et le Jura. Depuis, elle a été redécouverte à de nombreuses reprises par B. Dodelin et R. Saurat en région AuRA jusqu’en Île-de-France.
Les secteurs géographiques connus sont répertoriés sur le site internet de B. Dodelin, https://entomodata.wordpress.com/2016/06/11/nouveautes-chez-baranowskiella-ehnstromi-ptilidae-en-2015-et-2016/) et dans les Vosges (Rose, 2017).
Cette espèce est monophage sur le champignon Phellinopsis conchata, polypore pérenne assez commun à l’échelle nationale, affectionnant particulièrement les troncs morts de saules (notamment Salix caprea) en conditions humides. Comme la plupart des autres Nanosellini, B. ehnstromi accomplit l’intégralité de son cycle biologique sur son champignon-hôte. Après plusieurs études menées sur les coléoptères saproxyliques à travers plusieurs départements comme l’Isère, les Savoie, le Jura ou la Seine-et-Marne entre 2015 et 2020, nos investigations ont permis d’éclairer la distribution nationale de cet insecte miniature. Encore aujourd’hui, de nouvelles observations se font lors de nos expertises, comme dans l’Ain ou la Saône-et-Loire pour 2021.
Depuis sa redécouverte en 2014 et 2015 en France, Allemagne et Suisse, un certain engouement européen jaillit où quelques entomologistes passionnés sont partis à la recherche de cette espèce. Depuis, elle a été découverte pour la première fois en Angleterre (Duff et al. 2015) et en Hongrie (Papp et al. 2017).
D’autres espèces originales sont probablement à découvrir dans ce monde miniaturisé.
AuteurEntomologiste et mycologue basé en Rhône-Alpes, Rémy est spécialiste des coléoptères. Diplômé d’un Master 2 en Biologie, Écologie et Évolution à l’Université d’Aix-Marseille, il dirige un bureau d’études dénommé MyColéo créée en 2018, spécialisé dans l’expertise technique des milieux naturels. Ses principales compétences sont les diagnostics écologiques (entomologie et mycologie), l’élaboration de programmes de recherches spécifiques ou les études d’impacts (mesures de compensation de projet d’aménagement) tout en œuvrant pour la préservation et la restauration des écosystèmes terrestres et aquatiques. Passionné par la Nature, le monde vivant et cherchant systématiquement à comprendre le fonctionnement des écosystèmes, l’univers des coléoptères et la mycologie sont de formidables supports de compréhension pour faire le lien entre les Sciences Naturelles théoriques et l’intérêt de préserver la biodiversité nous entourant. |
Bibliographie
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- Dodelin, B., Rivoire, B., & Saurat, R. (2015) : Baranowskiella ehnstromi Sörensson, présent en France dans les Préalpes du nord et le sud du Jura (Coleoptera, Ptiliidae). Publications de la Société Linnéenne de Lyon, 84(3), 93-99 (lien)
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