Interview de Gérard Duvallet
Entomologiste médical
Professeur émérite à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, chercheur au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE). Spécialiste des mouches piqueuses (glossines, stomoxes) et des parasites transmis. Il est co-éditeur du traité Entomologie médicale et vétérinaire, IRD Editions/Quae, 2017.
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Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre parcours ?
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (rue d’Ulm), agrégé des Sciences Naturelles, Professeur émérite à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, je suis chercheur au CEFE (Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive – UMR 5175), et ma spécialité est l’entomologie médicale.
J’ai passé 21 ans de ma vie – de 1973 à 1994 – en Afrique de l’Ouest, au Burkina Faso, à étudier les glossines (mouche tsé-tsé) (voir photo plus bas dans l’article) et les trypanosomes qu’elles peuvent transmettre (maladie du sommeil chez l’homme et nagana chez l’animal). J’ai été détaché de l’Education Nationale successivement à l’ORSTOM (devenu l’IRD, Institut de Recherche pour le Développement), puis au Ministère de la Coopération, puis au CIRAD (Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement), avant de revenir dans mon corps d’origine. De retour en France, j’ai lancé des recherches sur les mouches piqueuses peu étudiées (les stomoxes et les taons), des recherches que l’on continue de mener en France, en Thaïlande et en Afrique.
Je participe actuellement à un projet ANR (Agence Nationale de Recherche) intitulé FlyScreen, qui cherche à mettre au point de nouveaux outils de lutte non polluante contre ces mouches piqueuses.
Enfin, j’ai été Président de la Société Française de Parasitologie de 2003 à 2007, et je préside actuellement la Société d’Horticulture et d’Histoire naturelle de l’Hérault, ainsi que plusieurs conseils scientifiques.
J’ai publié plus d’une centaine de publications scientifiques dans des revues internationales, et co-édité plusieurs ouvrages.
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Vous venez de co-publier « Entomologie médicale et vétérinaire » chez Quae. Quelles sont les principales thématiques et orientations de cet ouvrage ?
Le dernier « Précis d’entomologie médicale et vétérinaire » de F. Rodhain et C. Perez (éditions Maloine), en français, utilisé par des centaines d’étudiants, datait de 1985. Il n’est plus disponible en libraire et les connaissances dans ce domaine ont beaucoup évolué depuis cette époque. Il était donc devenu nécessaire de proposer un nouvel ouvrage, mis à jour, et qui devrait servir de référence aussi longtemps que le précédent. Cela ne pouvait être réalisé qu’en regroupant les meilleurs spécialistes. C’est pourquoi ce nouvel ouvrage est l’oeuvre d’un collectif de 41 auteurs que j’ai eu l’honneur de co-éditer avec mes collègues Vincent Robert et Didier Fontenille.
Cet ouvrage est divisé en trois parties qui envisagent successivement : 1) les concepts de méthodes utilisées en Entomologie médicale et vétérinaire, 2) l’histoire de l’Entomologie médicale et les questions de santé publique et d’environnement, 3) les arthropodes d’importance médicale ou vétérinaire.
L’entomologie médicale et vétérinaire s’entend au sens large, en englobant non seulement les insectes, mais aussi les autres arthropodes qui peuvent poser des problèmes en termes de santé humaine ou animale (les tiques, d’autres acariens, des crustacés). Et il ne s’agit pas de traiter uniquement d’agents infectieux qui peuvent être transmis par des insectes, mais aussi de toutes les nuisances possibles : arthropodes venimeux, allergisants, urticants, vésicants ou simplement nuisants en cas de pullulation.
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Quelles sont les motivations à écrire une telle somme ?
Les motivations étaient multiples. D’abord actualiser un ouvrage ancien, qui a été utilisé pour la formation de nombreux entomologistes médicaux et vétérinaires francophones. Nécessité donc d’avoir un document à jour des dernières connaissances grâce à la participation des meilleurs spécialistes. Ensuite relancer les formations académiques en Entomologie médicale et vétérinaire, à un moment où, en raison des changements globaux, des insectes et des pathogènes parcourent le monde en quelques heures grâce aux moyens de transports modernes.
L’Institut Pasteur de Paris maintient un cours d’Entomologie médicale, et en a même fait cette année un MOOC qui a un énorme succès au niveau mondiale. L’Université de Montpellier, en association avec l’IRD et l’Université Alassane-Ouattara a Bouaké en Côte d’Ivoire, a créé il y a une dizaine d’année un Master International d’Entomologie médicale et vétérinaire qui forme chaque année une dizaine d’entomologistes médicaux venant d’Afrique, d’Europe, d’Amérique du Sud et de l’Océan Indien.
Cet ouvrage, qui sera distribué gratuitement à ces étudiants grâce au mécénat, constituera un appui fort pour ces formations. Il permettra aussi aux anciens étudiants de maintenir leurs connaissance à niveau.
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Certaines espèces d’insectes sont vectrices de maladies et de pathogènes. Malgré les progrès techniques et scientifiques du XXème siècle, celles-ci n’ont pu être contenues : quels sont et quels ont été les principaux obstacles et freins aux progrès dans ce domaine ?
Notons d’abord que les vecteurs sont vecteurs d’agents infectieux et non de maladies. La maladie est ensuite un dialogue singulier entre l’hôte et l’agent infectieux inoculé. Le vecteur ne joue un rôle dans la maladie qu’en inoculant l’agent infectieux et aussi, parfois, en favorisant son implantation grâce aux propriétés de sa salive injectée en même temps.
On a cru en effet au XXème siècle que l’on viendrait à bout de ces insectes vecteurs ou nuisants grâce aux insecticides comme le DDT. On a bien vu qu’il n’en était rien. Simplement parce que nous avons affaire ici à des systèmes évolutifs et à des organismes qui ont des capacités énormes d’adaptation. Les insectes sont rapidement devenus résistants aux insecticides. On a beau avoir inventé de nouveaux insecticides, les insectes se sont adaptés. Et les agents pathogènes sont aussi devenus résistants aux médicaments utilisés, comme les bactéries sont devenues résistantes aux antibiotiques. C’est une course permanente. Et une course folle, car, pendant longtemps, nous n’avons pas mesuré les effets collatéraux de ces traitements. Il a fallu que paraisse en 1962 l’ouvrage « Silent Spring » de Rachel Carson pour alerter le monde sur les effets néfastes des insecticides sur les oiseaux et sur la biodiversité en général. Or on sait maintenant le lien fort entre biodiversité et santé, ainsi qu’entre biodiversité et fonctionnement de nos écosystèmes. Il faut repenser le contrôle de ces nuisances dans un cadre écologique global. Et cet ouvrage devrait y aider.
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Mal considérés et perçus uniquement comme « nuisibles » par une grande majorité de la population, quels sont les principaux bénéfices que peuvent pourtant apporter les insectes dans les domaines de la santé humaine et animale ?
Il est clair qu’en ne parlant uniquement que des vecteurs ou des arthropodes nuisants, on pourrait transmettre au public une image totalement fausse. Les insectes dans leur immense majorité jouent un rôle très positif. Si l’on pense aux services écosystémiques, on pourrait citer quelques exemples :
– Les insectes pollinisateurs : abeilles domestiques, abeilles sauvages, de nombreux diptères et autres insectes. Sans eux, nous n’aurions pas nombre de fruits ou de légumes sur nos tables ;
– Les insectes coprophages qui incorporent dans le sol les excréments des animaux. Ces bousiers jouent un rôle considérable en favorisant la fertilité des sols et en nettoyant les prairies ;
– Les insectes nécrophages et/ou nécrophiles qui aident à faire disparaître les cadavres ;
– Les parasitoïdes et autres prédateurs qui contrôlent naturellement les populations d’autres insectes : libellules, syrphes, carabes, etc.
Un domaine particulier est celui de l’asticot-thérapie. De nombreux centres existent en Grande Bretagne, pratiquement aucun chez nous. On sait que certaines larves de mouches, des asticots, sont en effet capables de nettoyer des plaies et de favoriser la cicatrisation. Ces observations proviennent de médecins militaires qui travaillaient sur les théâtres de guerre, notamment dans les tranchées au cours de la Première guerre mondiale. L’utilisation de ces asticots peut permettre éviter des amputations dans des cas de gangrènes.
Un autre domaine particulier est celui de l’utilisation des insectes dans l’alimentation. De nombreuses populations en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud, incorporent les insectes à leur alimentation. C’est clairement un domaine d’avenir en raison des nombreux avantages de ces apports.
Le nombre d’espèces d’insectes actuellement connues est environ de 1,3 millions. Et les entomologistes estiment qu’il en existe environ 8 millions d’espèces. On est donc loin d’avoir encore tout inventorié. Et les vecteurs et les nuisants ne sont qu’une infime partie de cette énorme biodiversité. Il faut faire en sorte que les méthodes de lutte contre ces vecteurs n’impactent pas le restent de la biodiversité et il faut soutenir les recherches dans ce domaine.
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Les stratégies et les solutions de lutte doivent être adaptées pour être plus efficaces et protectrices de l’environnement et de la santé humaine, comment ce changement peut-il et doit-il s’opérer dans les années à venir ?
On a pris beaucoup de retard, en pensant que les insecticides résoudraient tous ces problèmes. Heureusement, des recherches se sont développées qui analysent le fonctionnement des écosystèmes et mesurent plus clairement les impacts. Elles doivent permettre de mieux comprendre ce qui facilite un bon équilibre et limite les pullulations de nuisants. L’écologie chimique peut permettre aussi de comprendre ce qui attire ou ce qui repousse spécifiquement ces insectes et arthropodes nuisants. Cela devrait déboucher sur de nouvelles méthodes de contrôle. Il ne s’agit plus maintenant de pulvériser des insecticides dans l’environnement, mais d’attirer spécifiquement les arthropodes cibles dans des pièges où l’on pourra les contrôler sans nuire au reste de l’environnement. Là encore, de nombreuses recherches restent indispensables.
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Etes-vous optimiste quant au contrôle et à l’éradication des nuisances et maladies dues aux insectes ? Notamment dans les pays du Sud ?
L’expérience passée a appris aux entomologistes de ne plus parler d’éradication mais bien de contrôle. Il faut baisser le niveau d’abondance de certaines populations d’arthropodes en dessous de leur niveau de nuisance. Si des moyens sont donnés au pays du Nord comme du Sud pour renforcer la formation des entomologistes médicaux et vétérinaires, et pour soutenir la recherche dans les domaines évoqués (en particulier en écologie fonctionnelle en écologie chimique, en écophysiologie) et la pluridisciplinarité dans ces activités sur le terrain, on pourra être optimiste. Des maladies à transmission vectorielle comme la filariose lymphatique, comme la trypanosome humaine africaine (maladie du sommeil), et d’autres sont en diminution au regard des chiffres de l’OMS. Les recrudescences interviennent dans le cas de conflits armés ou de guerres civiles lorsque médecins et épidémiologistes ne peuvent plus aller sur le terrain dépister et traiter les porteurs de pathogènes.
Pour vous procurer cet ouvrage :
– Entomologie médicale et vétérinaire (Gérard Duvallet ; Didier Fontenille & Vincent Robert – Quae Editions – 688 pages – 27 mai 2017)
Rubrique interviews
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- Henri-Pierre ABERLENC (entomologiste – CIRAD)
- Nicolas MOULIN (entomologiste indépendant)
- Patrice BOUCHARD (chercheur entomologiste – Université d’ottawa)
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- Christophe Avon (Entomologiste au LEFHE, Directeur du MAHN-86 et Fondateur de World Archives of Science – WAS)
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- Yves Carton (Directeur de Recherche émérite au CNRS – Auteur de « Histoire de l’entomologie – Relations entre biologistes français et américains – 1830-1940« )
- Pierre Kerner (Maître de Conférence en Génétique Evolutive du Développement à l’Université de Paris Diderot)
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