Thierry Pasquerault : Entomologiste forensique – Gendarmerie Nationale

Thierry Pasquerault : Entomologiste forensique – Gendarmerie Nationale

Interview de Thierry Pasquerault

Entomologiste forensique

Département Faune – Flore – Forensiques

Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale


Questions posées par Benoît GILLES


Vous travaillez au sein du département « Faune-Flore-Forensiques » de la gendarmerie nationale, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce département, ses activités et ses objectifs ? Combien êtes-vous dans ce département ?

Le département se nomme « Faune – Flore – Forensiques » (FFF) et se trouve être l’un des douze départements forensiques de l’Institut de Recherche Criminelle (IRC) de la Gendarmerie basé à Pontoise.
Nous sommes huit à y travailler à l’effectif et utilisons l’indice d’origine naturelle au profit des requérants, Officiers de Police Judiciaire et magistrats (au cours de l’instruction).

Notre travail est consacré exclusivement à des infractions pénales. Les dossiers en référence au droit civil ou droit administratif par exemple sont très rares.

Quatre disciplines sont actuellement exploitées en routine dans ce département.

1) Entomologie légale

Opérationnelle depuis 1992, cette discipline a pour objectif principal l’estimation du délai-mortem, c’est à dire du temps qui s’est écoulé entre le décès et la découverte du corps.

Toutefois, il est important de comprendre que notre travail consiste à dater le moment des premières pontes des insectes nécrophages et non pas le moment de la mort en elle-même. En effet, il peut exister un délai allant de quelques minutes ou quelques heures à plusieurs mois ou années dans le cas d’un décès intervenu en extérieur dans des conditions thermiques hivernales ou d’un cadavre congelé sur une longue période avant d’être déposé sur son lieu de découverte.

Cette expertise est complémentaire de celle du médecin légiste. En effet, elle devient intéressante à partir du moment où tous les signes thanatologiques (étude des mécanismes et des aspects médicaux-légaux de la mort) ont disparu. En décryptant l’histoire de vie de la faune entomologique présente on peut lire l’histoire du cadavre, du moins tant qu’une faune active s’y développe. La précision de la méthode est de l’ordre de 48 heures environ pour un corps de deux mois. Bien sûr l’imprécision augmente avec l’ancienneté du corps. Au-delà d’un an, nous ne pouvons indiquer seulement qu’une antériorité.

L’entomologie légale trouve également des applications dans la mise en évidence d’escroqueries (dépose de larves de Tenebrio molitor sur des charpentes par exemple pour faire croire à des termites et vendre des prestations de désinfection), dans l’identification d’espèces protégées dans le cadre de destruction volontaire d’habitat naturel ou importation, dans la détention illégale d’insectes protégés.

Elle est également utilisée pour dater des manques de soin. Des personnes âgées ou grabataires peuvent avoir des blessures ou des escarres colonisées par des insectes nécrophages. Ce ne sont que quelques exemples de l’utilisation des insectes dans l’enquête judiciaire.

2) Palynologie légale

Photo 1 : Différentes formes de grains de pollen en fonction des espèces végétales – en noir et blanc : les grains de pollen observés au microscope électronique – en orange : leur forme reproduite numériquement (Source : Asja Radja & Lavrentovich)

Le pollen est utilisé pour déterminer la fréquentation d’un site floristique par une personne. L’expertise ne se fait pas par une identification spécifique mais par une comparaison entre un élément à investiguer (vêtement par exemple) et un élément de comparaison (fragments de végétaux du site à étudier). Il est recherché une comparaison d’empreinte pollinique c’est-à-dire des fréquences relatives des différents types de pollen (photo 1 ci-contre).

La palynologie est également utilisée pour la comparaison de pain d’herbe ou de résine de cannabis, toujours dans le cadre de la comparaison des empreintes polliniques. Cela a pour but de déterminer si le lieu de production est le même, ou s’il s’agit d’une production d’intérieur ou d’extérieur.

3) Milieu aquatique

La recherche de diatomées dans les organes d’une victime permet de déterminer si la personne est décédée d’une noyade vraie, c’est-à-dire une inondation de l’arbre respiratoire supérieur par de l’eau, suivie d’un transport par la circulation sanguine de l’eau et des diatomées dans l’ensemble du corps. Cette recherche se fait au niveau du foie, des reins, du cerveau et la moelle osseuse du fémur. Elle ne peut, à ce stade, être réalisée que dans de l’eau douce.

L’estimation du délai de submersion d’un corps ou d’un objet peut être également réalisée lorsque le temps a été suffisant pour que les sédiments commencent à former une couche permettant la colonisation par les invertébrés aquatiques.

4) Biologie moléculaire

Cette unité d’expertise a pour but d’identifier l’espèce animale objet du prélèvement (phanère, sang, muscle, organe). C’est un point important pour l’enquête pour mettre par exemple en évidence des espèces protégées dans de la viande boucanée ou des résidus de sang sur un couteau de chasse. Ce ne sont que quelques exemples du domaine d’application de cette discipline.

En quoi consiste les sciences forensiques ?
Photo 2 : A) Adulte de Chrysomia albiceps (Calliphoridae) obtenu à partir de la pupe collectée sur une scène de crime – B) individu en cours de métamorphose sorti de la pupe par dissection afin d’estimer le stade développement de l’insecte et donc la date de la mort du cadavre (Source : Scielo.br)

Les sciences forensiques sont l’application de sciences comme la chimie, la physique, la biologie, etc. à un contexte judiciaire. Cela impose plusieurs choses : n’utiliser que des méthodes validées, travailler dans un cadre contrôlé en termes de conditions environnementales, de processus écrits… L’assurance qualité a été une grande avancée dans ce domaine en instaurant des règles de conduite de l’expertise, de traçabilité, de contrôle, de la mise en place d’essais inter-laboratoire internationaux, par exemple. L’unité d’expertise d’entomologie légale est accréditée depuis 2007 selon la norme ISO 17025.

Elle a été jusqu’à très récemment la seule unité dans ce domaine à l’être. Il est important de comprendre que le rôle de l’expert est de travailler à charge et à décharge. Seules comptent des conclusions factuelles. Il faut souligner que nous sommes amenés régulièrement à déposer devant une Cour d’assises pour expliciter notre travail et nos conclusions. Quatre des membres du département sont ainsi des experts inscrits auprès de la Cour d’Appel de Versailles.

Comment arrive-t-on à cette spécialité ? Quel est votre parcours ? J’imagine que cette spécialité est réservée à peu de personne en France ?

J’ai une formation de technicien de laboratoire spécialité de bactériologie. En 1983, j’ai eu la chance d’intégrer un programme de recherche sur les écosystèmes sub-antarctiques et de réaliser une mission de 16 mois sur l’archipel Crozet. Mon travail consistait en l’étude de la faune entomologique de cet archipel lointain (article). Par manque de poste à cette époque, je suis entré en gendarmerie et est servi dans deux unités territoriales de Normandie avant de rejoindre en 1993 le département entomologie de l’IRCGN. Une grande partie de ma formation initiale a été réalisée au sein du MNHM au contact des grands noms du Muséum (Professeurs Matile et Menier pour ne citer qu’eux).

Je pratique donc cette discipline depuis longtemps et il faut reconnaître que c’est un travail particulier. Nous sommes confrontés en permanence aux cotés les plus sombres de notre société et notre domaine est quasi exclusivement celui de la mort.

Il n’y a en France que deux unités d’expertises d’entomologie légale, celle de l’IRCGN et un laboratoire au sein de l’unité de médecine légale de Lille. Il y a donc moins d’une demi-douzaine de personnes en capacité de réaliser des dossiers.

L’entomologie forensique est peu connue du grand public, on en parle un peu dans les séries TV, pourriez-vous expliquer sur quoi vos recherches scientifiques ont porté et quelles découvertes vous avez pu réaliser ?

L’entomologie légale intrigue beaucoup, elle est porteuse de beaucoup de fantasmes de la part de nos concitoyens. Il y a une attirance morbide et peut être une projection sur sa propre mort.  Mais, en réalité, c’est une discipline peu connue qui pourtant trouve ses bases à la fin du 19ème siècle.

L’activité de recherche que nous pratiquons est toujours pragmatique afin de répondre à une problématique particulière. Influence des basses températures sur le développement des insectes, impact des produits phytosanitaires, etc. Nous nous intéressons beaucoup à la détermination des temps de développement d’espèces moins connues et pourtant régulièrement présentes sur un cadavre (figure 3 ci-dessous). Nous publions nos résultats et nos observations mais nous ne sommes pas un laboratoire de recherche car notre priorité est la réalisation de dossiers au profit de la Justice.

Quels sont les taxons d’insectes concernés par cette discipline ?

Parmi les espèces pouvant être présentes sur un corps, nous retrouvons des nécrophages (qui se nourrissent du cadavre), des prédateurs (qui se nourrissent des autres insectes mais aussi quelques fois du cadavre) et des opportunistes qui sont sur le corps pour y rechercher un abri par exemple. Toutes ne présentent donc pas un intérêt direct pour l’entomologie forensique.

Lorsque la mort survient, le premier groupe d’insectes que l’on rencontre sur un cadavre est celui des Diptères nécrophages, majoritairement représenté par des spécimens de la famille des Calliphoridae.

Nous les considérons comme des espèces pionnières. Nous nous intéressons principalement au genre Calliphora et Lucilia mais aussi, et entre autres, aux Chrysomyia (photo 2 ci-dessus), Phormia… En effet, les temps de développement en relation avec la température sont bien connus. Lorsque l’état d’altération est plus avancé, on trouve des espèces que nous qualifions de tardives, comme les Fannia, Hydrotaea, Stearibia, Phoridae… (figure 2)

Figure 2 : Succession temporelle des différents taxons arrivant sur un cadavre après sa mort (Source : T. Pasquerault)

 

Des Coléoptères sont également présents en nombre sur un cadavre, ce sont notamment les Dermestes et les représentants des Silphidae. Des espèces prédatrices sont également présentes mais en absence de connaissances fiables sur la durée de leur développement elles ne sont pas inclues dans le processus de calcul : ce sont les Histeridae et Staphylinidae entre autres (photo 3).

Quelques Lépidoptères peuvent être présents dans de rares cas, généralement si le corps est momifié : ce sont les Tineidae intervenant sur la matière sèche.

Les familles citées ne représentent pas toute la faune qui peut être présente. On estime à environ 26 le nombre de familles d’insectes pouvant être observées sur un cadavre.

Photo 3 : Différentes espèces des familles de Coléoptères nécrophages pouvant être retrouvées sur des cadavres (Source : Necrodes littoralisMargarinotus bipustulatusStaphylinus caesareus – modifié par Benoît GILLES)

 

Comment est daté un cadavre à l’aide des insectes (cycle biologique, paramètres biotiques et abiotiques…)

La température est de loin le paramètre le plus important intervenant dans le développement des insectes. Elle joue principalement sur la vitesse (ou taux) de développement des insectes immatures. Les insectes sont thermo-dépendants, c’est-à-dire qu’ils ont besoin de chaleur pour leur développement. Chaque espèce possède un intervalle de températures qui lui est acceptable, à la fois pour son développement (entre l’œuf et l’imago) mais qui conditionne également sa vie d’adulte. Pour les adultes de Diptères notamment, la température régit les activités de vol, de reproduction, et de ponte. On parle alors de seuils thermiques d’activité minimum et maximum, qui se traduisent par une inhibition de l’adulte.

C’est cette relation temps de température/temps de développement qui est utilisée pour le calcul par accumulation-degrés-jour (figure 3). Notre travail consiste à remonter le temps en « additionnant » les températures jusqu’à obtenir la valeur de la constante de l’espèce. D’autre paramètres environnementaux interviennent : précipitations, luminosité, humidité, etc. mais leur impact est moindre dans le calcul. En revanche ils sont intéressants pour le comportement de l’imago.  

Figure 3 : Influence de la température sur le cycle de développement d’espèces de Diptères nécrophages (source : T. Pasquerault)

 

Quelles sont les méthodologies et les outils utilisés ?

Entre la découverte du cadavre et l’arrivée des prélèvements au laboratoire un suivi précis de température est réalisé. Les prélèvements sont majoritairement réalisés par les techniciens en identification criminelle. Entre la découverte du cadavre et l’arrivée des prélèvement en laboratoire, un suivi précis de température est réalisé. A la réception d’un dossier, les prélèvements sont traités sans délai. Les stades immatures des Diptères sont placés dans une enceinte climatique à température contrôlée, jusqu’à l’obtention des imagos.

Les autres spécimens sont placés dans un liquide conservateur. L’identification des spécimens se réalise morphologiquement (microscopie optique) même si dans certains cas particuliers ou des familles difficiles comme les Phoridae par exemple, la biologie moléculaire est employée. Il faut noter que l’identification de tous les taxons n’est pas systématiquement réalisée puisque la mission judiciaire est « l’estimation du délai post-mortem » et non un inventaire d’espèces. C’est pour cela que seules les espèces d’intérêt à l’analyse sont identifiées au niveau spécifique.

Environ trois semaines sont nécessaires en moyenne pour la réalisation d’un dossier puisque le temps d’élevage est incompressible.

Comment les insectes trouvent un cadavre et pourquoi les différentes espèces se succèdent dans leur heure d’arrivée ?
Photo 4 : Calliphora vicina – en haut à gauche : vue de profil – en haut à droite : vue de face – en bas à gauche : base de l’aile – en bas à droite : appareil buccal (Source : T. Pasquerault)

Le cadavre peut être considéré comme un écosystème instable et temporaire. Sitôt le décès, il sera colonisé par les insectes nécrophages. Mais puisqu’il y a de nombreuses espèces, et pour éviter une compétition interspécifique trop lourde à assumer, un partage de la ressource s’organise. Ce sont les odeurs cadavériques, issues des différents processus de dégradation et de fermentations butyrique, ammoniacale, caséique, qui attirent sélectivement les espèces (figure 2 ci-dessus).

Par exemple, les Calliphora pondront dans les tous premiers temps de la décomposition, jamais plus tard (photo 4). Très peu d’espèces se développent tout au long de la dégradation du corps (Stearibia et Phoridae).

Quels sont les axes de recherche à développer dans les années à venir ? Quel est le devenir de cette spécialité ?

Il y aura toujours des cadavres et toujours une faune nécrophage. L’avenir de la discipline est donc assuré. En revanche, la façon de l’aborder va évoluer.

Les années à venir verront le durcissement des protocoles, une meilleure compréhension de l’impact de conditions environnementales particulières par exemple. Certainement, l’apparition de nouvelles disciplines comme la bactériologie forensique sera à l’origine d’une meilleure connaissance de l’interaction cadavre/faune entomologique/environnement.

L’entomologie légale reste, pour la datation d’un cadavre putréfié, la méthode de datation la plus fiable. Il est de notre responsabilité d’améliorer en permanence la fiabilité de nos résultats car le rôle de l’expert est primordial dans le déroulé d’un procès pénal.

Pour finir cet interview, auriez-vous une anecdote, ou un cas surprenant à nous raconter ? 

Je ne souhaite pas raconter d’anecdote particulière. Il faut comprendre que nous travaillons dans le domaine judiciaire, qu’il y a toujours une victime, une famille. De plus, une affaire ne peut être évoquée qu’après épuisement des voies de recours judiciaires qui sont nombreuses et s’étalent dans le temps.

Entre 100 et 120 dossiers d’expertises sont réalisés annuellement par le département.

 

 

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